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Pauvre Jeanne! Pauvre petite fée aux fleurs!

L’histoire injuste, l’histoire qui prend plaisir à raconter les cruautés des puissants, à admirer les guerres des rois, l’histoire dédaigneuse des plaintes qui montent du fond de l’humanité, ne t’a consacré que quelques mots arides.

Une fleur qui tombe!… Qu’est-ce que cela auprès des pompes royales!

Pour le rêveur qui aime à pénétrer d’un pas hésitant dans les sombres annales du passé, qui cherche en tremblant parmi l’amas des décombres, l’humble fleurette qui a vécu, aimé, souffert, tu demeures un pur symbole de la souffrance humaine, et nous qui venons de retracer ta douleur, nous saluons d’un souvenir ému ta douce et noble figure.

* * * * *

Lorsque le maréchal de Montmorency revint à lui, il se souleva sur un genou et, jetant à travers la salle le regard étonné de l’homme qui croit sortir d’un rêve, il vit Jeanne assise sur un fauteuil, souriante, la physionomie apaisée, mais hélas! les yeux sans vie.

Une jeune fille agenouillée devant elle, la tête cachée dans les genoux de la folle, sanglotait sans bruit.

Jeanne, d’un mouvement machinal et doux, caressait les cheveux d’or de la jeune fille.

François se releva et s’approcha, en titubant, de ce groupe si gracieux et si mélancolique.

Il se baissa vers la jeune fille et la toucha légèrement à l’épaule.

Loïse leva la tête.

Le maréchal la prit par les deux mains, la mit debout sans que sa mère essayât de la retenir et il la contempla avec avidité.

Il la reconnut à l’instant. Et lors même que l’attitude de Loïse ne la lui eût pas désignée pour sa fille, il l’eût reconnue entre mille.

Loïse était le vivant portrait de sa mère.

Ou plutôt, elle était le commencement de Jeanne telle qu’il l’avait vue et aimée à Margency.

– Ma fille! balbutia-t-il.

Loïse, toute frissonnante de sanglots, se laissa aller dans les bras du maréchal et, pour la première fois de sa vie, avec un inexprimable ravissement mêlé d’une infinie douleur, elle prononça ce mot auquel ses lèvres n’étaient pas accoutumées…

– Mon père!…

Alors, leurs larmes se confondirent. Le maréchal s’assit près de Jeanne dont il garda une main dans ses mains, et prenant sa fille sur ses genoux, comme si elle eût été toute petite, il dit gravement:

– Mon enfant, tu n’as plus de mère… mais dans le moment même où ce grand malheur te frappe, tu retrouves un père… Puisse-t-il trouver la force d’imiter celle qui est près de nous sans nous voir, sans nous entendre…

Ce fut ainsi que ces trois êtres se trouvèrent réunis.

Lorsque le maréchal et Loïse eurent repris un peu de calme à force de se répéter qu’à eux deux ils arriveraient à sauver la raison de Jeanne, lorsque leurs larmes furent apaisées, ce furent de part et d’autre les questions sans fin.

Et François apprit ainsi par sa fille, en un long récit souvent interrompu, quelle avait été l’existence de celle qui avait porté son nom.

À son tour, il raconta sa vie, depuis le drame de Margency.

Lorsque ces longues confessions furent achevées, lorsque le père et la fille se furent pour ainsi dire peu à peu découverts comme on découvre un pays nouveau, ils croyaient avoir passé une heure.

Le maréchal était arrivé vers neuf heures du matin.

Et au moment où, enlacés, ils déposèrent sur le front pâle de Jeanne leur double baiser, il était près de minuit.

II OÙ LA PROMESSE DE PARDAILLAN PÈRE EST TENUE PAR MAÎTRE GILLES

Le maréchal de Damville, après avoir assisté à l’investissement de la maison de la rue Montmartre, après s’être assuré qu’il était impossible d’en sortir, s’était empressé de regagner l’hôtel de Mesmes.

Il tenait les deux Pardaillan et se promettait de ne pas les laisser échapper.

En effet, la mort seule de ces deux hommes pouvait lui garantir sa propre sécurité. Ils étaient tous les deux possesseurs d’un secret qui pouvait l’envoyer à l’échafaud. Ils parleraient, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute dans son esprit.

Lorsque, persuadé que le vieux Pardaillan avait suivi la voiture qui enlevait Jeanne de Piennes, le maréchal s’était décidé à rompre avec lui, il avait en même temps décidé de supprimer ce dangereux auxiliaire.

Il se privait ainsi d’un aide précieux.

Mais il y gagnait une certaine tranquillité en ce qui concernait ses prisonnières.

En effet, à ce moment-là, il y avait dans l’esprit du maréchal deux préoccupations bien distinctes l’une de l’autre, et qui pourtant se tenaient par des liens mystérieux.

Il est nécessaire de les expliquer afin de jeter quelque lumière sur l’attitude de cet homme.

Damville s’était jeté dans la conspiration de Guise uniquement en haine de son frère; pour acquérir Damville, Guise avait promis la mort de Montmorency. François mort, assassiné par quelque bon procès, Henri devenait le chef de la maison, l’unique héritier, un seigneur presque aussi puissant et peut-être plus riche que le roi; on lui donnait l’épée de connétable qu’avait illustrée son père; il était presque le deuxième personnage du royaume! Et alors, son ambition s’ouvrait de larges horizons. Il prenait une part active à la destruction des huguenots secrètement résolue par Guise, entraînant le royaume dans quelque aventure d’où il revenait couvert de gloire, et… qui savait? Si Guise parvenait à détrôner Charles, pourquoi lui, Damville, ne parviendrait-il pas à détrôner Guise?

Voilà les pensées qui, lentement, s’étaient agglomérées dans la conscience du rude maréchal, et dont la pensée initiale avait été le désir effréné de se débarrasser de son frère.

Or, cette haine elle-même avait pris sa source dans l’amour d’Henri pour Jeanne de Piennes.

Repoussé à Margency par la fiancée de son frère, il s’était atrocement vengé.

Les années avaient coulé; la haine seule était demeurée vivace dans ce cœur.

Les choses en étaient là lorsqu’il rencontra Jeanne et s’aperçut ou crut s’apercevoir que sa passion mal éteinte se réveillait plus ardente que jadis.

Dès lors, il eut un but précis à son ambition.

La conspiration qui devait faire Guise roi de France conduisait Damville à la puissance; du même coup, son frère disparaissait; Jeanne de Piennes n’avait plus de raison de demeurer fidèle à François; et cette puissance acquise conduisait Henri à la conquête de Jeanne.

C’était tortueux comme pensée, mais d’une implacable logique comme plan.