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En effet, au moment où, après l’héroïque résistance de Gilles, qui, comme on l’a vu, s’était obstinément refusé à révéler le secret du maréchal, Gillot, pour sauver ses oreilles, avait raconté à Pardaillan en quelle maison se trouvaient Jeanne de Piennes et Loïse; à ce moment-là; disons-nous, profitant de la prostration de son oncle et de l’émotion des deux Pardaillan, Gillot s’était éclipsé sans bruit.

La poltronnerie, alors, le dominait tout entier.

Il venait de sauver ses oreilles – ces larges oreilles auxquelles, d’après les dires du vieux Pardaillan qui avait des idées spéciales en esthétique, il avait si grand tort de tenir.

Mais ce n’était pas tout, les oreilles ne constituant en somme qu’un ornement de sa figure.

Il s’agissait maintenant de sauver le corps tout entier.

Pardaillan n’avait menacé que les oreilles, et encore prétendait-il ainsi embellir la face rougeaude de Gillot.

Mais Gilles! Ah! l’inexorable colère de l’oncle s’attaquerait à sa vie même! Gillot s’attendait pour le moins à être pendu si jamais il se trouvait nez à nez avec le terrible vieillard qui n’avait pas hésité à offrir sa vie et sa fortune plutôt que d’encourir la disgrâce de son maître!

Et ce maître lui-même, que ferait-il de Gillot?…

Gillot frémit. Gillot sentit des ailes pousser à ses talons. Gillot escalada l’escalier avec toute la vélocité de l’épouvante la plus justifiée. Gillot, en quelques secondes, se trouva dans l’office, et là, il se dit:

«Voyons, je ne puis rester à Paris. Si je n’y mourais de pendaison, de strangulation, ou d’estrapade, j’y mourrais de peur, ce qui est tout un. Il faut que je m’en aille. Où cela ? au nord? au midi? Peu importe, pourvu que ce soit loin, très loin! Partons!…»

Et Gillot fit un mouvement pour s’élancer.

Mais au même instant, sa figure se rembrunit. Pour aller loin, il faut beaucoup d’argent. Et Gillot s’étant fouillé, constata qu’il se trouvait en tout et pour tout propriétaire d’un écu deux sols et six deniers.

Presque aussitôt, une réflexion traversa sa cervelle matoise, et sa figure prit à l’instant une expression d’hilarité qui eût pu faire croire qu’il devenait fou.

Non, Gillot n’était pas fou!

Simplement, il venait de se rappeler que s’il était pauvre, son oncle était fort riche! À force de musarder et de fouiller dans l’hôtel, Gillot avait découvert depuis longtemps le vénérable coffre où Gilles entassait les écus qu’il avait gagnés indistinctement avec ceux qu’il avait volés.

Ce coffre, jamais Gillot n’était parvenu à l’ouvrir en douceur. Mais les circonstances étaient telles qu’il se faisait fort de l’éventrer.

Saisir une pioche, s’emparer des clefs, voler vers l’appartement de son oncle, ouvrir le cabinet où se trouvait le fameux coffre, tout cela ne fut pour le rapide Gillot que l’affaire de deux minutes.

Or, il se disait que Gilles en avait bien encore pour un bon quart d’heure avec les Pardaillan.

C’était plus de temps qu’il ne lui en fallait pour éventrer le coffre à coups de pioche, emplir ses poches du plus d’or qu’il pourrait, et filer ensuite avec toute la vitesse imaginable.

Gillot, avant de porter le premier coup, tâta le couvercle du coffre pour voir où il faudrait frapper.

Et il tressaillit alors d’un long tressaillement de joie et de surprise: au premier mouvement qu’il avait fait, il avait soulevé le couvercle! Le coffre n’était pas fermé! Pourquoi? Comment? Il ne prit pas la peine de se le demander. (Nos lecteurs n’ont pas oublié sans doute que le vieux Pardaillan avait passé par là.) Gillot leva le couvercle sans plus de réflexions et poussa un rugissement de joie, tomba à genoux, et plongea ses deux bras jusqu’aux coudes dans les piles d’écus qui trébuchèrent et s’effondrèrent avec un bruit délicieux.

À ce moment, Gillot oublia le ciel et la terre. Il oublia Pardaillan. Il oublia son oncle. Poltronnerie, lâcheté, gourmandise, paresse, tout disparut: l’avarice régna seule dans cet esprit.

Après un temps d’extase et de contemplation, Gillot en vint pourtant à se dire qu’il était là pour emplir ses poches, opération qu’il commença aussitôt.

– Jamais je ne pourrai tout emporter! grommela-t-il avec un soupir de furieux regret, un vrai soupir d’avare.

Gillot était tout entier dans ce mot.

Pêle-mêle, cependant, il entassait les écus dans ses poches, dans ses chaussures, dans son pourpoint, sans songer qu’il ne pourrait faire un pas dans la rue sans résonner comme un boulet à sonnettes et sans risquer de semer de l’or sur la route, ce qui, infailliblement, le désignerait au guet, à la foule, comme un être phénoménal digne d’admiration, laquelle admiration se traduirait par une arrestation en bonne et due forme.

Gillot entassait toujours.

– Encore ces quelques pièces qui reluisent si bien!

Ses poches crevaient. Il se gonflait d’or à en éclater…

– Encore cette pauvre poignée de mignons écus!

Et il remplit sa toque.

Une fois qu’il se fut vautré tout son soûl dans cet argent et cet or, une fois qu’il en fut gorgé comme une sangsue, Gillot, les jambes écartées, les bras raides, tout pesant et tout embarrassé, se recula en murmurant:

– Quel malheur! j’en ai à peine la moitié. Or çà, fuyons maintenant!

Il se détourna vers la porte et demeura pétrifié, les yeux morts, la lèvre pendante…

Son oncle était là!

Le terrible Gilles, accoté à la porte fermée, le regardait faire, avec un sourire blafard.

Gillot voulut joindre les mains, et dans ce mouvement, deux ou trois piles d’écus roulèrent sur le carreau, se mirent à tourner, à danser…

Gillot se laissa tomber à genoux, et alors ce furent ses chausses qui crevèrent, la danse des écus recommença, avec une infernale musique, une course d’or que le vieillard suivait du coin de l’œil en continuant à sourire le plus hideusement du monde.

Ce que voyant, Gillot essaya de sourire aussi: d’où le choc de deux grimaces extraordinaires.

– Mon oncle, mon digne oncle, balbutia Gillot.

– Que fais-tu là? demanda le vieillard.

– Je… vous voyez… je… range votre coffre…

– Ah bon! Tu ranges mon coffre? Eh bien, continue, mon garçon.

Gillot demeura interloqué. Il savait que son oncle était de tempérament goguenard. L’effroyable vieillard aimait à rire. Les farces macabres lui plaisaient.

– Que… je continue? bégaya Gillot au comble de la terreur.