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La pression de la main de Joe se faisait de plus en plus significative, en même temps que ses clignements d’yeux se répétaient avec une promptitude qui ne laissait plus rien à deviner à Mme Martinet sur l’état d’âme de son compagnon.

Elle se renversa sur le dossier de sa chaise et poussa un profond soupir.

– J’ai chaud! dit-elle. J’étouffe!

– Désirez-vous que j’ouvre la fenêtre? demanda Joe.

Et il reposa sur la table son verre au moment où il se disposait à boire à la santé de Mme Martinet.

– Oui, fit celle-ci. Poussez le volet…

Joe se leva et se dirigea vers la fenêtre.

Il n’avait pas plus tôt le dos tourné que Mme Martinet avait sorti de la poche de sa robe un minuscule flacon, qu’elle déboucha rapidement.

Elle avança la main qui tenait le flacon vers le verre de Joe. Mais elle retira cette main aussitôt, car Joe s’était retourné.

– À moins que vous ne vouliez que j’ouvre la porte… demanda-t-il.

– Non point! non point! fit Marguerite d’une voix dont elle ne parvenait pas à dissimuler l’émotion. Un volet de la fenêtre, et ce sera bien suffisant.

Joe fut un peu étonné de trouver Mme Martinet penchée au-dessus de la table alors qu’il venait de la voir renversée sur le dossier de sa chaise. Il avait également surpris un mouvement rapide de bras qui ne lui avait pas semblé naturel.

Qu’est-ce que cela signifiait?…

Il branla la tête et s’en fut à la fenêtre, dont il poussa le volet.

Mme Martinet avait profité de ces quelques secondes pour verser dans le verre de Joe la majeure partie du contenu de son flacon, qu’elle remit précipitamment dans sa poche.

Pas assez précipitamment cependant, car Joe, qui se doutait de quelque chose, avait fait une volte-face subite.

Et il lui sembla bien que Mme Martinet avait jeté quelque chose dans son verre. Il ne pouvait expliquer que de cette façon le brusque retrait du bras de Mme Martinet, qu’il venait de surprendre pour la seconde fois.

Toutefois, il n’était certain de rien. Il n’avait encore qu’une hypothèse. Mais, comme il était d’un naturel méfiant, il résolut d’agir comme s’il tenait une certitude.

Il revint vers Mme Martinet, le visage calme et placide, comme s’il ne se fût douté de rien.

Il s’assit, prit son verre et, heurtant le verre de Mme Martinet, il dit:

– À votre santé!

Mais il ne but pas.

Mme Martinet, elle, après avoir trinqué, avait bu.

– Vous ne buvez pas? dit Mme Martinet, d’une voix étrange.

– Non, madame, fit Joe, et je vais vous dire pourquoi. J’ai un caprice.

– Lequel, monsieur Joe?

– Je vais vous le dire… J’éprouve pour vous, madame, des sentiments que vous aviez peut-être devinés… Ils sont ardents, mais respectueux. Et mon intention, continua-t-il, n’est point de vous demander des choses qui vous feraient rougir.

– Je l’espère bien, monsieur Joe…

– Mais encore me sera-t-il permis de vous soumettre le désir que j’ai. Si vous n’êtes point une méchante femme, vous ne le repousserez pas. Je voudrais, madame, que vous trempiez vos lèvres dans mon verre… Ce n’est pas bien terrible ce que je vous demande là… Mais, foi de Joe, je ne boirai pas si vous ne le faites point!

Marguerite était devenue toute pâle.

Elle vit que Joe l’observait d’un regard aigu et qu’il fallait à toute force surmonter la terreur qui commençait à galoper en elle.

Avait-il vu le flacon? Avait-il saisi son geste? Se doutait-il simplement de quelque chose? Questions terribles qui la remplissaient d’effroi. Il était vraiment extraordinaire qu’il exigeât d’elle qu’elle but quelques gouttes de rhum.

Et Mme Martinet lutta contre la peur atroce qui l’envahissait. Un mouvement maladroit, une crispation des muscles de sa face, une parole imprudente, et tout était perdu… Elle était à la complète disposition de cet homme, et Adrienne, là-haut, allait devenir la victime d’Arnoldson si elle faiblissait. Au dehors, Martinet et Pold, attendant toujours le signal et ne le voyant pas, ne l’entendant pas, resteraient derrière le talus. Ils ne viendraient, ils ne se décideraient à venir que lorsque tout serait consommé.

Et Mme Martinet fut héroïque. Elle trouva encore en elle la force de sourire.

– Quelle est cette fantaisie nouvelle, monsieur Joe? demanda-t-elle sans que sa voix tremblât.

– Je veux, répéta avec force le noir, je veux que vous buviez mon verre.

– Mais cela n’est pas convenable du tout…

– Qu’importe? Personne n’ira le répéter à ce bon M. Martinet…

– Je ne vous comprends pas. Pourquoi voulez-vous que je boive votre rhum?… Je viens de boire du malaga et je déteste le rhum…

Joe fit un pas vers elle. Son visage exprimait alors presque de la colère.

– Vous n’aimez pas le rhum?

Mme Martinet croyait à chaque instant qu’elle allait défaillir. L’attitude de plus en plus menaçante de Joe ne lui donnait plus le droit de douter qu’il se méfiait d’elle, qu’il la soupçonnait d’avoir versé quelque chose dans son verre. Il avait surpris certainement un geste équivoque. Elle n’avait point retiré sa main du verre avec assez de promptitude.

La situation devenait de plus en plus critique. Elle répéta:

– Mais non. Je n’aime pas le rhum. Vous savez bien que je n’aime pas le rhum… M’avez-vous jamais vu buvant du rhum?

– Jamais! fit Joe d’un ton mauvais. Mais il me plaît, moi, que vous l’aimiez ce soir… Vous m’entendez, madame Martinet?… Ce soir, je veux que vous buviez mon rhum…

Et il lui tendit le verre.

– Tout le rhum! dit-il, tout le rhum! Je n’aurais garde d’en renverser une goutte. Voyez comme vous avez tort de me refuser plus longtemps ce que je vous demande, madame Martinet. Tout d’abord, qu’est-ce que j’exigeais? Que vous trempiez vos lèvres dans mon verre. Maintenant, je veux que vous buviez tout le rhum. Dans cinq minutes… prenez garde!… je vous demanderai d’avaler le verre…

Et il se mit à rire sinistrement. Il regardait le rhum à travers les parois du verre. Il faisait passer ce verre devant la lampe et disait:

– Ai-je la berlue? Il me semble bien que ce rhum n’a point sa belle couleur ordinaire…