Изменить стиль страницы

– D’abord de te guérir!

– Bon! J’en réponds. Ensuite?

– Ensuite, on verra. Viens…

Et soutenant son neveu par-dessous le bras, Gilles le conduisit dans sa chambre, le fit coucher dans son propre lit et commença à lui donner les soins les plus dévoués.

Gillot s’aperçut alors qu’il ne lui serait peut-être pas aussi facile qu’il pensait d’obéir au maréchal par une prompte guérison.

Car à peine fut-il dans le lit qu’une fièvre violente se déclara.

Gillot eut le délire pendant deux jours, c’est-à-dire qu’il passa ces deux jours à supplier son oncle de lui rendre ses oreilles.

Gilles, impatienté, finit par le menacer du bâillon.

Fut-ce la menace qui agit? Ou plutôt fut-ce que le délire s’en allait? Gillot ne parla plus de ses oreilles. Au bout du sixième jour, la fièvre était tombée; au bout du dixième, les blessures étaient cicatrisées et Gillot pouvait se lever.

Le quinzième jour, Gillot put sortir.

Son premier soin fut de courir acheter un certain nombre de bonnets capables de lui couvrir entièrement la tête du front à la nuque.

Sur ce bonnet, il plaçait son chapeau ordinaire.

En se regardant dans un miroir, il trouva qu’il pouvait encore faire assez bonne figure.

Ce jour-là, Gillot eut avec son oncle une très longue conversation.

À la suite de cette conversation, il s’habilla de ses habits du dimanche, et Gilles lui dit:

– Va maintenant, va, je te donne ma bénédiction…

– J’aimerais mieux quelques écus d’acompte, dit Gillot qui était un caractère ferme et positif.

Gilles fit la grimace, mais s’exécuta.

– Réussiras-tu à entrer seulement? demanda-t-il d’un air offensant pour les capacités intellectuelles de son neveu.

– J’en réponds, dit Gillot: j’ai un moyen infaillible.

– Lequel?

– Mes oreilles!

Là-dessus, laissant son oncle abasourdi méditer cette réponse, le matois Gillot s’éloigna.

Nos lecteurs ont vu comment Gillot était entré à l’hôtel Montmorency. Il avait rencontré le vieux Pardaillan dans la loge du Suisse. Et le routier l’avait emmené dans la chambre qu’il occupait.

Il faut en effet se figurer un hôtel de cette époque comme une façon de forteresse.

Deux cents seigneurs, dans Paris même, tenaient garnison, c’est-à-dire qu’en leur hôtel, ils entretenaient un certain nombre de reîtres ou de Suisses. En outre, souvent il arrivait que le seigneur logeait ses gentilshommes, compagnons de plaisir et de danger qui le suivaient partout, lui faisaient une cour dans les soirées, une escorte dans les expéditions.

Tel était l’hôtel de Montmorency; l’hôtel de Mesmes, où nous avons introduit nos lecteurs, l’hôtel de Guise, l’hôtel de Bouillon et bien d’autres étaient de vrais repaires ayant garnison et capables de soutenir un siège.

Le vieux Pardaillan avait donc trouvé son logis naturel dans l’hôtel du seigneur dont il devenait pour ainsi dire un client (en prenant le mot dans son sens latin). Sans faire précisément partie de la garnison de l’hôtel, il en était devenu l’âme.

Le maréchal lui avait dit un jour:

– Monsieur de Pardaillan, soyez notre gouverneur général, et la place sera imprenable.

– J’accepte, monseigneur, avait répondu le routier; et je vous promets de m’ensevelir sous les ruines de la place plutôt que de la rendre jamais.

On voit par ces mots quel était l’état d’esprit des habitants de l’hôtel.

Mais nous aurons à revenir sur ce sujet.

Pour le moment, suivons le brave Gillot que le vieux Pardaillan emmène.

Lorsqu’ils furent arrivés dans sa chambre, le routier s’assit à cheval sur une chaise à dossier de bois plein, allongea les jambes, plaça les coudes sur le dossier de sa chaise et inspecta Gillot qui prit une attitude digne, ferme et modeste.

– Ainsi, dit Pardaillan, tu prétends que tu peux nous rendre service?

– Je le crois monsieur.

– Et tu es venu précisément pour nous offrir ces services?

– Justement pour cela, monsieur.

– Très bien, Gillot. Nous allons voir ce qu’on peut tirer de toi. Seulement, avant tout, il faut que je te dise une chose.

– Laquelle, monsieur?

– Si jamais je surprends chez toi la moindre velléité de trahison…

– Oh!…

– Si je te surprends à écouter aux portes…

– Oh! oh!

– Enfin, si tout n’est pas toujours d’une limpidité de cristal dans ton attitude, eh bien…

– Eh bien, monsieur?

– Eh bien, je te coupe la langue.

Gillot demeura plus d’une minute suffoqué par cette perspective. Quoi! Après les oreilles, la langue! L’infortuné Gillot, qui croyait être pour toujours à l’abri de toute mutilation depuis qu’il n’avait plus d’oreilles, comprit qu’il allait retomber dans un nouveau marasme. Il lui vint une révolte d’indignation.

– Mais enfin, monsieur, s’écria-t-il, quelle rage avez-vous de me vouloir ainsi découper vif?

– Que veux-tu? C’est ma manière, à moi. Il paraît que c’est aussi celle de ton oncle. Car enfin, c’est lui qui te force à porter ce hideux bonnet. Mais pour en revenir à ta langue, sois assuré que si jamais j’apprends que tu as raconté à qui que ce soit ce qui se passe ici, eh bien, je te la couperai, je prierai le maître-queux de la faire sauter au beurre et je te forcerai à la manger toi-même.

Cette menace donna la chair de poule à Gillot, qui se demanda aussitôt s’il ne ferait pas mieux de s’en aller. Mais il réfléchit que la colère de l’oncle serait terrible. D’autre part, la vision du coffre rempli d’or n’avait pas été sans lui inspirer quelque courage.

Il résulta de ses réflexions qu’il résolut de courir le risque d’avoir la langue coupée.

«Pendant qu’on me découpe, songea-t-il, un peu plus, un peu moins… J’en serai quitte pour ne plus parler; heureusement je ne suis pas bavard et il ne m’en coûtera guère de n’avoir plus de langue. Seulement, où s’arrêtera ce découpage? Car enfin, si après les oreilles, on me coupe la langue, il faudra bien un jour que mon nez y passe, et puis peut-être la tête…»

– Que penses-tu? demanda Pardaillan qui l’observait avec attention.