Изменить стиль страницы

Cette extermination se préparait, sans qu’elle fût encore positivement résolue.

Catherine redoutait les huguenots qui étaient capables de soutenir les prétentions qu’elle supposait à Henri de Béarn.

Elle redoutait les Guise, qu’elle supposait aussi férus d’un amour sans borne pour la puissance royale.

Elle redoutait le comte de Marillac, enfant d’une faute qui, si elle était découverte, ferait d’elle la risée de la cour.

Enfin, en correspondance permanente avec Rome, elle subissait, peut-être sans s’en rendre compte, la pression effroyable du saint-office inquisitorial.

Faire massacrer les huguenots par les Guise, et les Guise par les huguenots, assurer la disparition du comte son fils, et se ménager à jamais dans Rome le plus puissant des appuis, telle dut être sa pensée conductrice.

Le résultat de la victoire était de placer le duc d’Anjou sur le trône, dès la mort, escomptée, de Charles IX.

Et de gouverner en souveraine maîtresse sous le nom de son fils préféré.

Toute cette laborieuse combinaison était sur le point d’aboutir: par Alice et Panigarola, elle tenait Marillac; Charles IX, épouvanté et tremblant, persuadé que les huguenots conspiraient sa mort, devenait un instrument docile; les Guise étaient prêts à se ruer dans Paris, le fer et la torche à la main.

Catherine était donc plus paisible, plus heureuse que nous ne l’avons jamais vue.

Ses impatiences ont cessé: elle attend tranquillement que sonne l’heure épouvantable.

Si nous passons de la reine au comte de Marillac, de la mère au fils, nous voyons que Déodat vient de recevoir le double coup d’un bonheur imprévu.

Le pauvre jeune homme s’imagine avoir enfin touché le cœur de sa mère, et Catherine l’amuse par la fantasmagorie de sa maternité à demi avouée.

De plus, le comte a retrouvé toute sa sérénité d’amour pour Alice.

Les soupçons vagues imprécis qu’il a pu concevoir, se sont évanouis sous le souffle de Catherine. Il n’a pas cessé un moment d’adorer Alice de Lux; mais maintenant, il est sûr d’elle.

L’époque de son mariage approche.

Que fera-t-il après ce mariage? Demeurera-t-il à la cour de France, comme son cœur l’y invite? S’en ira-t-il à l’étranger comme sa fiancée l’y incite? Il ne sait pas encore…

Tout ce qu’il sait, c’est qu’Alice est pure, c’est qu’Alice l’aime, et devant un tel bonheur, le reste ne compte pas.

Un grand chagrin, pourtant, a traversé cette félicité:

Jeanne d’Albret est morte!…

C’est-à-dire tout ce que le comte a vénéré jusque-là! tout ce qui lui apparaissait comme la bonté souveraine, la raison de vivre en oubliant le malheur initial de sa vie!

Mais ce chagrin lui-même s’efface lorsque Déodat songe qu’il a retrouvé une mère et une fiancée…

Encore un qui est heureux!…

Quant à Alice de Lux, la mort de Jeanne d’Albret lui a ôté le plus cruel de ses soucis. Seule, la reine de Navarre eût eu intérêt à la séparer du comte. Seule, elle pouvait et devait la dénoncer… La reine morte, Alice a respiré.

Catherine de Médicis lui a promis la suprême récompense de ses services.

Elle épousera le comte de Marillac!…

Encore une qui se persuade qu’après tant d’orages, elle est enfin arrivée au port d’un bonheur si durement conquis!…

Charles IX attend sans impatience le grand événement que lui a promis sa mère. Il ne sait pas au juste ce qui doit se passer. Mais il sait que l’événement doit consolider son trône. Il sait qu’il n’y aura plus de tracas, plus d’ennuis, plus de guerres; il pourra courir les bois, chasser le cerf et le sanglier, sans se demander à chaque instant si l’un des chasseurs qui l’accompagnent ne va pas le tuer: il pourra étudier de nouveaux airs sur le cor: enfin, vivre à sa guise.

Dès lors, pense-t-il, les crises effrayantes qui, à la moindre émotion, le jettent dans des délires tantôt furieux, tantôt désespérés, ces crises ne se renouvelleront plus. Il régnera sans conteste, c’est-à-dire qu’il emploiera aux commodités de sa vie tout ce qu’un peuple entier peut produire de richesse, de génie, de science et d’art. Entouré de poètes parce qu’il aime les jolis vers, de ciseleurs et d’orfèvres parce qu’il aime les belles ferronneries, de chasseurs parce qu’il aime les courses au grand air, il se délassera de ses travaux de ferronnier en courant le cerf, de la chasse en écrivant des poésies, de la littérature en soufflant du cor, et ce sera le parfait bonheur: plus de huguenots, ni de catholiques, plus de gens d’armes, plus de menaces, plus de sang.

Il pourra librement, tout seul, vêtu en bourgeois, parcourir sa bonne ville, s’arrêter parfois dans quelque guinguette, et finir toutes ses excursions chez Marie Touchet qu’il aime sans passion, mais avec une tendresse profonde. Voilà ce que rêve cet enfant de vingt ans: pour le reste, il a ses conseillers, ses parlements, ses chanceliers et ses ministres qui s’occuperont de l’administration de son royaume.

Voilà ce que lui a promis Catherine, et c’est cela qu’il attend, sans trop y croire, car ce serait trop beau, songe-t-il. Mais enfin… sa mère est si énergique dans ses promesses qu’il faut bien qu’il y ait quelque grand événement en préparation… Le roi Charles IX attend… il attend le bonheur.

Et justement, dans cette période, il est tout souriant. Il sourit aux catholiques, aux huguenots, à sa mère, à son frère d’Anjou qu’il déteste, à Henri de Béarn qu’il redoute, à Coligny qui le veut assassiner, d’après ce que Catherine lui a assuré. Charles est déjà tout heureux. Son sourire est sincère.

Il a bonne mine, c’est-à-dire qu’au lieu d’être livide comme à son ordinaire, il est simplement pâle.

Il semble même qu’il y ait une sorte de fierté dans ses yeux, une fierté qui étonne ses courtisans, inquiète Guise, et fait rêver Catherine. Chacun, dans le Louvre, se demande pourquoi le petit Charles est si fier, pourquoi ce malheureux se dilate, pourquoi il redresse sa pauvre moustache d’un air conquérant, et chacun se met l’esprit à la torture pour deviner quelle secrète pensée anime le roi.

Simplement, il s’est passé une chose que toute la cour ignore:

Marie Touchet a accouché d’un beau garçon bien râblé, solide, criard, plein de vie: Charles IX est père!… Un nouveau petit Valois est au monde; et le roi songe quel titre il pourra bien lui conférer [12].

Marie Touchet qui aime le roi, qui s’effraye des grandeurs, qui rêve d’une existence douce et tendre où son Charles ne serait pas roi, mais un bon bourgeois heureux d’aimer et d’être aimé, Marie Touchet a supplié son royal amant de ne pas faire le malheur de l’enfant en le marquant pour ainsi dire d’un titre qui, plus tard, lui rappellerait sa naissance et lui donnerait de funestes ambitions… mais le roi a souri: il veut que l’enfant de son amour s’approche le plus près possible du trône!

вернуться

[12] L’enfant reçut le titre de duc d’Angoulême. (Note de M. Zévaco.)