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Les statues se volatilisaient dans un geyser de flammes bleues, laissant derrière elles un nuage de sang, de pierre, ou de cendre…

Après une brève interruption, ils procédèrent à quinze éliminations. Toutefois l’expertise de Boa ne permit d’homologuer que six victoires. Leur pourcentage de réussites dégringolait ; mieux valait s’en tenir là pour aujourd’hui avant de transformer un honnête travail en gâchis.

Ils remisèrent leurs instruments et reprirent le chemin du bivouac où les attendait Olmar, toujours enchaîné.

Nath n’avait pas pris de décision. Le matin même il avait lancé à la jeune esclave :

– Ce n’est pas le plus urgent ! D’abord la mission, ensuite nous verrons…

Boa détestait Olmar, la haine qui brillait dans ses yeux valait tous les discours. Si Nath lui avait demandé d’égorger le renégat, elle l’aurait fait séance tenante, avec un plaisir certain.

Ils s’installèrent pour la nuit, chacun dans son trou de sable. Le soleil les avait nourris à satiété, et c’est avec soulagement qu’ils se dispensèrent d’absorber la moindre alimentation solide. Seul Olmar réclama une part de pitance.

– Tu n’as pas eu assez de lumière ? s’étonna Nath.

L’ancien chevalier haussa les épaules.

– C’est pas ça, mais l’hiver – si tu veux survivre – il faut beaucoup manger. Mâcher et avaler plusieurs fois par jour, alors l’estomac s’habitue, et après…

Boa lui jeta un morceau de viande séchée sur lequel il se précipita avec voracité. A ce spectacle, Nath sentit sa gorge se contracter de dégoût. Hypnotisé par le spectacle du renégat mastiquant, il finit par prendre conscience que l’autre prenait plaisir à cette occupation !

– On dirait que tu aimes ça ! cracha le jeune homme d’une voix vibrante d’indignation.

– Et alors ? ricana Olmar. Tu t’imagines que nous, les « renégats », nous pouvons nous prélasser devant des bûchers ronflants ou nous dorer à la lumière des pierres photo-amplificatrices ? Tu rêves ! L’hiver il faut se terrer dans un trou à rat, vivre enfermé dans un sac de toile goudronnée pour échapper à l’humidité. Faire du feu est difficile… D’abord il faut trouver du combustible, le stocker ; or à l’extérieur il n’y a que du bois vert… et puis la fumée attire les dragons qui patrouillent autour des cités.

– C’est une existence indigne d’un quêteur, mieux vaut la mort !

– Pantin ! Il n’y a pas que des mauvais côtés. Les trous de roche, les fissures où il faut se tenir debout pour dormir, bien sûr ce n’est pas réjouissant, mais il y a les tombeaux…

– Les tombeaux ?

– Mais oui ! Ne te fais pas plus idiot que tu n’es ! Les pyramides des dieux-nains ! Le peuple de la pluie les vénère, les constructions sont taboues. Les dragons ont été dressés à ne pas s’en approcher. Si tu t’y installes avec quelques pierres à lumière, tu peux passer l’hiver en toute quiétude !

Nath eut un hoquet de surprise.

– Les pyramides ? Elles sont minuscules ! Seul un enfant pourrait y tenir, et encore ! Tu divagues…

– Pas du tout ! Je suis d’accord avec toi : les pyramides du sud sont des tombeaux individuels ; un adulte ne peut s’y glisser, mais au nord il existe des sépultures collectives conçues pour renfermer toute une dynastie ! Des cryptes assez vastes pour accueillir trente sarcophages. Un homme y tient à l’aise. Avec un stock de pierres amplifiantes, quelques bougies et un peu de nourriture séchée, on affronte l’hiver en position de force.

– Et l’humidité ?

– Il faut une bonne armure, ou un sac de couchage en toile goudronnée, imperméable, dans lequel tu te couches avec une fille à langue coupée, une esclave dans le genre de la tienne… Généralement elle ne survit pas à la mauvaise saison, alors il convient de s’en procurer une autre l’été suivant.

– En attaquant et dépouillant les nouveaux quêteurs qui ne se doutent de rien !

– Exactement, gamin ! C’est la loi, le code des renégats. Et ça m’a réussi, regarde : neuf saisons sans être mutilé ! Des blessures, d’accord ! Des plaques de gélatine dans le dos et sur les épaules, mais c’est tout.

– Tu vis dans une de ces pyramides ?

Olmar se rembrunit et une expression maussade déforma ses traits.

– J’y vivais… J’ai perdu l’abri. C’est dur, il y a tout le temps de nouveaux arrivants, des types qui viennent vous défier. Au début on s’affrontait en combat singulier, en duel à la loyale. Maintenant ils se déplacent en groupe ou vous coupent la gorge pendant la nuit… J’ai dû filer et céder la place à trois jeunes gars bien armés. J’ai perdu mon équipement, mes lames.

– Où comptais-tu aller ?

– Plus haut, dans le nord. Il y a, paraît-il, des pyramides gigantesques où l’on peut tenir à une centaine. Si on arrive à se faire admettre par une bande, c’est gagné !

Nath cilla.

– Une bande ? Tu veux dire que les renégats sont assez nombreux pour s’organiser en bandes ?

– Exactement ! Réfléchis : depuis des générations et des générations on envoie des quêteurs dans le désert. Sur chaque dizaine, six chevaliers en moyenne ont refusé la mort. Calcule toi-même ! Cinq ou six survivants supplémentaires tous les ans pour chaque tribu ! Une petite armée au bout du compte !

– Mais les Caméléons ? Ils vous pourchassent, non ?

– Je te l’ai déjà expliqué : pas dans les tombeaux qui sont des lieux de culte dont personne ne doit approcher. Même les lézards se tiennent à bonne distance.

– Tu as pu observer les gens de la pluie ? Les espionner dans leur vie quotidienne ?

– Un peu, au début. Puis j’ai cassé mes jumelles, ça n’a d’ailleurs rien d’excitant. Ils vivent comme n’importe quel clan, sauf qu’ils aiment l’eau. Ils se promènent nus sous la pluie, mangeant les fruits. Certains sculptent des statues pour les ajouter à celles qui existent déjà.

– Ils taillent la pierre ? Avec quoi ?

– Des outils inconnus. Des cylindres de métal qui jettent des rayons et font fondre la matière verte.

Nath demeura un moment songeur.

– Razza nous a raconté des histoires, renchérit Olmar qui percevait le trouble du jeune homme, ils ont l’air tout ce qu’il y a de pacifique. En fait ils se défendent contre nos incursions, c’est tout. Leurs dragons sont comme des chiens chargés d’effrayer les renards qui rôdent autour d’un poulailler. Nous sommes peut-être les seuls prédateurs de cette planète, Nath, y as-tu pensé ?

– Tais-toi ! Dis-moi plutôt pourquoi ils vouent un culte aux pyramides…

Olmar haussa les épaules.

– C’est compliqué. Leur écriture est très différente de la nôtre. Par contre, dans les tombeaux, il y a des dessins, des fresques qui font tout le tour des murs. J’ai cru comprendre que les nains sont nos créateurs…

– Tu dérailles ?

– Absolument pas ! Avant leur arrivée il n’y avait rien en ce monde, qu’une saison de feu, et une saison des pluies. Le désert et la forêt, alternativement… Ils sont venus au moyen de machines volantes semblables à celle qui dort dans les entrailles de la falaise, et où Razza puise les explosifs. Leur science était grande. Ils ont voulu créer un peuple adapté à cette terre, mais ils ont échoué. Leurs sages ne sont pas parvenus à concevoir un être capable de supporter à la fois le feu et l’eau. Tantôt ils donnaient naissance à des hommes aimant la chaleur et détestant la pluie, tantôt l’inverse, mais jamais à une race hybride. Alors il y a eu des querelles. Deux clans se sont formés. Le premier a dit : « Le soleil est le principe même de la vie. Les hommes du feu doivent être les seuls habitants de ce monde. » Le second a répliqué : « C’est faux ! L’eau est l’unique élément vital. Dans le ventre de sa mère, l’homme n’est-il pas semblable au poisson immergé dans un bocal ? Le peuple de la pluie est donc le seul digne de régner en maître absolu ! » Alors il y a eu un grand conflit, ils se sont affrontés… et détruits. Laissant derrière eux leurs enfants, deux peuples opposés et à jamais rivaux : les gens du soleil et les Caméléons.