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Le moine ne répondit pas tout de suite.

Une fièvre l’exaltait. Avec sa brûlante imagination, il se voyait décrétant la mort des huguenots.

Et c’était un rêve étrange, d’une tragique ampleur, que de décréter la mort, de passer dans Paris en soulevant un peuple en délire, de traverser la ville comme un météore dévastateur, de faire naître sous ses pas les incendies, de marcher dans des fleuves de sang, et d’arriver enfin à Alice en lui disant:

– Voyez! Paris brûle! Paris meurt! Paris n’est que décombres! Parce que j’ai voulu atteindre l’homme que vous aimiez!… Pour tuer Marillac, j’ai égorgé Paris!…

Panigarola presque délirant, l’œil en feu, le visage bouleversé, effroyable à voir, saisit la main de Catherine.

– Demain, madame, je prêcherai dans Saint-Germain-l’Auxerrois.

Catherine étouffa un cri de joie féroce.

– Ne vous inquiétez donc plus du reste! dit-elle rapidement. Et même, tenez, marquis… je vous réponds que des miracles vont s’accomplir, et que le premier de ces miracles, c’est que vous serez aimé!

– Moi! rugit-il avec un accent de désespoir indescriptible.

– Vous!… Aimé d’Alice!… Je la connais!… Elle méprise vos larmes; couvert de sang et d’horreur, vous lui apparaîtrez comme un dieu!… Tenez-vous donc prêt… Jetez le peuple dans les rues… Nous, nous serons prêts…

– Comment?

– Les maisons des cent condamnées seront marquées une nuit. Au matin, ces maisons brûleront. Et leurs habitants…

– Vous savez où il habite, lui?

– Soyez donc tranquille! Sa maison sera la première brûlée, puisqu’il faut que Coligny soit le premier tué! Tout est prévu, tout est prêt; le jour est fixé…

– Quel jour?

– Le dimanche 24 août, jour consacré à Saint Barthélemy.

– Allez en paix, madame, dit le moine. Moi, je vais méditer sur ce que je vais dire au peuple de Paris!

En parlant ainsi, Panigarola écumant donnait réellement une impression de hideur et de force qui se déchaîne. Catherine de Médicis comprit qu’il était inutile de le pousser plus loin. Elle se retira, dit quelques mots à l’abbé qui l’attendait dans le couloir, rejoignit au parloir la femme qui l’avait accompagnée et monta avec elle dans sa litière. Les rideaux furent soigneusement tirés; la litière se mit en marche, non vers le Louvre, mais vers le nouvel hôtel de la reine.

La jeune femme qui avait accompagné Catherine dans cette expédition demeurait silencieuse:

– Eh bien! fit tout à coup la reine avec une sorte de gaieté qui eût pu paraître macabre, tu ne me demandes pas ce qu’il a dit?

La jeune femme laissa retomber son voile, et la pâle figure d’Alice de Lux apparut.

– Madame, murmura-t-elle, comment oserai-je interroger Votre Majesté!

– Bah! Bah! Je te le permets… Tu n’oses pas?… Eh bien je vais faire comme si tu m’avais interrogée… Il te pardonne, Alice!

Alice de Lux eut un frémissement.

– Il te pardonne, te dis-je! Tout est fini, oublié…

– Madame…

– Ah! oui, la lettre! C’est cela, n’est-ce pas?… Eh bien! je la lui ai remise… Et il veut te la rendre lui-même… Et ce n’est pas tout!… Il veut que tu sois heureuse, jusqu’au bout: tu reverras ton enfant, Alice, et tu pourras l’emmener.

Alice pâlit affreusement.

– Ah! mon Dieu, continua la reine, je n’y pensais plus!… Il ne faut pas que le comte sache l’existence de cet enfant… Eh bien, tu en seras quitte pour ne pas l’emmener… C’était un sacrifice que te faisait Panigarola…

Pendant que Catherine, habile tourmenteuse s’il en fût, continuait sa route, le moine à travers les couloirs et les escaliers du couvent se dirigeait vers les jardins. Et à le voir passer, glacial, indifférent, il eût été impossible de soupçonner quel orage se déchaînait dans ce cœur.

Nous avons dit que Panigarola jouissait dans le monastère de la plus entière liberté. Il allait et venait à sa guise. Généralement on le laissait seul; les moines le redoutaient et lui supposaient un grand pouvoir occulte.

Panigarola marcha machinalement vers un coin du jardin où il y avait un banc de pierre et où il se promenait d’habitude.

Il s’assit sur le banc et laissa tomber sa tête dans une de ses mains.

À ce moment, il faisait presque nuit. Panigarola vit tout à coup quelqu’un qui s’asseyait près de lui. Ce quelqu’un, c’était l’abbé du couvent des Carmes, personnage considérable, jouissant d’une haute influence et considéré comme un saint non seulement par la communauté qu’il dirigeait, mais par la majorité des prêtres de Paris.

– Vous travaillez, mon frère? demanda l’abbé… Restez assis… Ne vous levez pas.

– Monseigneur, dit Panigarola en cédant au geste bienveillant de l’abbé, je travaillais en effet… je prépare un sermon…

– C’est tout ce que je voulais savoir… Continuez, continuez, mon digne frère… moi je vais prévenir les curés et leurs vicaires qu’ils aient à venir vous entendre demain à Saint-Germain-l’Auxerrois… en même temps, j’écris à Rome que les temps sont proches… Laissez-moi vous faire une recommandation, mon frère.

– Je l’accueillerai avec reconnaissance, monseigneur.

– Que votre sermon de demain soit clair! Vous n’aurez pas vos auditeurs mondains ordinaires; l’église sera remplie de prêtres; or, vous connaissez le peu d’intelligence de nos curés; il s’agit donc de leur remontrer nettement leur devoir et de les enflammer de ce même courage dont les Macchabées [10] ont jadis donné l’exemple au monde. En un mot, mon cher fils, permettez-moi de vous donner ce nom, songez que vous leur portez un mot d’ordre.

– Votre Révérence peut se rassurer, dit Panigarola. Je ferai de mon mieux.

– Si cela est vrai, dit l’abbé en se levant, de grandes choses s’accompliront. Car le désir d’un noble combat enflamme nos amis et nos prêtres. Mais l’élan a été brisé. Nul n’ose dire ce qu’il pense. Il suffirait d’un seul coup de trompette dans le camp pour que chacun coure aux armes… c’est vous qui allez le donner. Mon fils, recevez ma bénédiction…

Panigarola se courba sous le geste.

Quand il se redressa, il vit l’abbé qui s’en allait.

Alors, il se dirigea vers cette partie du couvent où se trouvaient logés un certain nombre d’employés laïques, et qui était séparée du monastère proprement dit par un mur percé d’une porte. Le moine franchit cette porte, traversa une cour, entra dans un bâtiment isolé et pénétra enfin dans une chambrette où dormait un enfant.

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[10] Les Macchabées: nom de sept frères martyrisés sous Antiochos IV (167 avant Jésus-Christ).