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En effet, c’était Catherine de Médicis!

– Bonjour, mon pauvre marquis, dit la reine en souriant. Il faut donc que ce soit moi qui vienne vous trouver au fond de ce hideux monastère. Sans compter que pour y entrer, j’ai été obligée de me montrer à votre abbé, en sorte que dans dix minutes toute la communauté saura que la mère du roi est ici…

– Rassurez-vous, madame, dit Panigarola, le vénérable abbé est incapable de trahir un incognito de cette importance. Mais il y avait un moyen bien simple de vous éviter toute inquiétude en me faisant appeler. Je me fusse rendu au Louvre au premier ordre de la reine.

– Est-ce bien sûr? fit Catherine en regardant fixement le moine.

– Par devoir, un homme de Dieu ne ment pas.

– Oui; mais j’ai connu un certain marquis de Pani Garola qui n’en faisait qu’à sa tête.

– L’homme dont vous parlez est mort, madame. En tout cas, si j’étais encore le marquis de Pani Garola, je mentirais encore moins. Moine, le mensonge ne m’est défendu que par mon supérieur, marquis, il m’était défendu par moi-même.

Panigarola se redressa. Sa figure ravagée apparut blafarde et dure, avec un caractère d’étrange grandeur; dans les plis de sa robe blanche et noire, il se pétrifia comme une statue.

– Oui, murmura Catherine, vous êtes d’une race orgueilleuse qui jamais n’a condescendu au mensonge; et pourtant, le mensonge a parfois du bon… Mais laissons cela.

Catherine regarda autour d’elle comme pour chercher un siège.

Panigarola, sans hâte, avança l’unique escabeau de la cellule.

– Non, fit Catherine en riant, ce serait trop dur: je n’ai pas encore fait de vœux, moi!

Et elle s’assit au bord du lit du moine.

Ce lit, ou plutôt cette couchette, se composait simplement de quelques planches juxtaposées contre le mur, et couvertes d’un matelas et d’une couverture de laine.

– Asseyez-vous, marquis, reprit la reine en désignant à son tour l’escabeau.

Panigarola refusa d’un signe de tête qui indiquait son respect des hiérarchies et de l’étiquette, avec d’autant plus de force que la reine cherchait par sa singulière attitude à lui faire oublier cette hiérarchie.

– Marquis, reprit-elle, convenons d’une chose. C’est qu’en ce moment, je ne suis pas la reine, mais seulement une amie… une véritable et sincère amie… Mais comme vous avez donc changé, mon pauvre Pani! Est-ce bien vous que je revois si pâle, si amaigri, presque décharné?… Qui vous a réduit à cet état? Je ne suppose pas que ce soit la discipline monacale… Parlez-moi donc franchement… Peut-être y a-t-il des remèdes au mal qui vous ronge…

Tandis que Catherine s’exprimait ainsi avec une sorte d’enjouement et prenait cette nouvelle incarnation d’une femme qui oublie son rang pour ne songer qu’à l’amitié, le moine avait accentué la raideur de son maintien.

Il avait à demi ramené son capuchon qui retombait presque sur les yeux.

Ses bras s’étalent croisés, et ses mains disparaissaient sous les larges manches.

En sorte qu’on ne voyait plus rien de lui que le bas de son visage émacié, une bouche sans sourire.

– Madame, dit-il d’une voix grave, vous me demandez de la franchise. En voici. Lorsque je suis arrivé à la cour de France, vous vous êtes figurée que j’étais un émissaire des républiques italiennes et que je venais conspirer avec le maréchal de Montmorency. Vous avez supposé que j’étais porteur de redoutables secrets. Alors, pour m’arracher ces secrets, vous avez lancé sur moi une de vos espionnes. Cette femme n’a pas tardé à se convaincre que je ne songeais guère à conspirer. Dès lors, vous fûtes rassurée, et Votre Majesté daigna même alors me faire des offres que je fus obligé de décliner. Vous me proposiez en effet de devenir un homme de parti, alors que jeune, débordant de vie et de passion, je ne songeais qu’à aimer la vie dans toutes ses manifestations. Malgré mon refus, Votre Majesté voulut bien m’honorer en effet de son amitié… peut-être espériez-vous qu’un jour viendrait où quelque grande catastrophe ayant fait dévier ma vie, je serais entre vos mains un instrument de politique plus complaisant… Daigne Votre Majesté ne pas s’offenser de la violence de ma franchise…

– Mais je ne me fâche pas, mio caro, dit Catherine en accentuant son sourire. Je me demande seulement comment vous avez su que j’avais soupçonné en vous un espion des princes italiens.

– De la façon la plus naturelle, madame: la femme que vous aviez lancée sur moi est tombée malade.

– Des suites de ses couches, je le sais… car vous êtes père, mon cher marquis.

Un effrayant sanglot râla dans la gorge du moine. Mais telle était la puissance de cet homme sur lui-même que ce sanglot ne parvint à l’oreille de Catherine attentive que comme un faible soupir.

– C’est vrai, continua le moine. Cette femme devint mère… Une nuit, elle m’avait volé mes papiers pour vous les remettre. C’est ainsi que j’ai appris qu’elle était une de vos créatures… Lorsqu’elle devint mère et qu’elle fut malade, dans son délire, elle m’instruisit de ce que vous aviez médité contre moi. Ce fut alors que je lui fis écrire cette lettre où elle s’accusait elle-même d’avoir tué son fils. Et moi, pour me venger, sachant l’usage que vous en feriez, je vous remis cette lettre.

– Ah! ah! vous aviez donc pensé que je ferais juger Alice et que le bourreau serait chargé de votre vengeance!… Mes compliments, mon cher.

– Non, madame; bien que je fusse un peu ce qu’on appelle un cerveau brûlé, je n’en avais pas moins le don d’observer, et je vous avais observée, je vous connaissais… C’est vous dire, madame, que je vous savais incapable d’un acte aussi mesquin et aussi peu profitable que de tuer une femme d’un seul coup. Je pensais qu’armée de cette lettre, vous obligeriez cette femme à devenir votre esclave; je pensais qu’un jour viendrait où elle aimerait; je pensais que vous n’auriez pas la générosité de couvrir son passé; je pensais que ce jour-là, elle souffrirait ce que j’avais souffert et que je serais vengé… Vous m’avez demandé de la franchise, madame…

– Oui. En voilà, et de la vraie! Mais je ne vous en veux pas, au contraire! Vous êtes un homme supérieur, marquis, et je pense que si vous me haïssez, vous m’estimez du moins à ma valeur, vous me savez capable d’oublier une offense, du moment que je puis tirer parti de celui qui m’offense.

– Ah! madame, s’écria le moine avec un sombre accent de désespoir, bénie serait la minute où, pour vous avoir offensée, vous me livreriez moi-même au bourreau! Car je serais alors délivré de cette existence que je n’ai pas le courage de terminer moi-même! Quant à tirer parti de moi… regardez-moi, madame, je ne suis plus qu’une loque humaine… le monde n’existe plus pour moi… J’ai eu un moment l’espoir qu’à force de tourmenter mon cerveau, j’en arriverais à croire en Dieu…

– Et vous ne croyez pas?