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– Il sert de logis à une dizaine de gentilshommes dévoués au maréchal et qui sont venus s’installer dans l’hôtel à tout hasard.

– Vingt-cinq et dix, cela fait trente-cinq hommes, observa Gilles.

– Justement; mais ce n’est pas tout; et même cela n’est rien.

– Comment il y aurait donc une autre garnison?

– Il y a M. le chevalier et son père… le coupeur de langues! dit Gillot en frémissant.

– Que veux-tu dire, imbécile?

– Rien, mon oncle, sinon que les deux damnés Pardaillan valent peut-être à eux seuls les vingt-cinq gens d’armes et les dix gentilshommes…

– C’est possible. Et où sont-ils logés, ces deux enragés?

– Attendez, mon oncle. Le deuxième étage du bâtiment aux gentilshommes est occupé par les laquais au nombre d’une quinzaine. Bon. Maintenant, vous voyez que le bâtiment des écuries et gens d’armes et le bâtiment des gentilshommes sont séparés par ce carré qui représente une cour pavée. Au fond de ce carré se dresse l’hôtel lui-même, c’est-à-dire l’habitation du maréchal de Montmorency. Vous voyez que ce logis ne touche pas aux deux autres constructions, en sorte que l’hôtel est complètement isolé. En arrière, il y a un jardin.

– Je vois. Parle-moi donc de ce logis isolé.

– C’est là, je vous dis, qu’habite le maréchal; c’est là, dans des appartements ayant vue sur le jardin que logent les deux dames; c’est là aussi que sont logés les deux Pardaillan.

Gillot, ayant achevé son plan, le remit alors à son oncle.

Le maréchal de Damville connaissait parfaitement l’hôtel de Montmorency. Le plan de Gillot ne devait donc pas lui servir à s’y guider; mais ce plan lui indiquait comment était disposées les forces de l’hôtel, et c’est cela qui pouvait lui être précieux.

L’oncle Gilles ne marchanda pas les éloges à son neveu, mais il ajouta:

– Il faut maintenant que nous soyons tenus au courant de ce qui se passe là-bas. Il faut donc que tu trouves le moyen de venir ici tous les deux ou trois jours, et au moment voulu, je te dirai ce que tu auras à faire.

– Ce moyen est tout trouvé, dit paisiblement Gillot.

– Explique-moi cela?

– Dame! M. de Pardaillan croit que je viens ici pour vous espionner: oui, je lui ai fait croire cela!

Gilles répondit:

– Gillot, jamais plus je ne t’appellerai imbécile! Encore quelques efforts et tu auras conquis le fameux coffre qui, à ce que tu m’as assuré toi-même, t’avait tant ébloui.

Gillot quitta donc l’hôtel de Mesmes, radieux et convaincu que sa fortune était faite.

– Que vais-je bien raconter au Pardaillan? réfléchit-il, chemin faisant.

Il eut soudain un tressaillement.

– Mais, s’écria-t-il en lui-même, puisque je vais avoir un trésor pour dire ce qui se passe à l’hôtel de Montmorency, pourquoi n’en aurais-je pas un autre en racontant ce qui se passe à l’hôtel de Mesmes?

Cette idée parut géniale à Gillot.

Trahir des deux côtés, c’était recevoir des deux mains, n’était-ce pas la suprême sagesse? Gillot s’affirma qu’il était impossible de pousser plus loin l’esprit et le courage.

Et il résolut de trahir son oncle auprès de Pardaillan comme il trahissait Pardaillan auprès de son oncle.

C’est là le secret de bien des fortunes «honorablement acquises par une vie de labeur et de conscience».

Gillot résolut d’être honorable, laborieux, consciencieux, et par ainsi de faire double fortune.

Aussi, lorsqu’il rentra à l’hôtel de Montmorency, s’empressa-t-il de dire à Pardaillan:

– Ah! monsieur, j’en ai de belles à vous raconter. Je viens de voir Jeannette, et je suis sûr que je vais vous intéresser.

– Décidément, songea Pardaillan, j’ai fait là une précieuse acquisition!

IX PANIGAROLA

Pendant toute cette période, le révérend Panigarola, qui s’était naguère signalé par la violence de ses attaques contre les huguenots, ne parut pas en chaire.

Il avait même renoncé à ses sinistres fonctions de «crieur des morts».

Il vivait retiré en son couvent de la montagne Sainte-Geneviève.

À quoi songeait-il? Que méditait-il?…

Deux jours après les funérailles royales qui furent faites à Jeanne d’Albret, vers la tombée de la nuit, une litière de bourgeoise apparence s’arrêta devant le couvent des Barrés.

Deux femmes en descendirent et entrèrent dans le parloir. Elles étaient voilées de noir.

Le frère portier leur ayant demandé ce qu’elles voulaient, la plus jeune répondit qu’elles désiraient parler à l’abbé lui-même.

Le moine ayant répondu en levant les bras au ciel qu’on ne parlait pas ainsi au révérendissime abbé du couvent, et que d’ailleurs les femmes n’avaient pas le droit d’entrer dans le saint monastère, la plus vieille ou du moins celle qui paraissait telle tira une lettre de son sein et la remit au portier.

– Portez cela à M. l’abbé, dit-elle. Et hâtez-vous, si vous ne voulez être châtié.

Cette femme parla d’un tel ton d’autorité que le moine abasourdi se hâta d’obéir. Il paraît qu’elle était femme de qualité, car à peine l’abbé eut-il parcouru la lettre, qu’il pâlit, se troubla, et s’empressa de courir au parloir; événement extraordinaire, car l’abbé du couvent était un haut personnage et de mémoire de moine, il ne s’était jamais ainsi dérangé pour personne.

Que devint la stupéfaction du digne frère portier lorsqu’il vit son abbé s’incliner avec humilité devant la femme voilée de noir!

Et cette stupéfaction elle-même devint presque du scandale lorsque l’abbé, après quelques mots prononcés à voix basse, introduisit la femme dans le couvent et la guida à travers les longs couloirs déserts.

La plus jeune était demeurée au parloir.

L’abbé, suivi de la dame voilée, s’arrêta enfin devant une cellule.

Et cette cellule, c’était celle du révérend Panigarola.

Les portes des cellules étaient toujours ouvertes.

– C’est là! murmura l’abbé qui aussitôt se retira.

La femme entra.

Panigarola en l’apercevant se redressa soudain, les sourcils froncés.

La femme laissa alors tomber son voile et découvrit son visage.

– La reine! murmura le moine.