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– C’est bien assez, ricana amèrement Nath. Ils s’infiltrent dans nos cavernes, égorgent les enfants, les femmes, les vieux…

– Ce ne sont que des cas isolés, j’en suis sûre, vos chefs vous montent la tête ! Il arrive au meilleur des chiens de garde d’étrangler parfois une poule…

– On m’a toujours répété que votre seul souhait était de nous détruire jusqu’au dernier…

– C’est stupide ! Réfléchis une seconde, si tel était notre véritable désir nous l’aurions contenté depuis longtemps. Il nous aurait suffi de profiter de la saison des pluies pour déferler sur vos falaises, dragons en tête, et de vous noyer sous le jet de nos pompes. Qu’auriez-vous pu faire ? Vous êtes anormalement sensibles à l’élément liquide, vous vous seriez aussitôt transformés en éponges. Crois-moi, cette guerre ne nous aurait pas coûté un seul homme, et il aurait été facile de la gagner !

Nath digéra le raisonnement. La fatigue embrouillait son esprit. Il songea qu’il devait donner l’image d’un parfait attardé mental.

– Si tu dis vrai…, commença-t-il.

– Je dis la vérité ! s’emporta la jeune femme en accompagnant son éclat d’un geste curieusement ralenti. Vos chefs ne supportent pas la différence, c’est tout, notre différence ! Ils veulent affirmer la supériorité du peuple du feu sur le peuple de l’eau comme s’il s’agissait d’un théorème capital ! Ces haines puisent leur nourriture dans l’origine de nos deux races, mais il est grand temps d’oublier de telles querelles.

Nath se souvint alors de la légende contée par Olmar ; celle des savants nains dont le seul but avait été de créer une race capable de s’adapter aux deux saisons de la planète. Il la résuma en quelques mots et demanda à Mussy ce qu’elle en pensait.

– Tout est exact, observa-t-elle. Tu simplifies mais la trame est conforme aux faits. Ils ont échoué et n’ont pu donner naissance qu’à deux peuples génétiquement et « météorologiquement » opposés. Leurs dépouilles dorment à jamais au creux des pyramides. Ce sont eux qui ont allumé la flamme de la haine. Nous ne devons pas nous faire leurs complices…

– Mais vous les vénérez !

– Nous vénérons la mémoire d’un grand dessein, mais nous ne sommes pas aveugles ! Crois-tu que nous ignorions que nombre des vôtres campent à l’intérieur des tombeaux pendant la saison des pluies ?

– Et vous n’avez jamais envisagé de vous débarrasser de ces… profanateurs ?

– Nous n’aimons pas détruire. Nous avons choisi, pour survivre à vos incursions, le seul moyen non violent envisageable : la défense passive, le camouflage. Ce n’est pas toujours efficace car vous devenez de plus en plus habiles, mais réalises-tu qu’aucun d’entre nous n’a jamais encore réclamé qu’on organise une expédition punitive contre vous ?Personne n’a encore exigé de représailles, et les lézards ne sont qu’une piètre punition lorsqu’on songe aux pertes que vous nous infligez ! Tu n’as jamais réfléchi à cela, n’est-ce pas ? C’est dommage car j’ai peur qu’il n’en aille pas toujours ainsi.Un jour la patience et l’abnégation du peuple des averses s’épuiseront. Un jour viendra un chef plus vindicatif que les précédents… Alors la guerre sera totale, et vous la perdrez, car vous êtes les plus faibles, les plus exposés en combat direct. Vous n’avez aucune protection naturelle contre la pluie alors que nos carapaces nous isolent du soleil, de la sécheresse. Vous êtes les moins adaptés, et pourtant, curieusement, les plus vindicatifs. Vous voulez la destruction préventive d’une race qui vous laisse en paix ! L’ardeur belliqueuse de vos dirigeants ne masquerait-elle pas un complexe d’infériorité ?

Nath ricana :

– Sans en avoir conscience, tu ne fais que reprendre le discours de vos créateurs : nous ne sommes qu’une sous-race alors que vous, gens de la pluie, représentez le stade supérieur de l’évolution ! Nous sommes les faibles, vous les forts ! C’est peut-être là la vraie raison de cette… guerre préventive : vous anéantir avant que vous ne décidiez de notre sort comme de celui de simples animaux à qui il est superflu de demander leur avis !

La jeune femme eut une velléité de réplique, mais sombra dans une soudaine somnolence comme si la conversation avait usé toute son énergie. Nath ne tarda pas à la suivre dans cette voie. Ils furent cependant vite réveillés par le clapotis d’une cavalcade ponctuée de halètements sourds et de claquements. Le jeune homme roula sur le flanc, tenta de saisir la poignée de son sabre mais ses mains refusèrent toute coopération.

–  Les dragons ! souffla-t-il la gorge sèche.

Ils étaient deux, longs fuseaux écailleux se coulant entre les éboulis, le mufle avide, la queue claquant tel un fouet. La pluie rendait leurs écailles luisantes. Le mâle, aisément repérable à sa crête osseuse, ouvrit les mâchoires, dévoilant l’horrible alignement des crocs tapissant sa gueule. Il hésita une seconde, griffant la roche, puis ses pupilles jaunes localisèrent l’entrée de la niche. Nath s’agenouilla, attirant l’arme entre ses avant-bras fléchis. Il essaya tant bien que mal d’en coincer la garde sous son aisselle. C’était dérisoire et inefficace mais il n’avait pas le temps d’imaginer une autre parade, déjà les sauriens se lançaient à l’assaut du dolmen, leurs palmes adhésives escaladaient la paroi. Une première gueule béante plongea dans l’ouverture…

Avant que Nath ait pu se jeter en avant Mussy s’était relevée sur un coude et avait émis un curieux bruit de gorge, une sorte de miaulement étouffé comme aucune corde vocale d’Hydrophobe n’en pourrait jamais produire. Immédiatement, les lézards firent volte-face et disparurent entre les pierres, abandonnant tout projet belliqueux. Nath laissa tomber la lame.

– Ils vous obéissent comme des chiens ! constata-t-il avec amertume. Pourquoi ne les as-tu pas laissés me dévorer ?

Mussy eut un soupir.

– Tu es plus idiot que je ne le pensais, fit-elle. Nous détestons tuer, ne te l’ai-je pas expliqué ? Cette discussion est sans issue, comme le sera bientôt la coexistence de nos deux races. La coupe débordera avant peu, sois-en sûr. Des factions extrémistes se dessinent déjà dans nos rangs. Si à la prochaine saison vous n’avez pas renoncé à vos quêtes destructrices, attendez-vous au pire ! Je suis une pacifiste, je préfère être tuée que tuer, mais cette option ne regarde que moi et, de plus, je ne suis pas certaine d’avoir raison. Il ne reste plus qu’un an pour tenter quelque chose, une médiation. Un an pour éviter l’holocauste…

– Que veux-tu dire ?

– Il faut que tu retournes à ta falaise, que tu leur racontes la vérité, que tu te battes pour faire cesser les raids d’extermination !

– Personne ne me croira !

– Si tu es seul sûrement, mais si tu parviens à convaincre quelques renégats de t’accompagner ?

– Ceux de vos pyramides me tueront, je leur ai causé trop de tort !

– Il y a d’autres pyramides plus à l’est. Je peux te procurer un équipement de survie : des toiles imperméables, des pierres à lumière, un cheval de pluie…

– Tu faciliterais ma fuite ?

– A quoi pourrait bien servir ton cadavre transformé en méduse au fond d’un trou ? Je préfère jeter une bouteille à la mer…

Nath fut pris d’un doute.

– Ce n’est pas la première fois que tu tentes ce genre… d’ambassade, n’est-ce pas ?

Mussy sourit tristement.

– Non, en effet. J’appartiens à un groupe modéré de plus en plus contesté, nous avons à trois reprises déjà capturé des renégats égarés ou en quête d’un abri. Chaque fois nous les avons chargés du même message… Mais aucun n’a dû avoir le courage de rebrousser chemin, de retourner à sa grotte d’origine pour dire à son peuple : « Nos chefs nous ont menti ! Voici la vérité… »

– Pourquoi ne pas tenter vous-mêmes d’établir le contact ? Pourquoi ne pas venir parlementer au pied des falaises ?

Elle eut un frisson.