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– Vos archers nous cribleraient de flèches avant que nous ayons pu ouvrir la bouche !

Nath eut un geste de triomphe désabusé.

– Tu vois ! Vous n’êtes pas si certains que cela de nous écraser ! Vous ne nous faites pas l’aumône de la paix, vous la monnayez pour vous !

– Et quand cela serait ! cracha la jeune femme avec irritation. Il ne fait aucun doute que vous avez, de tout temps, été manipulés. Sais-tu pourquoi votre rituel se conclut par un suicide obligatoire ? Parce que votre survie risquait de vous faire assister à notre réveil, et de vous faire découvrir la vérité : à savoir que les Caméléons n’étaient pas les monstres qu’on s’appliquait à vous décrire ! Votre retour éventuel constituait un danger pour vos maîtres, et pour la doctrine. Voilà pourquoi on a voulu que vous disparaissiez sitôt votre tâche accomplie : pour vous empêcher, par votre témoignage, de remettre la légende en question ! Alors… Acceptes-tu mon offre ?

Nath n’hésita qu’une seconde.

– Ai-je le choix ? murmura-t-il d’un ton calme. De toute façon en venant ici j’étais prêt à mourir. Que ma mort serve au moins la cause de la paix plutôt que celle de la guerre. Mais ton idée doit être réajustée…

– Comment cela ?

– Si je pars seul, personne ne me croira. Si j’arrive accompagné de renégats on ne nous accordera pas plus de crédit car on nous taxera de lâcheté… Ta proposition n’est valable que dans un seul cas de figure…

– Lequel ?

–  Si, toi, tu m’accompagnes, si tu viens jusqu’aux cavernes en ambassadrice. De plus, toi seule pourra m’éviter d’être dévoré par les dragons au cours du trajet, tu le sais bien, mes mains ne me servent plus à rien ; attaqué je serais dans l’incapacité de me défendre. Il faut que tu viennes. Toi seule, je le répète, peux apporter un semblant de poids à mes paroles.

Mussy ferma les yeux et ses lèvres tremblèrent. Une minute passa, interminable…

– Soit ! souffla-t-elle d’une voix altérée. Je suppose qu’en effet c’est la seule solution. Et si je dois mourir, au moins que ce ne soit pas pendant le sommeil de la prochaine hibernation !

Nath se détendit. Durant un moment ils s’observèrent sans ciller.

– Ce sera dur, tu sais ! chuchota le jeune homme.

– Je sais. Ils nous tueront probablement, mais l’important est de pouvoir parler. De semer le doute. C’est à cela qu’il faut penser. Se dire que sur cent personnes qui nous auront écoutés, deux songeront peut-être : « Et s’ils disaient la vérité ? »

Les renégats

Deux jours plus tard, Mussy avait retrouvé toute sa souplesse. Elle se glissa hors de la niche et s’absenta une dizaine d’heures. Lorsqu’elle revint, elle était porteuse de pierres photo-amplificatrices et d’une lampe à huile grâce auxquelles Nath put reconstituer ses forces.

Un peu plus tard, elle amena à travers le dédale des éboulis deux chevaux de pluie adaptés à la vie en milieu humide, et harnachés pour une longue course.

– Leurs fontes sont remplies de bougies, de gemmes, de toiles bitumées, énuméra-t-elle, mais il faut partir sans tarder, mes recherches ont éveillé les soupçons, on tentera peut-être de nous intercepter… Je te l’ai dit : certains ne voient pas d’un bon œil les efforts de médiation de mon groupe.

Elle enveloppa chacune des mains difformes du jeune homme dans un sac imperméable, puis entreprit de colmater les fissures de sa cuirasse au moyen de goudron liquide.

Les préparatifs furent achevés avec la venue de la nuit. Quand la lune perça les nuages de sa lueur diffuse, ils montèrent en selle et piquèrent sur la forêt, sans échanger une parole. A présent ils étaient l’un et l’autre des renégats. Les renégats de la paix.

FIN