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Panigarola fut agité comme par une secousse électrique.

«Touché!» fit Catherine en elle-même. Et tout haut elle ajouta:

– Adieu, marquis. Je vais méditer l’homélie dont vous m’avez gratifiée touchant la vanité de la puissance royale et le néant de l’amour.

– L’homme qu’elle aime! murmura Panigarola livide.

– Eh oui! M. le comte de Marillac, ami fidèle du roi de Navarre. Ce digne huguenot épousera son Alice dès que les noces du Béarnais seront accomplies, il l’emmènera là-bas dans son pays et, comme la paix régnera dans le royaume, comme catholiques et réformés se jurent amitié, rien ne viendra troubler le parfait bonheur des jeunes époux. Ils auront beaucoup d’enfants et donneront au monde l’exemple d’un amour sans mélange.

Ce que Panigarola souffrit dans cet instant, lui seul eût pu le dire. L’infernale Catherine venait d’un seul mot de réveiller en lui tous les démons de la jalousie. Marillac!… Il avait fini par l’oublier! À force de s’hypnotiser dans la pensée d’Alice, à force de supputer ce qu’elle avait dû souffrir, oui, il avait eu pitié d’elle… Qu’elle disparût de sa vie, qu’elle allât achever en quelque coin ignoré une existence apaisée… certes, il ne la poursuivrait pas! Il se trouvait assez vengé, et parfois même il se demandait s’il n’avait pas été au-delà de son désir de vengeance.

Des rêves de pardon l’avaient hanté, aussi.

Qui savait si, un jour, il ne conduirait pas auprès d’Alice le petit Jacques Clément?

– Vous avez assez payé votre crime, lui dirait-il, embrassez votre enfant!

Dans ces rêves heurtés, dans cette sombre recherche de l’apaisement, dans ces tragiques combats que l’amour et la pitié se livraient en lui le comte de Marillac n’existait plus.

Un mot de Catherine de Médicis le fit revivre dans l’esprit du moine.

C’était pourtant une belle âme que ce jeune homme enthousiaste, ardent, passionné! Il s’était pourtant élevé très haut dans les sereines régions du pardon!

Mais la passion devait être la plus forte! S’il pardonnait à l’amante malheureuse, il ne pardonnait pas au rival heureux!

Peut-être à ce moment haïssait-il Marillac autant qu’il aimait Alice.

La reine avait suivi sur le visage du moine les ravages qu’elle venait de faire dans son cœur en évoquant le bonheur du rival.

– L’homme qu’elle aime! avait répété Panigarola.

– Vous avez pitié de celui-là aussi? dit Catherine. Je vous jure que lui n’aurait pas pitié de vous.

Et brusquement, le moine comprit qu’il voulait tuer Marillac.

Il comprit le sens de ce qu’il appelait sa pitié: Alice ne devait être à personne! Et Marillac devait disparaître!

– Que la femme vive! gronda-t-il. Qu’elle vive en paix, autant que la paix peut descendre en elle! Mais l’homme!… ah! l’homme! C’est autre chose!…

– Allons donc! dit Catherine. Que pouvez-vous contre lui?

– Rien! fit le moine, qui grinça des dents. Mais vous pouvez tout, vous!

– C’est vrai. Mais que m’importe? Que Marillac épouse Alice de Lux, qu’ils s’aiment, qu’ils s’adorent, qu’ils affichent leur bonheur comme ils l’affichaient au Louvre le soir où Jeanne d’Albret, leur bienfaitrice, est morte sans qu’ils s’en aperçussent, tellement ils étaient occupés à se sourire, qu’ils s’en aillent, enfin, qu’est-ce que tout cela peut me faire?…

– Qu’êtes-vous venue faire ici! éclata le moine. Vous êtes la reine! Je dis la reine la plus puissante de la chrétienté! Les instructions que j’ai reçues de Rome vous indiquent comme la maîtresse absolue des destinées catholiques! Reine, je vous ai parlé sans respect; chef des catholiques, je vous ai crié que je n’ai ni foi ni croyance! Et vous ne me faites pas saisir pour me jeter en quelque cachot, pour offrir ma mort en exemple aux hérétiques! Pourquoi m’écoutez-vous avec tant de mansuétude?… Madame, vous avez besoin de moi pour assouvir une vengeance que j’ignore, pour servir de ténébreux projets! Eh bien, soit! Je me donne à vous! Pour le temps nécessaire, je consens à reparaître dans le monde des vivants! Puis, lorsque j’aurai tué l’homme qui est aimé d’Alice, vous me ferez mourir à mon tour.

– Enfin, je vous retrouve! dit gravement Catherine. Tout ce que vous avez dit, je l’oublie. Je suis venue vous trouver parce que j’ai besoin de vous. Et je comptais sur votre aide parce que je connaissais votre haine pour Marillac.

– Parlez donc! Parlez, madame! Si vous étiez Satan, je vous dirais que j’aime mieux damner mon âme plutôt que de porter en moi l’effroyable souffrance de la jalousie! Délivrez-moi de cette jalousie, madame, et prenez mon âme!

– Je la prends! dit Catherine avec un calme étrange.

Panigarola avait enfoncé ses mains sous sa robe et ensanglantait ses ongles sur sa poitrine.

Pitié, amour, douleur, tout disparaissait de lui.

Il était seulement l’homme qui hait.

Catherine, sûre désormais d’avoir conquis le moine, reprit avec une simplicité d’accent qui eût pu paraître plus terrible que les cris d’angoisse du moine:

– En somme, que voulez-vous? Qu’Alice ne soit pas la femme du seul homme qu’elle ait jamais aimé? Vous voulez tuer cet homme. Et vous voulez aussi qu’Alice ne sache pas que le meurtrier, c’est vous. Car vous aimez, car vous espérez encore! Eh bien, tout cela est facile si vous me donnez en échange l’aide que je suis venue vous demander.

– Je suis prêt, dit Panigarola dans un souffle.

Alors, Catherine, d’une voix basse et rapide:

– Écoutez. Par votre éloquence emportée et sauvage, vous êtes devenu l’homme qui peut bouleverser Paris. Pourquoi, tout à coup, avez-vous gardé le silence? C’est votre affaire. Mais maintenant, je vous dis: Remontez dans la chaire, parcourez les églises de Paris, parlez, parlez encore comme vous parliez…

– Que m’importent les prédications, maintenant!

– Insensé! Oubliez-vous que Marillac est huguenot?

– Vous avez fait la paix! Henri de Béarn épouse Marguerite de France!

– Et le lendemain, Marillac épouse Alice!

Panigarola poussa un effroyable soupir.

– La paix est faite, reprit Catherine avec un livide sourire. Et j’espère qu’elle sera maintenue. Mais il y a parmi ces huguenots une centaine de mauvaises têtes que jamais je ne pourrai réduire à la raison. Il s’agit de les faire disparaître. M’entendez-vous? Un procès est impossible. Le procès de cent huguenots serait le signal de nouvelles guerres. Mais si le peuple, dans un jour de colère, tue ces hommes, s’ils disparaissent dans une tourmente, et que le roi désavoue ces meurtres, que je les désavoue aussi, la paix est à jamais consolidée. Or, que faut-il pour cela? Surexciter les passions, mettons les superstitions du peuple, le démuseler pour un jour, ouvrir la cage de ce fauve, lui montrer ses victimes!… Pour cela, il faut votre terrible éloquence!… Si vous le voulez, les haines mal éteintes vont se rallumer. Si vous parlez, Coligny, Téligny, Condé, Marillac, une centaine de huguenots en tout seront broyés par cette redoutable force qui s’appelle le peuple de Paris! Parlez! ne ménagez rien! Accusez hardiment la complaisance du roi: je vous couvre! E je vous délivre de l’amant d’Alice… Voyons, répondez-moi… Sommes-nous amis? Puis-je compter sur votre aide?