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À ces mots, le maréchal se leva. Trois portes s’ouvraient sur cette salle: l’une par laquelle Pardaillan était entré; la deuxième qui donnait sur la chambre à coucher; la troisième qui ouvrait sur un cabinet d’armes.

Damville ouvrit la première, et Pardaillan aperçut douze gardes sur deux rangs, armés de hallebardes.

Le vieux routier hocha la tête, et Damville referma. Puis, du même pas tranquille, il ouvrit la deuxième porte, et une quinzaine de gentilshommes apparurent à Pardaillan: ils avaient tous l’épée à la main.

– Bonsoir, messieurs! dit le vieux routier en saluant.

Les gentilshommes demeurèrent immobiles et muets.

Cette deuxième vision disparut aussitôt, le maréchal ayant refermé la porte. Il alla alors ouvrir la troisième, et cette fois, ce furent six arquebusiers, prêts à faire feu, qui apparurent; derrière eux, Orthès, prêt à donner le signal d’une décharge.

Cette troisième porte refermée, le maréchal revint prendre sa place.

«Je suis pris!» se dit Pardaillan, qui ne put s’empêcher de frémir.

Mais peut-être qu’une idée soudaine traversa sa cervelle, car le maréchal, en s’asseyant, le vit sourire, et ce sourire décontenança Damville qui s’attendait à le voir pâle et tremblant.

– Causons maintenant, dit le maréchal en fronçant les sourcils. Mon cher monsieur, vous veniez pour m’assassiner.

– Non pas, monseigneur, je venais pour vous tuer, il est vrai, mais pour vous tuer en un combat loyal. Je comptais vous trouver seul. J’avais même prévu le cas où je vous eusse trouvé endormi. Alors, je vous eusse réveillé, je vous eusse prié de vous habiller, et je vous eusse dit ceci: «Monseigneur, vous gênez terriblement quelques braves gens qui ne demandent qu’à vivre heureux et tranquilles et que vous avez résolu d’occire. Vous avez fait assez de mal dans votre vie. Et c’est vous rendre un signalé service que de vous empêcher d’en faire encore. Voici votre, épée, voici la mienne. Défendez-vous bien, car j’ai la prétention de ne pas sortir d’ici sans vous avoir tué.» Voilà ce que je vous eusse dit, monseigneur. Et je suis prêt à vous le redire. Vous ouvrirez ces trois portes. Il y aura de nombreux témoins pour affirmer que monseigneur Henri de Montmorency, maréchal duc de Damville n’a pas été assassiné, mais bien tué légalement par la grâce de Dieu et de ma rapière.

Ce maréchal était une véritable bête féroce; mais il avait le culte du courage.

L’attitude paisible et narquoise de Pardaillan, ce sourire qui hérissait sa moustache, sa tranquillité parfaite dans une aussi terrible conjoncture, firent donc sur lui une profonde impression, et il ne put s’empêcher de jeter un regard d’admiration sur l’homme qui, entouré d’épées, de hallebardes et d’arquebuses, osait lui tenir un pareil langage.

– Monsieur de Pardaillan, dit-il, vous n’avez pas prévu le cas où c’est moi qui vous eusse tué…

– C’était impossible, monseigneur. J’avais tous les avantages. Je ne vous dirai pas que votre cause est mauvaise et la mienne juste, car je suis en ce moment la preuve vivante que les bonnes causes ne triomphent pas toujours; mais je vous dirai qu’au métier des armes, c’est le plus audacieux qui l’emporte, et je suis sûr d’être plus audacieux que vous.

– Soit: mais vous n’avez pas prévu le cas où je n’eusse pas voulu vous accorder l’honneur de me battre avec vous.

– Nous nous sommes expliqués là-dessus, à notre rencontre des Ponts-de-Cé, monseigneur; je crois vous avoir prouvé que mon épée vaut la vôtre.

Le maréchal se leva, pensif, et fit quelques pas dans la salle, non sans surveiller du coin de l’œil les mains de son adversaire.

Mais Pardaillan, tranquillement assis, accoudé à son fauteuil, le regardait d’un air de bonhomie qui apparut au maréchal comme un excès d’intrépidité. Il s’accota à la haute cheminée et dit lentement:

– Monsieur de Pardaillan, j’ai toujours eu pour vous la plus haute estime, et je vous l’ai prouvé. Je vous le prouve encore en ce moment par ma modération. Si je faisais un signe vous tomberiez mort à l’instant. Arquebuses, hallebardes, épées, vous avez vu que tout cela n’attend qu’un signe. Je pourrais faire pis: je pourrais vous faire saisir, vous faire transporter à la Bastille qui, vous le savez, est commandée par un de mes amis, lequel, sur ma recommandation, vous tuerait aussi sûrement que pourraient le faire ces hallebardes et ces arquebuses, avec cette seule différence que vous mourriez sur un chevalet et que votre agonie pourrait durer plusieurs heures et même plusieurs jours… Si je faisais ce signe de mort, si je donnais l’ordre de vous livrer au tourmenteur, je serais dans mon droit. En effet, qui êtes-vous pour moi? Un ennemi. Vous m’avez trahi à Margency autrefois; aux Ponts-de-Cé, nous avions conclu un pacte; je vous avais pardonné votre trahison, je vous ai admis dans ma maison; vous étiez de mes amis; vous m’avez encore trahi de la façon que vous savez. Par miracle, vous avez échappé à ma juste vengeance. Et depuis, vous êtes passé au camp ennemi. Je vous avais accablé de mes bienfaits; vous ne connaissiez pas mon frère; or, c’est mon frère que vous servez, et c’est moi que vous venez assassiner… Qu’avez-vous à dire à cela?

– Que je ne vous ai pas trahi, monseigneur. Que décidé à me faire votre second loyal dans une entreprise grandiose, je ne voulais pas devenir votre complice dans une entreprise infâme. Capable d’entrer dans le Louvre et d’y arrêter le roi de mes mains, capable si vous me l’aviez ordonné de me saisir de la couronne et de vous l’apporter, capable de tenir tête en rase campagne à l’armée royale si vous m’aviez confié la poignée d’hommes dont vous disposez, je n’étais pas capable de me faire le bourreau d’une femme. Il fallait me demander ce que je pouvais vous donner, monseigneur! Mon épée, mon sang, mon énergie: vous avez voulu faire de moi l’espion de mon fils et le geôlier de celle qu’il aime. Vous avez fait erreur… Vous le savez, du reste, que je ne vous ai pas trahi. Si j’avais voulu vous trahir et faire une fortune du coup, si j’avais voulu vous envoyer à Montfaucon et gagner dans cette ignominie vos propres richesses, je n’avais qu’à aller trouver le roi et lui dire que vous le voulez tuer pour couronner le duc de Guise. Mon silence sur cette affaire vous prouve, monseigneur, que vous vous êtes séparé par votre faute d’un homme capable de garder un important secret, ce qui est rare, croyez-moi.

Le maréchal avait affreusement pâli. Un tremblement convulsif agita ses mains. Et lui qui tenait le vieux routier en son pouvoir, ce fut d’une voix suppliante qu’il demanda:

– Ainsi, vous n’avez rien dit à personne de cette affaire?

Pardaillan haussa les épaules avec un suprême dédain.

– Entendez-moi bien, reprit Damville. Sans me dénoncer, chose abominable et monstrueuse dont votre fierté ne saurait s’accommoder, vous auriez pu tout au moins… confier… à certaines personnes…

– Ah! ah! voilà donc le secret de ce qu’il appelle sa modération! songea Pardaillan. Il veut savoir si je n’ai point parlé!