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Cependant, les huguenots ne pensaient pas encore à mal et faisaient preuve d’une bonne grâce endurante qui excitait les brocards et les lazzis des gentilshommes catholiques.

Soudain, une cinquantaine de nymphes se tenant par la main et vêtues ou plutôt dévêtues comme des bacchantes, laissant voir de leur chair tout ce qu’elles pouvaient en montrer, un peu ivres sans doute, les yeux brillants, les lèvres ouvertes aux baisers, ces jeunes filles, disons-nous, se ruèrent à travers l’immense salon doré où venait d’avoir lieu un ballet sylvestre dans lequel elles avaient joué un rôle.

– L’escadron volant de la reine! s’écria Guise. Nous allons rire.

Le mot était bien trouvé; il fit le tour des salles; le poète Dorat le transcrivit sur ses tablettes; Pontus de Thyard déclara qu’il fallait des chevaux pour un pareil escadron, et s’offrant en exemple, saisit l’une des bacchantes au vol, la plaça à califourchon sur ses épaules.

En un instant, une rumeur de folie secoua la fête, chacune des bacchantes se trouva à cheval sur quelque seigneur; mais à part Pontus qui était catholique, tous ces chevaux humains se trouvèrent être des huguenots; en effet, chacune des bacchantes s’était accrochée à un huguenot, et bon gré mal gré, poussée, hissée par des catholiques, enfourchait ses épaules, et le huguenot, moitié riant, moitié scandalisé, se laissait faire.

Alors, chacun de ces huguenots, ainsi transformé en bête de somme, fut saisi par les mains par deux catholiques qui l’entraînèrent.

Il y eut ainsi une cinquantaine de demoiselles à cheval sur des épaules huguenotes; le tout forma une longue file qui, parmi les tonnerres des vivats, les cris, les rires, commença à cavalcader.

En tête de cette cavalcade courait le duc de Guise qui criait:

– Place aux centauresses! Place à l’union des sexes et des religions!

Près du duc, sa bande imitait, avec la main placée en trompette, une fanfare sur un air de psaume huguenot.

Et les centauresses impudiques et superbes, toutes belles filles, toutes demoiselles de haute noblesse, agitant leurs jambes nues comme pour donner des coups d’éperon, dépoitraillées, hurlantes comme des chattes en rut, se démenant, gesticulant, quelques-unes même, dans un coup de folie, imitant le geste obscène, les centauresses proclamaient la grande victoire de la messe…

Nous craignons fort que ces détails ne semblent exagérés; pourtant les pamphlets du temps en disent plus long, et nous pouvons au contraire assurer nos lecteurs que nous cherchons à adoucir le tableau.

Or, pendant que l’escadron volant de la reine, c’est-à-dire les demoiselles que Catherine avaient asservies et dressées aux besoins de sa politique et de sa police, pendant que les filles de la reine s’emparaient des huguenots, en même temps, une scène identique se produisait, les seigneurs catholiques s’emparaient des dames huguenotes et les obligeaient à participer à une sorte de sarabande affolée.

Ce fut dans ce moment que le roi parut.

Les rires s’éteignirent d’un coup.

Les huguenots retrouvèrent leurs femmes et les catholiques se placèrent en masse sur le passage de Charles IX.

Celui-ci aperçut Coligny qui, impassible et les sourcils froncés, avait assisté pâle et muet aux scènes que nous venons d’esquisser d’un trait. L’amiral salua profondément le roi; mais celui-ci, s’avançant vers lui, le saisit dans ses bras, l’embrassa tendrement et lui dit:

– Eh bien, mon bon père, je pense que vous vous divertissez en notre Louvre?

– Admirablement, sire, ces messieurs de votre cour ont des façons de se divertir que je n’oublierai de la vie…

– Peut-être, fit le roi, eussiez-vous préféré un autre amusement, comme par exemple, de courir au roi, comme on courre [9] le cerf…

Ces paroles résonnèrent comme un coup de tonnerre; pourtant Charles IX les avait prononcées en souriant; mais il y avait tant de menace dans ce sourire qu’un frémissement parcourut les rangs des huguenots.

– Sire, dit l’amiral froidement, j’espère que Votre Majesté voudra bien m’expliquer sa pensée…

– Eh! mordieu! commença le roi…

Il était devenu livide, ses yeux lancèrent un double éclair, et peut-être se fût-il abandonné à sa fureur, peut-être eût-il laissé échapper les secrets que sa mère venait de lui révéler, lorsqu’il vit le visage pâle de Catherine sortir pour ainsi dire de l’ombre. La reine s’avança rapidement et, toute souriante, s’écria:

– Eh! monsieur l’amiral, puisque vous vous préparez à courre le duc d’Albe, il faudra bien vous décider à courre le roi d’Espagne!

Un soupir de soulagement échappa aux huguenots, tandis qu’un murmure désappointé se faisait entendre parmi les catholiques.

– Sire! reprit alors Coligny rayonnant, j’avoue en effet qu’il m’intéresserait davantage de me divertir aux Pays-Bas, bien que la fête de Votre Majesté soit des plus magnifiques…

– Oui, mon digne père, vous êtes homme de camp plutôt qu’homme de cour, je le sais, fit le roi, qui, sous les regards de sa mère, s’était promptement ressaisi. Mais je ne vois pas mon cousin de Béarn…

– Le voici, dit Catherine, et si parfaitement heureux qu’il serait dommage de troubler son bonheur.

En effet, Henri de Béarn passait à ce moment, donnant la main à Marguerite, et paraissant très occupé à lui conter fleurette. (Fleureter, disait-on alors, mot d’une hardie joliesse qui a passé les mers, et nous est revenu d’Angleterre sous le nom de flirt.)

Charles IX, alors, fit un signe, et la fête reprit de plus belle, quoique avec un peu plus de modération apparente.

En même temps, il prit Coligny par le bras et l’emmena en disant:

– Voyons, mon père, où en sommes-nous de l’expédition aux Pays-Bas?… Pâques-Dieu, savez-vous qu’il se fait là-bas de grands carnages et que le duc d’Albe a fait occire dix-huit mille huguenots?

– Hélas! sire… je ne le sais que trop; mais grâce à la haute générosité du roi de France, j’espère qu’avant peu nous pourrons arrêter l’affreux massacre…

– Faites vite, monsieur l’amiral, car il se pourrait que d’autres pays fussent tentés d’imiter ces tueries.

Le roi avait prononcé ces mots en grondant, mais Coligny ne leur put prêter aucun sens menaçant pour lui et les siens. Le roi était ou paraissait si heureux de la paix!

Charles IX marchait vers un trône qu’on lui avait élevé dans le salon central. En route, il rencontra le poète Ronsard, et son visage parut s’éclairer. Il l’emmena aussi. Puis, s’asseyant sur son trône pour voir la fête, il obligea Coligny à s’asseoir à sa droite, honneur extraordinaire qui arracha aux huguenots des trépignements d’enthousiasme.

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[9] Courre. Emploi impropre du verbe «courre» usité seulement à l’infinitif: poursuivre un animal en chassant.