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En même temps, sur un signe du roi, Ronsard prenait place à sa gauche; le poète, rouge de plaisir, se confondait en salutations.

– Ronsard, dit gaiement Charles IX, pendant que nos gens s’amusent et que mon bon père l’amiral songe à la guerre, faisons des vers, veux-tu?

Ronsard, comme on sait, était parfaitement sourd.

Il répondit donc le plus naturellement du monde en faisant allusion à la place qu’il occupait près du roi:

– Sans aucune doute, sire, et c’est là un honneur dont je me souviendrai toute la vie.

– Écoute, reprit le roi, veux-tu que je te dise le dernier sixain que j’ai fait? Tu le corrigeras.

– Votre Majesté a raison, dit gravement Ronsard, cette fête est un inoubliable régal.

– Écoute donc! reprit le roi qui, au fond, se souciait peu d’être entendu et tenait simplement à répéter ses vers pour la pensée d’amour et le jeu de mots qu’ils contenaient:

Toucher, aimer, c’est ma devise…

Mais à peine le roi achevait-il le premier vers de son sixain, qu’une rumeur soudaine s’éleva de la grande salle voisine où, une heure plus tôt, avait été joué le grand ballet des nymphes et des dryades. Et ce n’était pas une de ces bouffées de joie qui passent parfois en rafale sur une fête, c’était une clameur sinistre, des cris étouffés, des gémissements parmi les huguenots.

– La reine se meurt!…

Voici ce qui se passait:

Nous avons vu le comte de Marillac se mettre à la recherche de Jeanne d’Albret. Il finit par la trouver à peu près au moment où Charles IX s’asseyait sur son trône entre Ronsard et Coligny. Ce moment était celui aussi où Catherine de Médicis, entourée d’une escorte de ses gentilshommes, se dirigeait lentement, le sourire aux lèvres, vers la reine de Navarre.

Grave et pensive, Jeanne d’Albret assistait à cette fête donnée en l’honneur de son fils en se demandant quel pouvait être le sens de cette joie effrénée qui se manifestait à ses yeux.

À deux ou trois reprises, les dames d’honneur et les gentilshommes qui, autour d’elle, formaient une cour, l’avaient vue pâlir; puis une rougeur, ardente comme une flamme, avait remplacé cette pâleur.

Par moments, Jeanne d’Albret se sentait glacée et tremblante; à d’autres moments, au contraire, il lui semblait qu’elle étouffait.

Cependant, elle ne prêtait qu’une médiocre attention à ces symptômes d’un mal qu’elle ne pouvait prévoir.

Seulement, elle cherchait des yeux son fils Henri et, quand elle l’avait trouvé, elle le suivait d’un regard inquiet. Cette inquiétude fut même à un moment si manifeste que Marguerite, la fiancée d’Henri, s’en aperçut, s’approcha de la reine, et lui dit à voix basse:

– Que craignez-vous, madame? Soyez assurée que nul n’oserait rien tenter contre mon royal fiancé.

Ces paroles rassurèrent en effet Jeanne d’Albret, qui savait de quel grand crédit Margot jouissait auprès de son frère Charles IX.

Ce fut sur ces entrefaites, qu’elle aperçut tout à coup le comte de Marillac qui, faisant effort pour percer le cercle de courtisans, tâchait de s’approcher d’elle.

Elle sourit et tendit sa main.

Aussitôt les courtisans s’écartèrent et le comte, rayonnant de bonheur, comme nous avons dit, s’avança vivement pour saisir et baiser la main qui lui était tendue.

Mais au même instant, la reine retira cette main et la porta à son front, puis à sa gorge. En même temps, elle se renversa en arrière, livide le front baigné de sueur, les yeux convulsés, la poitrine soulevée par des râles étouffés.

– De l’air! De l’air! cria Marillac en pâlissant. La reine se trouve mal…

Aussitôt, cris, affolement des femmes, tumulte.

– Oh! mon Dieu, dit une voix douce et tremblante d’émotion, qu’a donc notre chère cousine?…

Et l’on vit Catherine de Médicis s’approcher précipitamment, se pencher sur Jeanne d’Albret, avec tous les signes d’un violent chagrin.

– Vite! Vite! ordonna-t-elle. Qu’on cherche maître Paré… je viens de le voir… là… tenez…

Vingt courtisans se précipitèrent vers le médecin du roi. Mais déjà, grâce à un flacon que lui faisait respirer Catherine, la reine de Navarre reprenait ses sens et balbutiait.

– Ce n’est rien… la chaleur… l’émotion… c’est vous, mon cher enfant?…

– Oui, madame, répondit Marillac d’une voix bouleversée. Plaise au ciel de prendre ma vie plutôt que la vôtre…

– Mais la vie de notre bonne cousine n’est pas en danger! fit Catherine avec un sourire.

À ce moment, Ambroise Paré se penchait sur la reine et l’examinait attentivement.

– À moi! râla tout à coup Jeanne d’Albret… Mon fils! Je veux voir mon fils! Oh! je brûle! Mes mains brûlent…

Paré saisit les mains de la reine, tandis qu’on courait chercher Henri de Béarn.

Jeanne d’Albret, pour la deuxième fois, perdit connaissance. Et cette fois le flacon de sels fut impuissant. Henri arrivait à ce moment. Il vit sa mère mourante. Il pâlit affreusement et, saisissant le médecin par le bras, lui dit d’une voix basse et terrible:

– La vérité, monsieur! Au nom du Dieu vivant, la vérité!… Ma mère?…

Paré, bouleversé lui-même, la tête perdue, murmura imprudemment:

– Elle va mourir!

Alors, Henri se jeta à genoux, saisit sa mère, se cramponna à elle, et les sanglots de ce roi qui paraissait si jovial, furent effrayants. Effrayante aussi fut la douleur de Marillac qui, ayant reculé quelque peu, s’adossait à une colonne pour ne pas chanceler.

Catherine avait porté les mains à ses yeux, et s’écriait:

– Oh! mon Dieu! Quel affreux malheur!… La reine de Navarre se meurt!

Et, de salle en salle, de groupe en groupe, étouffant les rires, chassant la joie, comme si le malheur eût secoué ses ailes sur le Louvre en fête, se propagea la sinistre rumeur parmi les huguenots, tandis que les catholiques surpris, effarés, se demandaient déjà quelle contenance il fallait garder:

– La reine se meurt!…

Coligny accourait à son tour. Condé, d’Andelot, les principaux huguenots se plaçaient autour de la reine de Navarre, comme s’ils eussent compris vaguement que ce malheur qui les frappait était peut-être un mystérieux avertissement de mort pour chacun d’eux.

Cependant Charles IX avait appris en pâlissant la nouvelle.

Il allait s’écrier, s’étonner, lorsque, comme tout à l’heure, il vit les yeux de sa mère fixés sur lui.