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– Oui, madame, dit faiblement Alice.

– Donc, à partir de ce jour, tu es heureuse. Plus de contrainte. Plus rien qui te gêne puisque je suis seule à savoir…

– Et la reine de Navarre! murmura sourdement Alice.

– Ne t’en inquiète plus! répondit Catherine d’une voix étrange. Donc, tu vas l’épouser, et vous partirez loin, où vous voudrez, et tu seras heureuse à jamais… tout cela à condition que tu m’obéisses jusqu’au bout… À la moindre hésitation de ta part, je te brise… et je le tue!

– J’obéirai, madame, dit Alice. J’irai jusqu’au bout, pourvu qu’il soit sauvé.

La reine hocha la tête d’un air de satisfaction.

– Va, ma fille, dit-elle. Et rappelle-toi que je veux son bonheur et le tien… Surtout, n’oublie pas les recommandations que je viens de te faire.

Alice demeura immobile.

Il semblait qu’elle fût agitée par un combat intérieur. Elle tenait les yeux baissés, occupée en apparence à arranger le chaton d’une de ses bagues. Elle était très pâle et un frisson nerveux la secouait par instants.

– Eh bien, Alice? fit la reine. À quoi songez-vous donc?

– Pardon, madame, dit-elle en tressaillant, je… non…

Catherine saisit la main de la jeune femme et la regardant jusqu’au fond des yeux:

– Voyons, tu as quelque chose à me dire?

– Non… je songeais…

– Écoute, gronda la reine, es-tu bien sûre que tu n’as pas entendu la conversation que je viens d’avoir.

– Je vous le jure, madame!

La reine connaissait Alice: les moindres notations de sa voix lui étaient familières. À l’accent de la jeune femme, elle comprit sa sincérité. Du reste, Alice se remettait maintenant. Et comme Catherine rassurée lui faisait signe qu’elle pouvait se retirer, la jeune femme, revenue de ce trouble passager qui avait semblé la paralyser, fit la révérence et sortit.

Par des couloirs et des escaliers retirés, l’espionne évita les salles de fête, gagna une porte du Louvre, sortit et rentra dans sa petite maison de la rue de la Hache.

Là, elle s’assit, le coude sur une table, la tête dans les deux mains, et elle réfléchit:

– Et pourtant, il est son fils!… Le sait-elle? Dois-je le lui dire, à lui?… Dois-je le lui dire, à elle?… Ah! heureusement que je me suis retenue à temps, tout à l’heure, lorsque ce mot a failli m’échapper… Je n’ai pas écouté, j’ai eu tort… Qu’ont-ils pu se dire?… Voyons, je ne me trompe pas, ma mémoire est fidèle… Là-bas, à Saint-Germain, lorsque la reine de Navarre m’a chassée, elle a bien eu une entrevue avec Déodat… j’ai bien entendu, je ne me suis pas trompée… ses paroles sont encore dans mes oreilles… il a dit: «Pourquoi ne suis-je pas mort le jour où j’ai appris que ma mère était l’implacable Médicis!» Dois-je lui dire que je sais cela?… Et Catherine sait-elle que Déodat est son fils?… Si je lui dis… Ah! qui sait s’il ne se ferait pas un revirement dans ce cœur!…

Elle songea longuement, tournant et retournant le problème sous toutes ces faces.

– Je ne dirai rien!… telle fut sa conclusion… si je révèle à Catherine que le comte est son fils, elle le ferait peut-être tuer!

VII PREMIER COUP DE FOUDRE

Nous suivrons maintenant le comte de Marillac qui, après avoir quitté Catherine de Médicis, était rentré dans les salons où se déployait la fête des fiançailles. Comme nous l’avons dit, le jeune homme était radieux. Jamais joie aussi complète et aussi profonde n’avait inondé ce cœur, non, pas même le jour où il avait reçu le premier aveu d’Alice.

Ainsi, toute la douleur accumulée dans son âme se fondait sous les paroles de Catherine; toutes les rancœurs se dissipaient; il retrouvait une mère douloureuse dans cette reine qui, si longtemps, avait été à ses yeux l’implacable ennemie.

Et il cherchait tout naturellement Jeanne d’Albret pour lui dire, à elle la première, combien il était heureux – sans dire le motif de ce bonheur imprévu, puisqu’il avait juré de se taire. Ensuite, s’il n’était pas trop tard, il irait chez Alice, et il préparait les paroles qui la feraient aussi heureuse que lui:

– Je vous ai calomniée en pensée, vous que j’adore. Mon éloignement de vous depuis ma rentrée à Paris est un crime. Mais ne pleurez plus: quelques jours encore, et nous serons unis pour toujours.

Et il passait à travers les groupes, souriant et grave. Et il se disait:

«C’est bien moi qui suis dans ce Louvre qui m’apparaissait comme la forteresse de la haine! c’est bien ma mère qui vient de me parler non comme une reine, mais comme une mère!… Il est bien vrai que mon union avec Alice va se consommer!… Je ne rêve pas!»

À ce moment, une bande joyeuse l’entoura, l’enveloppa d’une sorte de farandole. Dans la bande, le plus joyeux, c’était le duc d’Anjou, qui semblait si gai qu’il en oubliait de remettre en place sa collerette dérangée.

– Messire, vous ne vous amusez donc pas, criait le duc d’Anjou.

– Mon frère, songea le comte qui eut un sourire où parut toute l’affection qui débordait de son âme.

– Mordieu! messieurs de la Réforme, il faut s’amuser, reprenait Anjou.

– Monseigneur, dit le comte, jamais dans ma vie je n’ai eu joie pareille.

– À la bonne heure! en voilà un qui est de bonne composition.

Et toute la bande, entourant Marillac, chercha à l’entraîner. Et il sembla au comte que les seigneurs catholiques qui s’amusaient ainsi cherchaient à le rendre ridicule. Un flot de sang monta à son visage, et en quelques bourrades il se dégagea. La bande s’enfuit en riant.

Alors le comte s’aperçut que la fête prenait étrange tournure.

Les seigneurs catholiques s’étaient organisés par petites bandes de cinq ou six, et chacune d’elles entourait un gentilhomme huguenot. Sous prétexte de liesse et amusement, chaque huguenot devenait ainsi un centre de moqueries.

Dans une salle, Henri de Béarn, saisi ainsi par la bande de Guise, servait de balle que les gentilshommes catholiques se renvoyaient l’un à l’autre. Pâle et inquiet, le rusé Béarnais n’en riait que plus fort à chaque coup de poing qu’il recevait dans le dos ou à chaque renfoncement de coude qu’il recevait dans les côtes.

Dans une autre salle le prince de Condé tenait tête à une dizaine de catholiques, mais, moins patient que son roi, il rendait coup pour coup et bourrade pour bourrade. En sorte que là, les rires sonnaient le fêlé. Un mot, un regard pouvaient d’un instant à l’autre changer la mascarade en rixe.

Ce fut le caractère spécial de cette fête d’être menaçante comme une bataille dans ses attitudes et ses gestes.