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Il frappait… Il frappait… Son bras se relevait d’un geste automatique, ébranlant les airs, faisant sauter les débris de la porte, qui s’en allait par éclats…

Enfin, l’obstacle fut brisé. Et la porte, sous un dernier coup qu’il porta, d’un effort surhumain, fut ouverte.

Une ruée et une huée… Une foule tourbillonnante, poursuivie par les flammes, envahit la rue… Cinq cents personnes étaient sauvées…

Le prince regarda passer ce flot, dévisagea toute cette foule d’outre-tombe, qui semblait sortir de quelque gouffre infernal.

Et il poussa un cri d’appel, auquel nulle voix ne répondit:

– Lily!… Lily!…

Lily n’était point là! Lily était encore dans la fournaise…

Alors, il se jeta dans le Bazar, il se heurta à ces gens qui en sortaient, voulant se faire une trouée, voulant pénétrer quand même dans ce lieu de supplice où Lily agonisait…

Mais il lui eût été plus facile de lutter contre quelque flot de tempête, d’arrêter la marée montante sur les grèves que de vaincre la puissance formidable de ces êtres fuyant la mort, et qu’il venait d’arracher à leur supplice…

Il fut repoussé, rejeté sur la chaussée comme une épave…

Ses regards se portèrent ailleurs, désespérément.

Il aperçut les fenêtres.

Il bondit vers l’une de ces fenêtres… Mais elles étaient très hautes, si hautes que ceux qui avaient essayé de s’échapper par là étaient retombés, vaincus, dans le Bazar…

Et, cependant, il prit à plusieurs reprises un tel élan que ses mains parvinrent à s’agripper à cette fenêtre, et, par un tour de force, il grimpa le long de la paroi, il se dressa enfin dans le cadre de cette fenêtre…

Il était environné de torrents de fumée et de flammes…

Le prince avait vu Lily qui râlait près de son frère Pold. Sans hésitation, il s’était jeté dans le Bazar. Il marchait sous une pluie de feu. Il semblait ne point sentir les profondes brûlures dont il était atteint à chaque pas.

Il arriva auprès de Lily et de Pold. Avec adresse, il parvint à emporter la jeune fille et regagna la fenêtre, au moment où des secours s’organisaient du dehors, où des hommes dévoués aidaient, par cette voie, des malheureuses à échapper au terrible fléau.

Et Lily fut sauvée. Malgré la chaleur intolérable qui se dégageait de l’immense brasier, malgré l’asphyxie qui le prenait à la gorge et à laquelle il croyait, à chaque instant, devoir succomber, il revint sur ses pas.

Il vit l’Homme de la nuit qui étreignait Adrienne et il entendit le cri qu’Adrienne, dans une épouvante sans nom, jeta vers lui.

Il vola à son secours. Une poutre enflammée tomba alors sur Arnoldson et lui fit lâcher prise. Adrienne était débarrassée du monstre. Le prince Agra bondit à côté d’elle et la reçut dans ses bras.

Et il refit avec elle le chemin qu’il avait accompli avec Lily…

Titubant, il repartit vers Pold et revint avec son troisième fardeau. Le prince Agra les avait sauvés tous les trois.

Mais, après ces suprêmes efforts, il tomba sur le seuil du hall maudit, qui s’abîmait alors avec un dernier fracas, ensevelissant sous ses débris en flammes celui qui fut l’Homme de la nuit!

XVII OÙ L’ON S’APERÇOIT QUE RIEN N’EST JAMAIS FINI

Six ans ont passé. Adrienne mène une vie qui semble paisible; après bien des hésitations, elle a laissé sa Lily aller vers Agra, leur sauveur. Ne les a-t-il pas tous sauvés dix fois de la mort? N’a-t-il point dix fois racheté les crimes de son monstrueux père? Leur sauveur n’avait d’ailleurs pas sauvé qu’eux. Il avait fait évacuer une grande partie de cette élite du Tout-Paris dont beaucoup ne purent s’échapper. Ils étaient venus pour les enfants du peuple; Paris tout entier s’en émut.

Non loin de la demeure d’Adrienne, Lily et son mari prennent des rafraîchissements sur la terrasse qui surplombe un verdoyant coteau de la côte normande. Agra se penche vers Lily pour regarder le petit garçon qui sommeille à demi couché sur ses genoux.

Soudain sort d’un taillis, galopant sur les vastes espaces verts, un poulain blanc, la crinière au vent et l’on reconnaît déjà la fière allure de Kali.

– Qu’il est vif! s’écrie Lily, Regarde-le, William, bientôt notre petit bonhomme pourra le monter.

Le prince Agra, qui a rejeté titre et nom, a pris celui de sa mère: Baldwin. Il est devenu propriétaire d’un haras important et paraît passer des jours heureux.

Pourquoi, cependant, lit-on une certaine angoisse au fond de ses yeux?

L’Homme de la nuit est mort lors de cet incendie monstre où ils faillirent être tous carbonisés. Alors, que craint-il?

Lily ne se rend compte de rien, elle vit dans un rêve…

Pourtant, le comportement singulier d’Adrienne a attiré son attention.

Pold est venu passer quelques jours chez sa mère, à la suite d’une lettre de sa sœur: «Maman a une attitude nouvelle qui me surprend. Elle cajolait petit Billy. Cet enfant lui redonnait goût à la vie. Depuis quelque temps, elle s’en détourne presque. Je ne comprends pas…»

Toujours affectueux et prévenant pour Adrienne, son fils est accouru. Les années n’ont rien enlevé à l’entrain du jeune homme. Il a amené les Martinet avec lui.

Ils doivent tous se retrouver chez William pour déjeuner.

Billy s’est éveillé, a descendu les marches du perron. Il court très vite, trop vite, après quoi?

Son père ne le quitte pas des yeux.

Lily le lui reproche en riant:

– Mais que veux-tu qu’il lui arrive? Laisse-le un peu à lui-même.

Adrienne et ses invités les rejoignent. Ce sont des exclamations joyeuses entre tous ces êtres enfin tranquilles depuis six ans.

– Billy, viens dire bonjour, appelle Lily, n’épargnant pas cette vieille coutume à l’enfant, qui vient en manifestant un réel ennui.

Martinet, «qui n’en rate pas une», fait remarquer que le moutard serait mieux à jouer qu’à leur faire des «salamalecs».

– Allons, Martinet, s’exclame Marguerite, on voit bien que tu n’as pas d’enfant à élever! et, en aparté, si tu avais eu moins de bon vin à cuver… enfin…

On voit que Marguerite, oubliant ses fautes passées, porte à nouveau la culotte.

La table est joliment parée, on s’installe. Billy veut être à tout prix à côté de Martinet.

– Celui-là, il n’est pas embêtant, affirme-t-il avec force.

Billy mange proprement. Quand on sert les pigeons lardés aux petits pois, on lui en donne la moitié d’un.