Изменить стиль страницы

Gillot qui, malgré la résignation qu’il cherchait à acquérir par avance, ne songeait pas sans amertume à la singulière destinée qui menaçait de faire de lui un être phénoménal, Gillot, pâle et tremblant, répondit:

– Je pense, monsieur, à ce que je pourrais bien dire pour vous persuader de ma bonne foi. Pendant que j’ai encore une langue, je voudrais m’en servir pour vous jurer obéissance et fidélité…

Pardaillan se mit à rire.

– Je ne vois pas, monsieur, reprit Gillot offensé, ce qu’il peut bien y avoir de risible dans les menaces que vous m’avez fait l’honneur de m’exposer. Je suis déjà sans oreilles. Si vous m’enlevez la langue, que me restera-t-il?

– Imbécile! puisque je ne te l’arracherai qu’au cas où tu nous trahirais, tu n’as rien à craindre si tu es fidèle.

– C’est juste, dit Gillot frappé par ce raisonnement.

– Voyons donc. Quel genre de services peux-tu nous rendre? Parle sans ambages.

– Eh bien, monsieur, je n’ai pas été sans m’apercevoir qu’il existe quelque inimitié entre vous et Mgr de Damville. Je crois que si vous pouviez occire ce digne seigneur, vous n’hésiteriez guère. Et je puis vous affirmer que si vous tombiez aux mains de mon ancien maître, au bout de cinq minutes, vous vous balanceriez dans le vide, une bonne corde au cou, ce qui ne laisserait pas que de me fâcher fort, je vous assure.

– Continue, Gillot. Sais-tu que tu parles bien?

– Merci, monsieur. Je continue donc. Je suppose que vous soyez tenu au courant des faits et gestes de Mgr de Damville, et que vous connaissiez, à n’en pas douter, ses véritables intentions? Voilà, je pense, qui vous permettrait de vous défendre?

– Mais tu es vraiment moins bête que tu n’en as l’air, Gillot.

– C’est-à-dire que mon petit plan vous convient.

– Oui, mais comment ferai-je pour savoir ce que veut entreprendre le maréchal?

– Eh bien, monsieur, dit Gillot triomphant, voilà justement où je puis vous servir!

– Toi! mais comment? puisque tu ne peux plus rentrer à l’hôtel de Mesmes.

– C’est vrai que je n’y peux plus rentrer sous peine de mort. Car monseigneur et mon oncle, non content de me couper les oreilles, m’ont déclaré que je serais pendu si je reparaissais jamais en leur présence.

– Alors? Comment feras-tu?

– Monsieur, avez-vous jamais entendu dire que ce que femme veut, Dieu le veut?

– Sans doute.

– Eh bien, il y a une femme, ou plutôt une jeune fille à l’hôtel de Mesmes. Elle s’appelle Jeannette.

– Ah! ah! fit Pardaillan qui se rappela ce que le chevalier lui avait raconté.

– Or, continua Gillot, Jeannette m’aime et nous devons nous marier.

– Elle t’aime? C’est impossible.

– Pourquoi cela, monsieur? fit Gillot étonné.

– Parce que Jeannette, d’après le peu que j’en sais, est une fine mouche.

– Et vous me trouvez trop benêt pour être aimé d’une pareille fille? Je vous remercie, monsieur, car voilà le plus bel éloge que j’ai entendu faire de ma fiancée.

– Par ma foi, Gillot, je commence à croire que je me suis trompé sur ton compte. Tu m’as l’air d’un rusé compère…

«Ouais! pensa Gillot, ne découvrons pas d’un coup tout notre esprit, sans quoi il se méfiera!»

Et il reprit:

– Quoi qu’il en soit, monsieur, Jeannette m’aime, et je peux lui faire faire tout ce que je voudrai. Et comme, d’après votre propre estime, c’est une fine mouche, elle saura, si je veux, tout ce qui se dit, se fait et se pense dans l’hôtel de Mesmes; elle me le répétera, et je vous le répéterai, voilà!

– Admirable!… Gillot, je te proclame aussi rusé que le sage Ulysse en personne!

– Mon plan vous convient donc? demanda Gillot avec inquiétude.

– Il me convient. Et que demandes-tu pour me servir ainsi?

– Je vous l’ai dit: de m’aider à me venger de mon oncle qui m’a coupé les oreilles.

– Bon! je te promets de te livrer ce vieux Satan pieds et poings liés, et tu en feras ce que tu voudras. Voyons, que lui feras-tu?

– Monsieur, je lui rendrai la pareille! dit Gillot d’un air féroce.

– Bravo!… Et quand commenceras-tu à entrer en campagne?

– Dès le plus tôt…

– C’est bon. Maintenant, songe que si je suis content de toi, non seulement tu seras vengé de ton avare d’oncle, mais encore tu auras des écus à n’en savoir que faire.

Gillot prit aussitôt un air de jubilation qui acheva de persuader entièrement le vieux routier.

C’est ainsi que le plus fin renard peut parfois se laisser prendre.

Il faut dire aussi que Gillot, matois et retors comme son oncle, avait admirablement joué son rôle. Quoi qu’il soit, il fut installé dans l’hôtel Montmorency, qui abrita dès lors un traître.

Gillot ne perdit pas son temps.

Il passa le restant de la soirée et la journée du lendemain à étudier le plan de l’hôtel Montmorency.

Le surlendemain, il sortit après avoir dit à Pardaillan qu’il allait voir Jeannette et s’entendre avec elle. Le drôle se rendit à l’hôtel de Mesmes, en s’assurant tous les cent pas qu’il n’était pas suivi.

– Eh bien? lui demanda l’oncle Gilles.

– Eh bien, mon oncle, je suis dans la place!

Gilles regarda son neveu avec une certaine admiration. Puis il alla chercher une feuille de papier, une plume, de l’encre, installa Gillot devant une table et lui dit:

– Explique…

Et Gillot expliqua. C’est-à-dire qu’il commença par tracer un plan de l’hôtel Montmorency qui, tout grossier qu’il était, n’en devait pas être moins précieux.

Au fur et à mesure, il commentait son plan et Gilles prenait des notes.

– Là, à gauche, mon oncle, voyez-vous, c’est un grand bâtiment pour les hommes d’armes et les chevaux.

– Combien d’hommes?

– Vingt-cinq, mon oncle, et bien armés de bonnes arquebuses.

– Bon. Continue…

– Voyez, mon oncle, reprit Gillot, ce bâtiment que je vous signale est placé en arrière de la loge du Suisse… en face la loge, ce carré que je dessine maintenant représente un bâtiment pareil à celui des gens d’armes.

– Et que contient-il?