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Pénétrons maintenant dans l’hôtel de Montmorency. Là se trouvent cinq personnages qui nous intéressent et qui – nous osons du moins l’espérer – intéressent également le lecteur.

D’abord, nos deux héros d’amour: le chevalier de Pardaillan et Loïse de Piennes de Montmorency.

Depuis qu’ils se sont dit leur amour, ils se parlent à peine. Et qu’est-il besoin de paroles? Il n’est pas une pensée du chevalier qui n’aille à Loïse: il n’est pas un battement du cœur de Loïse qui ne soit pour le chevalier. Ils le savent. Leurs attitudes, l’accent de leur voix lorsqu’ils se disent les choses les plus insignifiantes, tout proclame leur amour. Ni l’un ni l’autre ne semble croire à l’effroyable orage qui s’amasse sur leurs têtes. Pour Loïse, c’est bien simple: elle mourrait en ce moment sans s’apercevoir qu’elle meurt, pourvu que lui fût près d’elle! Et quel danger est possible quand le chevalier est là? Elle n’a pas confiance: elle est la confiance même.

Quant au chevalier, sûr de l’amour de Loïse, il croit n’avoir plus rien à redouter de la fortune adverse. Pourtant, il ne se croit pas certain d’être uni un jour à Loïse. Le maréchal de Montmorency a déclaré que sa fille est destinée au comte de Margency. Le chevalier de Pardaillan ne connaît pas ce comte, mais il fera tout au monde pour le rencontrer, et, l’épée à la main, lui disputera sa fiancée. Il la disputera au maréchal s’il le faut!

En attendant, il vit dans une sorte d’engourdissement du cœur, tandis que son esprit alerte demeure actif. Quand il y songe, il trouve tout naturel que Loïse l’aime; les choses devaient s’arranger ainsi… à d’autres moments, au contraire, il éprouve de cet amour un prodigieux étonnement… Il est comme un homme qui, d’une chambre obscure, entrerait tout à coup dans une salle de spectacle pleine de bruit, de lumières, de parfums, et qui, pendant quelques instants, demeure ébloui. Ainsi, dans le cœur du chevalier, il y a des lumières, des parfums et des musiques; seulement l’éblouissement dure des jours au lieu de secondes.

Cela ne l’empêche pas de rechercher activement deux choses. La première, c’est le moyen de sauver définitivement Loïse, c’est-à-dire de sortir de Paris; la deuxième, c’est de savoir qui est le comte de Margency que le maréchal a choisi pour fiancé à Loïse.

Pendant ce temps, le vieux Pardaillan demeure à l’affût. Il fait manœuvrer son Gillot et échafaude un plan que nous ne tarderons pas à voir se développer sous nos yeux. Le vieux renard est inquiet. Il flaire, il ne sait trop quel immense danger. Au fond, il a confiance, et son esprit de ruse devient de l’esprit d’audacieuse entreprise; nous allons le voir à l’œuvre.

La pauvre Jeanne est folle. Que dire de plus? C’est peut-être la plus heureuse. Sa douce et tendre folie l’a ramenée aux beaux jours de sa première jeunesse. Elle se croit à Margency. Par un phénomène assez rare, sa santé physique est entièrement rétablie; les étouffements ont disparu: le cœur bat normalement; elle caresse un rêve inépuisable…

Le maréchal de Montmorency, tenu à l’écart par les chefs huguenots parce qu’il a refusé de s’associer à l’entreprise d’Henri de Béarn, alors que la paix n’était pas déclarée, est d’autre part, haï de la Cour, parce qu’on l’accuse de bienveillance pour les huguenots: les partis politiques ne comprennent pas l’indépendance chez un homme influent. Il faut que cette influence soit mise au service de l’un ou de l’autre. L’homme qui ne veut écraser personne, qui conçoit le droit à la vie pour tous est un être dangereux: ne vouloir être ni le loup ni l’agneau, c’est une conception bizarre qui étonne et paraît menaçante.

Mais François de Montmorency ne cherche pas l’estime et l’admiration de ces concitoyens, pour la raison bien simple qu’il ne les estime ni ne les admire. Il a vu trop d’ambitions déchaînées autour du trône; il a vu trop de pensées criminelles, trop d’hypocrisies, trop de férocité: il ne rêve plus que la retraite au fond de son manoir… C’est un homme brisé par les douleurs qu’il a subies et qui s’imagine avoir trouvé un bonheur relatif dans cette retraite parmi les siens.

Voilà donc, d’une façon générale, la position de tous nos personnages principaux.

Il plane sur cette situation un calme d’orage.

C’est ainsi que dans les minutes tragiques qui précèdent la tempête, les arbres de la forêt demeurent immobiles; pas un souffle ne traverse l’espace; l’Océan semble s’aplatir dans une torpeur qui peut ressembler à du repos; le ciel, sans être pur, n’offre rien de menaçant, et les buées grises dont il se couvre paraissent devoir se dissiper bientôt sous l’effort d’un soleil qu’on aperçoit livide et sans rayons.

Tout à coup ce ciel devient noir; une rafale énorme balaye les airs, la tempête bat les horizons, saute, bondit, mugit; les arbres hurlent d’effroi; l’Océan se cabre d’épouvante…

XI ENTREVUE DE DAMVILLE ET DE PARDAILLAN

Nous transporterons maintenant nos lecteurs à l’hôtel de Montmorency, par une chaude soirée des premiers jours d’août. Dans la chambre qu’il occupait à l’hôtel, le vieux Pardaillan achevait de s’habiller en guerre, en sifflotant une fanfare de chasse.

C’est-à-dire qu’il endossait la casaque de cuir et ceignait sa longue rapière, non sans s’être assuré que la pointe n’en était pas émoussée. En outre, il se munissait d’une courte dague, présent de Montmorency, portant la marque des fabriques de Milan.

– Par Pilate, grogna-t-il, j’étouffe dans cette cuirasse; mais j’espère que sous peu, je pourrai m’en débarrasser.

Il était à ce moment neuf heures du soir et le lourd crépuscule d’été commençait à voiler Paris.

Lorsqu’il fut prêt, le vieux routier se jeta dans un fauteuil, les jambes croisées, la rapière en travers des genoux, et se mit à réfléchir.

– Dois-je prévenir le chevalier? Non, par la mordieu! Il voudrait me suivre, car il n’en fait qu’à sa tête. Or, je veux être seul à traiter cette petite affaire. En effet, de deux choses l’une: ou mon ancien maître se trouvera seul, comme me l’a affirmé cet animal de Gillot, et alors, je n’ai pas besoin d’aide. Ou je tombe dans un traquenard, et il est inutile que le chevalier soit tué en même temps que moi… Oui, mais si je suis tué!… Hum! Je voudrais bien voir mon fils avant. Et puis, au fait, à quoi bon?

Pardaillan continua sa rêverie jusqu’au moment où il entendit sonner dix heures.

Alors, il descendit sans bruit, se fit reconnaître du Suisse et sortit de l’hôtel en prévenant le digne gardien qu’il rentrerait peut-être fort tard dans la nuit, parce qu’il était attendu de sa maîtresse qu’il n’avait pas vue depuis longtemps, et qu’en conséquence ladite maîtresse le retiendrait sans doute jusqu’à une heure avancée; que s’il ne rentrait pas du tout, ni la nuit, ni le lendemain, c’est que, sans aucun doute, il aurait entrepris un voyage.

Le Suisse demeura tout mélancolique des suites de cette confidence.

– Je n’aurais jamais cru qu’un homme pareil eût une maîtresse! songea-t-il. Fiez-vous aux apparences!

Cependant, Pardaillan s’était éloigné. Il descendit sans hâte jusqu’à la Seine et, comme le passeur était couché, s’en alla traverser le fleuve au Grand Pont, qui porte aujourd’hui le nom de Pont au Change parce que des boutiques de changeurs étaient établies sur ce pont.