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D’autre part, l’idée qu’Arnoldson devait occuper ses loisirs au premier étage et qu’il ne s’ennuyait point en la compagnie d’Adrienne, tout cela faisait que Joe se rapprochait davantage de Mme Martinet, lui souriait d’un sourire de plus en plus large, lui caressait la main d’une caresse de plus en plus rude.

Il essaya de passer son bras autour de la taille arrondie de Mme Martinet. Mais celle-ci se leva et lui dit, très digne:

– Eh là! monsieur Joe, que faites-vous? Perdez-vous la tête? Oubliez-vous que nous avons à parler de choses sérieuses?

Cette nouvelle attitude, un peu brusque, fit réfléchir Joe. Il se rappela le coup d’œil lancé par Marguerite à Adrienne, et il crut prudent d’éclaircir la situation.

– Pourquoi donc, ma chère madame Martinet, lui demanda-t-il, êtes-vous venue avec votre mari aux Volubilis?

– Ah! fit-elle, nous sommes venus pour faire plaisir à Mme Lawrence. Sans doute que la chère dame s’ennuyait…

– Cela ne vous a pas semblé bizarre? Car, enfin, vous n’étiez pas liés ensemble?

– Pas le moins du monde, et s’il faut vous dire toute la vérité, cela, comme vous dites, nous a semblé bizarre. Bien mieux: l’allure et les paroles un peu décousues de la chère dame nous ont surpris depuis notre arrivée. Elle paraissait fort préoccupée. Mon mari et moi, nous nous demandions si elle n’était point devenue un peu… toquée depuis la mort de M. Lawrence. Martinet n’a jamais compris grand’chose au drame qui s’est passé rue de Moscou… Il est allé au secours de Pold parce que je l’avais instruit de ce qui allait sans doute se passer… ayant appris par lui-même que M. Lawrence était amoureux de Diane. Je craignais une catastrophe à la suite de ma dénonciation… Et j’avais bien raison de la craindre, puisqu’elle s’est produite… Ah! je regrette bien ce que j’ai fait… J’ai mal agi, dans mon ignorance. Et, quand je songe que c’est vous qui m’avez incitée à écrire cette lettre, je me demande ce que je dois penser… ce que je dois croire… Car, enfin, M. Arnoldson a été lui-même mêlé à l’affaire. Mon mari l’a vu ce soir-là… Il tenait Mme Adrienne dans ses bras… Tout cela est horrible, mais nous n’y comprenons rien… rien du tout. C’est une énigme… Et je pense bien que vous voudrez m’expliquer… Enfin, tout est bizarre dans cette lugubre histoire, et elle m’effraie. Notre démarche même de ce soir, qu’est-ce que cela veut dire?

Mme Martinet avait «défilé son chapelet» avec rapidité, comme une femme qui n’y voit pas plus loin que le bout de son nez et qui a une cervelle de linotte.

Joe y fut à moitié pris, et il pensa:

– Voilà une femme qui ne sait rien. Elle est venue parce qu’Adrienne lui a dit de l’accompagner. Mais elle ne se doute pas de ce qui se passe là-haut…

Il reprit, les yeux rieurs:

– Bah! je ne suis pas plus avancé que vous. Et je ne comprends rien à toutes ces manigances… Mais les affaires des autres ne nous regardent pas, n’est-il point vrai?

Et il ajouta, en montrant toutes ses dents:

– Occupons-nous de nous! Et, puisque Joe est en face de Mme Martinet, que Mme Martinet permette à Joe de lui dire qu’elle est la plus belle femme du monde!

Sur cette déclaration, Joe saisit la taille de Mme Martinet et déposa sur ses joues un double baiser, qui parut à la pauvre Marguerite une double morsure.

Elle bondit en arrière avec un tel élan et le repoussa avec une telle expression de dégoût que Joe en fut tout interloqué.

– Oh! oh! fit-il à part lui… Que veut dire ce double jeu?… Méfions-nous, monsieur Joe, méfions-nous!

Mme Martinet voulut regagner le terrain qu’elle avait perdu dans l’esprit de Joe et l’empire qu’elle exerçait, quelques minutes auparavant, sur ses sens: elle s’efforça de se montrer plus aimable et plus communicative encore et de témoigner moins de sauvagerie.

Elle comprenait qu’elle avait commis une grande faute en trahissant, dans un mouvement tout instinctif, la répulsion que Joe lui inspirait.

Mais le noir se méfiait… Il était malin, et les alternatives d’amabilité et de froideur de son hôtesse ne lui disaient rien de bon.

Mme Martinet le regardait avec un sourire engageant, et lui ne savait plus à quoi se résoudre. Finalement, comme Mme Martinet ne lui avait jamais tant plu que ce soir-là, il se rapprocha d’elle à nouveau pour mieux la contempler.

Et il lui répéta la chose déjà dite vingt fois:

– Ah! madame Martinet, je vous trouve bien jolie!

Il s’arrêtait là maintenant et souriait. Il n’osait plus risquer un geste.

Joe souriait toujours. Il y avait cinq minutes que la conversation languissait. Mme Martinet dit:

– Monsieur Joe, avez-vous encore de cet excellent malaga que vous me fîtes boire certain soir où vous étiez en la compagnie du père Jules?

– Oui-da! fit Joe, tout heureux que Mme Martinet prît de l’intérêt à son malaga.

– Eh bien! vous seriez un brave homme de m’y faire à nouveau goûter, monsieur Joe… Je sens que j’ai besoin de «prendre quelque chose».

Joe se dirigea vers un buffet, duquel il tira une bouteille et un verre.

Il brandit la bouteille et posa le verre sur la table devant Mme Martinet.

– Le malaga demandé! s’exclama-t-il.

Mme Martinet montra le verre sur la table et dit:

– Vraiment, monsieur Joe, allez-vous me faire l’injure de ne point trinquer avec moi?

– Vous le désirez?

– Si je le désire! N’est-il point étrange qu’étant chez vous, ce soit moi qui vous invite?

– Mais je n’ai, moi, chère madame, aucun goût pour le malaga.

– Eh bien! buvez autre chose… Mais ne me laissez point boire seule.

– Je boirai donc un verre de rhum.

Et Mme Martinet remplit de malaga son verre, pendant que Joe retournait au buffet et en revenait avec un nouveau verre et une nouvelle bouteille.

Et lui aussi remplit son verre.

Et il reprit la main de Mme Martinet et la serra avec effusion.

– Vous êtes souvent seul, monsieur Joe! Et la solitude ne vous pèse pas?

– Ça dépend des jours, répliqua Joe avec un clignement d’yeux qui voulait être éloquent… et même des nuits… Une idée, par exemple, que vous vous en alliez à cette heure, que vous me quittiez tout de suite, comme ça… sans dire gare… eh bien! je vous jure que la solitude me pèserait… et que je regretterais les quelques instants agréables que vous m’avez permis de passer en votre compagnie.