— Que signifie ?

Fantômas, ayant consulté sa montre, manifestait une certaine impatience :

— Je vous ai dit déjà ce dont il s’agissait, vous m’avez promis votre concours et je sais que vous n’avez qu’une parole. Allons, Madame, il faut aller rejoindre le poste que je vous ai assigné.

— Que vais-je y voir, Fantômas ? Que va-t-il s’y passer ?

— Rien, Madame, rien qui puisse blesser votre conscience, mais des choses, au contraire, où votre généreuse initiative aura tout lieu de s’exercer. Partez, je vous en conjure, et n’insistez pas. Sous aucun prétexte ne négligez la mission de confiance que celui qui vous aime plus que tout au monde, a décidé de vous confier. Allez et que Dieu vous garde.

Fantômas, profitant des indications de José Farina, avait fait manœuvrer la porte secrète percée dans la muraille. Elle s’ouvrait sur l’obscurité sombre de la nuit. Une bouffée d’air froid pénétra dans la pièce. Lady Beltham frissonna. Instinctivement, elle ramena sur ses superbes épaules le grand manteau de laine, dépouillé depuis quelques instants.

C’était désormais au tour de la grande dame d’affecter une attitude humble et soumise. Fantômas s’était approché d’elle, les deux amants longuement s’étreignirent et ces effusions de tendresse de la part du bandit étaient si rares, mais si douces, que sa maîtresse sentit son cœur se fondre, qu’un sanglot d’amour frissonna dans sa gorge.

— Lady Beltham, murmura Fantômas, je vous aime.

Lentement, doucement, le bandit reconduisit sa maîtresse hors de la maison. Il fouilla de son regard perçant la ruelle obscure. Une ombre rôdait par là. Fantômas siffla : quelqu’un arriva aussitôt.

— Conduis lady Beltham, murmura Fantômas à celui qui était accouru à ce signal, là où tu sais.

Une dernière fois le bandit prit congé de sa maîtresse :

— Avec le vent qu’il fait, déclara-t-il, vous en avez pour un quart d’heure à peine. La mer est dure, je le sais, mais je sais aussi que vous êtes vaillante.

Cependant que Fantômas faisait ainsi partir lady Beltham vers une destination mystérieuse, dans la salle commune du cabaret, on buvait ferme. On faisait grand tapage. Une troupe d’Espagnols était venue s’installer autour d’une table et faisait force libations. C’étaient, croyait-on des contrebandiers descendus de la montagne et qui, sans doute, avaient réussi quelque bonne expédition, car ils étaient joyeux et paraissaient cousus d’or.

Un homme, assis dans un groupe de marins, déclarait avec autorité :

— J’parie bien un verre que çà finira mal pour ces gaillards-là, ils font trop de tapage et la police leur tombera sur le dos, ce qui est toujours mauvais lorsqu’on fait de la contrebande.

Il s’arrêta net. Comme pour confirmer ses appréhensions, l’homme avait désigné du doigt un personnage entrant dans l’auberge.

C’était un homme ventripotent et chauve, l’air d’un ouvrier endimanché et portant quarante-cinq ans environ. Il avisa une petite table disponible et murmura à mi-voix des choses auxquelles nul ne faisait attention.

Toutefois, lorsque José Farina s’approcha de lui, il entendit que cet homme disait :

— De sous terre, je sors de sous terre…

José Farina s’arrêta de verser la consommation commandée par l’individu. Il se pencha à son oreille :

— On t’attend, fit-il, dans le petit salon, viens avec moi.

L’inconnu suivit José Farina. Deux secondes plus tard, son départ de la salle commune ayant passé complètement inaperçu, il se trouvait dans la pièce où, quelques instants auparavant, se tenaient Fantômas et sa maîtresse.

Fantômas ne broncha point. Il attendit que la porte fut refermée, mais sitôt que le sinistre bandit s’assura qu’il était seul et sans témoins avec le nouveau venu, il se départit de son attitude impassible :

— Eh bien, le Bedeau, fit-il, te voilà enfin. Mets-les sur la table.

— Quoi ?

— Eh bien, les vingt-cinq mille francs de Fargeaux.

Le Bedeau, car c’était lui qui se trouvait en face du redoutable Maître de l’Effroi, hocha douloureusement la tête :

— Non.

— Pourquoi ? cria Fantômas, Fargeaux n’est-il donc pas venu ? N’as-tu point exécuté mes instructions ?

Déjà les yeux de Fantômas devenaient farouches et sa main, nerveusement, caressait, dans sa poche, le manche de son poignard.

Le Bedeau devint blême :

— Ne te fâche pas, Fantômas, supplia-t-il, mais écoute plutôt ce qui s’est passé.

— Parle, fit Fantômas, faisant de prodigieux efforts pour rester calme, pour maîtriser son impatience.

— Donc, déclara le Bedeau, j’ai fait comme tu l’avais ordonné, j’ai été me cacher dans l’égout avec le petit paquet, autrement dit l’éclat d’obus que je devais donner au particulier, en échange de ses vingt-cinq mille balles. Je reste donc dans l’égout une bonne demi-heure, peut-être plus, mettons trente-cinq minutes.

— Au fait.

— Là, là, ne te fâche pas, Fantômas, tout ça n’est pas de ma faute ! Tout d’un coup, dans le silence de la nuit, j’entends des pas au-dessus de ma tête et je comprends que puisque je suis dans l’égout, c’est que quelqu’un marche sur le trottoir de la rue. Je me dis : c’est Fargeaux. C’était l’heure, en effet, du rendez-vous ; dès lors, je m’apprête à lui passer par la bouche de l’égout le petit paquet en échange des billets de mille, mais à ce moment-là, Fantômas, j’ai foutu le camp.

— Triple imbécile, hurla le bandit.

— Peut-être, poursuivit le Bedeau, n’importe qui en aurait fait autant et peut-être toi-même.

— Pourquoi as-tu fui ?

— Parce que, éclata le Bedeau, la mèche était éventée, quelqu’un avait deviné le truc, toujours est-il qu’il y avait du monde dans l’égout et que je n’ai eu que le temps de déguerpir en abandonnant là le paquet, destiné au dénommé Fargeaux.

Fantômas serrait les poings, s’exaspérait contre la lâcheté du Bedeau :

— Il fallait résister, grommela-t-il, attaquer au besoin, te défendre en tout cas.

— Non, non, Fantômas, j’ai agi de mon mieux, bousculé l’obstacle et voilà tout, c’est déjà bien. Si j’avais imaginé de faire le malin, à l’heure qu’il est tu ne me verrais pas et tu serais en train de te ronger tes sangs à te demander ce que je suis devenu. Car celui, Fantômas, qui était à mes trousses, celui qui un instant courut après moi dans l’égout et que par un bonheur extrême, je suis parvenu à dépister, cet homme-là, c’était Juve.

Fantômas avait l’habitude des événements les plus inattendus et des révélations les plus tragiques, toutefois il ne put retenir un mouvement de dépit, un juron de colère.

Juve avait-il donc découvert ce qu’il manigançait ? Juve était-il donc sur ses trousses et si près de lui qu’il avait failli atteindre le Bedeau ?

— Nom de Dieu ! jura Fantômas.

Le bandit s’arrêta net. Quelqu’un frappait à coups redoublés de l’autre côté de la porte secrète, quelqu’un semblait taper dans la muraille.

Les deux hommes se regardèrent interdits. Le Bedeau hasarda :

— Il m’a peut-être suivi.

Le Bedeau sentait son cœur battre à rompre dans sa poitrine, mais cette émotion fut de courte durée. Le Bedeau reconnut en effet la voix d’un des apaches de la bande : celle de Bébé.

C’était, en effet, Bébé qui survenait. Fantômas, brutalement, l’apostropha ;

— Tu sais, fit-il, que je n’aime pas à être dérangé, de quel droit t’es-tu permis de venir frapper à cette porte ?

Bébé, baissant la tête respectueusement, s’expliqua. Il était encore tout essoufflé de la course qu’il venait de faire, il haletait à chaque mot :

— Vous pensez si j’ai cavalé, il n’y a pas plus de vingt-cinq minutes que je me suis débiné avec la dame que vous m’avez recommandée.

— Est-elle bien arrivée là-bas ? demanda Fantômas…

— Tout ce qu’il y a de bien, répliqua Bébé, mais sacré bon Dieu, que la mer était dure.

— Là n’est pas la question, fit Fantômas, qu’avais-tu besoin de revenir puisque la besogne s’est accomplie normalement ? Tu sais que je n’aime pas les raseurs et encore moins les gens qui cherchent à se faire valoir.