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Il veut s’occuper de ce fils… et pour cela, il faut que l’ère paisible prédite par sa mère se réalise enfin.

Jetons aussi un coup d’œil dans le logis de Marie Touchet.

Marie Touchet, c’est la fille du peuple, avec toutes ses exquises délicatesses. C’est, dans la sombre tragédie qui se déroule en cette année 1572 à jamais maudite, c’est la figure de lumière et de douceur qui laisse au poète, au rêveur, au philosophe le droit de penser que l’humanité de cette époque ne fut pas une exception d’épouvante et d’horreur, puisqu’il s’y trouve de tels anges parmi de tels démons.

Si nous pénétrons chez elle, nous la trouvons penchée sur le berceau de son fils; car depuis quelques jours, elle est relevée de ses couches, et désormais elle ne vit plus que pour cet enfant.

Quel calme dans ce logis! quelle propreté!… Quelle modestie aussi!… modestie charmante qui ne va pas sans coquetterie. Dans la chambre à coucher aux meubles de noyer ciré, toute claire, voici le berceau où dort le duc d’Angoulême. Au-dessus du berceau, un beau portrait de Charles IX en bourgeois. Le roi sourit dans son cadre. Et Marie lui sourit lorsque parfois son regard se lève de l’enfant jusqu’au père.

Puis voici que le petit Valois se réveille et crie: la mère dégrafe son corsage et, prenant l’enfant dans ses bras avec un geste tout frémissant, lui présente le sein blanc et rose, le sein gonflé, puissant,… mamelle populaire. Et le petit Valois, le fils du roi, gloutonnement, saisit de ses lèvres, de ses deux mains, le sein de la belle fille du peuple.

Nous ne voyons là aucun symbole… les choses sont ainsi, tout simplement.

Passons maintenant à des personnages plus actifs.

Panigarola, dans son couvent, médite la destruction des huguenots et la mort de son rival Marillac. Étrange physionomie que celle de ce moine incroyant poussé à la haine par l’amour, devenu à son insu le redoutable instrument que manie la sainte Inquisition!

Éloquent d’une sauvage éloquence, décuplée par la passion qui se déchaîne en lui, il déverse du haut de la chaire des flots de haine.

Et lui, dans ses clameurs vengeresses, ne songe qu’à Marillac… L’heure approche où le rival succombera, où Alice, enfin, lui appartiendra, purifiée, régénérée dans le sang d’une vaste hécatombe, et songeant à ces choses, il est heureux…

Le duc de Guise s’apprête pour la suprême conquête. Son plan est d’une effrayante simplicité: le roi paraît résister au mouvement de foi apostolique et romaine qui veut sauver l’Église en exterminant la réformation. Or, ce mouvement doit aboutir à quelque bataille géante dans les rues de Paris.

Alors, lui, Guise, accusera formellement Charles IX de connivence avec les huguenots; il se fera nommer capitaine général de l’armée catholique, et lorsque le massacre sera commencé, lorsque Paris brûlera, lorsque les ruisseaux des rues seront transformés en fleuves de sang, lorsque le peuple sera déchaîné, il marchera sur le Louvre; le roi impopulaire, le roi des huguenots sera déposé; Tavannes, le maréchal, est avec lui; Damville lui garantit trois mille cavaliers qui sont en route, quatre mille arquebuses; Guitalens, gouverneur de la Bastille, prépare son oubliette la plus sûre pour y enfermer Charles IX… et lorsque le roi voudra se défendre, lorsqu’il appellera ses gardes, c’est Cosseins, son propre capitaine, qui l’arrêtera!…

Alors Guise arrêtera le carnage: il aura ainsi du même coup l’amour des catholiques qu’il aura déchaînés, et des huguenots qu’il aura sauvés.

Et comme la France ne peut pas vivre sans roi, comme son oncle, le cardinal de Lorraine, a établi nettement la généalogie qui le fait descendre de Charlemagne, Henri de Guise sera roi!…

Tout est prêt. Il n’y a qu’à attendre le moment propice!…

Le maréchal de Damville, lui aussi, prépare son coup.

Du fond de son gouvernement, il fait venir des troupes nombreuses: près de sept mille hommes qu’il a offerts à Guise pour l’aider à déposer Charles IX. Et, par un miracle de ruse, c’est à la prière même du roi que ces troupes se sont mises en route.

Damville a, en effet, sollicité et obtenu un commandement dans l’armée que Coligny doit conduire aux Pays-Bas contre l’Espagne représentée par le duc d’Albe. Et le roi, d’abord sincère, le roi dont Catherine a bouleversé les idées, le roi qui veut maintenant la mort de Coligny, cherche à faire croire à l’amiral que l’expédition aura lieu. Damville assistera donc au massacre des huguenots dans Paris, et prêtera toute son aide à Henri de Guise.

Si Guise est tué, Damville cherchera audacieusement à se substituer à lui, et ce rêve le hante d’arriver tout sanglant dans le Louvre, d’arracher la couronne à Charles et de la poser sur sa tête!…

Si au contraire Guise réussit, Damville se contentera d’être le plus haut personnage du royaume après le roi. Il aura quelque chose comme une vice-royauté de tous les pays d’au-delà la Loire. Il sera connétable et lieutenant général de toutes les troupes. Deux millions de livres lui sont d’abord assurées.

Mais ce que veut surtout Damville, c’est l’écrasement de son frère.

La vieille haine qui date du jour lointain où Jeanne de Piennes le repoussa, cette haine a gangrené son âme. Elle est devenue un hideux ulcère inguérissable… Damville donnerait jusqu’à cette royauté qu’il rêve dans le secret de ses pensées, pour faire souffrir son frère. L’occasion va enfin se présenter: Damville s’est réservé l’attaque de l’hôtel de Montmorency… c’est lui qui veut prendre le vieil hôtel où le connétable son père a vécu! Et le réduire en cendres! Il prendra François et le tuera de ses mains… Puis il emportera Jeanne de Piennes dans sa vice-royauté!

Comment! Montmorency est donc compris dans les massacres? Pourtant il n’est pas huguenot!… C’est vrai, mais il est suspect.

Le parti modéré qui veut l’apaisement le considère comme son chef naturel. Et puis d’ailleurs, est-il vraiment besoin d’être huguenot pour être condamné? Toute maison où il y aura quelque chose à prendre ne sera-t-elle pas bonne à brûler?…

L’histoire nous dit que Montmorency fut compris dans le carnage parce qu’il était le chef naturel des Politiques; mais l’histoire est une vieille bavarde superficielle. Nous disons, nous, que Montmorency fut condamné parce qu’on avait une haine à assouvir contre lui… Damville, donc, en cette période où nous essayons d’indiquer la position générale de la mise en scène historique, attendait donc avec la certitude que sa haine et son amour, avant peu, recevraient du même coup leur satisfaction. Cependant, il ne néglige aucune précaution. Par Gillot qui a réussi à s’introduire dans l’hôtel Montmorency, il sait tout ce que fait et dit son frère, et il prend ses mesures en conséquence.

Car Gillot espionne activement… Seulement, il y a une chose, une seule, dont il n’a pu informer son oncle Gilles, pour la raison qu’il l’ignore. Et cette chose, qui peut-être bouleverserait de fond en comble les plans de Damville, c’est que la malheureuse Jeanne de Piennes est folle…