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– Eh bien, aujourd’hui, il manque à la consigne.

– Ce géant, paraît-il, est terrible, et, avec cela, sourd-muet.

– Sourd-muet? interrogea Martinet, intrigué… sourd-muet?… Attends un peu… mon cornichon… attends… Eh bien, mon vieux, j’ai comme une vague idée qu’il ne viendra pas ce soir? continuait Martinet…

– À cause?

– À cause qu’il doit être en train de digérer une lame de couteau qui ne veut sans doute pas passer…

– Je ne comprends pas…

– C’est que je m’exprime mal. Sache donc que je l’ai estourbi.

– Quand? où ça?

– C’était, s’il m’en souvient, un soir où mon ami Pold était enfermé dans une certaine chambre de la rue de Moscou. L’ami Martinet passait par là, et comme il y avait un olibrius qui l’empêchait d’entrer, qui faisait le sourd à ses observations et refusait de lui répondre, et que les circonstances étaient au moins aussi graves que ce soir, l’ami Martinet a glissé son canif entre deux côtes de l’olibrius. Je ne pouvais pas deviner que, s’il ne m’entendait pas, c’est qu’il était sourd; que, s’il ne me répondait pas, c’est qu’il était muet…

– Heureuse fatalité, mon cher Martinet… Je t’avoue que s’il nous avait fallu lutter contre Joe et l’Aigle nous aurions couru quelques chances de sortir de l’auberge Rouge bien malades… Maintenant, il n’y a plus que Joe et l’Homme. Nous en viendrons à bout.

Martinet fit un geste d’assentiment.

Et il fit signe à Pold d’observer le silence.

La fenêtre du premier étage venait de s’ouvrir. Ils distinguèrent la silhouette de l’Homme, qui resta un instant dans le cadre de cette fenêtre.

L’homme regardait au loin, dans la nuit claire, du côté de la route qui montait vers les Volubilis.

Il fit un grand geste d’impatience et referma la fenêtre.

– Il est seul; Joe est redescendu, fit Martinet. As-tu vu son geste?… Il commence à trouver qu’on le fait poser…

– Oui, continua Pold; s’il se doutait de ce qui l’attend… il serait moins pressé… Martinet, voici l’heure d’aller chercher les femmes.

– Et toi? demanda Martinet.

– Moi, je reste.

– Dis donc, Martinet, fit Pold au moment où Martinet se préparait à le quitter, es-tu sûr du courage de ta femme?

– Comme du mien, mon ami. Maintenant que nous connaissons toute l’histoire, et que nous savons que le monstre a usé de nous, sans que nous nous en doutions, pour vous frapper… j’estime qu’il est de notre devoir de vous aider à vous débarrasser du bonhomme. Et, du moment où j’estime qu’il le faut, ma femme estime comme moi. Elle m’emboîte le pas, maintenant, Marguerite… Sur ce, je vais la chercher. Avec quelques paroles bien senties, je vais lui donner du cœur au ventre…

Et Martinet s’éloigna, cherchant les coins les plus ténébreux.

Pold resta à son poste.

Et, pensant au traquenard dans lequel il comptait bien que tomberait l’Homme de la nuit et qu’il avait préparé de connivence avec sa mère, Martinet et Mme Martinet, il disait, d’une voix de menace:

– À guet-apens, guet-apens et demi!

Pendant ce temps; Martinet était arrivé aux Volubilis. Il courut jusqu’au salon où deux femmes l’attendaient. À son arrivée, elles se levèrent vivement.

– Eh bien? demanda Adrienne.

– Eh bien, l’Homme de la nuit est seul à l’auberge Rouge, avec Joe. Joe est en bas, dans la grande salle. Arnoldson attend dans une chambre, au premier étage.

– Partons! s’écria Adrienne.

– Madame! supplia Mme Martinet, songez que vous allez courir les plus grands dangers. Songez que vous n’avez plus à redouter cet homme, puisque Lily vous est rendue. Songez que vous pouvez maintenant ne plus aller à ce rendez-vous et que rien ne vous y force…

– Je ne songe qu’à une chose, fit Adrienne avec force, je ne songe qu’à nous venger!

Martinet intervint:

– Allons!… ma femme, assez de paroles, et sortons! Mme Lawrence a raison: si elle n’écrase pas le monstre, le monstre l’écrasera… L’occasion est bonne: profitons-en! Et, surtout, ajouta-t-il d’une voix très rude, surtout, toi, pas de faiblesse!… Si tu n’as pas le courage nécessaire, je ne te le pardonnerai jamais!…

– Soit tranquille, fit Mme Martinet lentement: j’aurai le courage nécessaire… Ce que j’en disais, c’était pour cette pauvre; Mme Lawrence…

Adrienne était déjà dans le jardin.

Mme Martinet jeta un châle sur ses épaules et la rejoignit.

Les deux femmes gagnèrent le bois par là route, ne cherchant nullement à se dissimuler.

À une centaine de pas, Martinet suivait, mais en prenant les mêmes précautions que précédemment pour n’être point aperçu.

Les deux femmes ne se parlaient point. Elles furent bientôt auprès de l’auberge. Elles passèrent le long du talus où était caché Pold.

D’un pas ferme, Adrienne, suivie de Mme Martinet, traversa la route et monta jusqu’à la porte de l’auberge.

De son poing fermé, elle frappa sur cette porte trois coups.

Une demi-heure environ avant que Martinet ne vînt, derrière le talus, surveiller l’auberge Rouge et ses hôtes de passage, Joe avait réintégré son domicile.

Après avoir ouvert la porte de son établissement avec force tours de clef, il pénétra dans la grande salle du rez-de-chaussée et jeta sur la table un modeste baluchon qu’il avait pour tout bagage.

Puis il regarda l’heure au cadran d’une énorme montre qu’il tira de son gousset. Après quoi il dit tout haut:

– Le maître n’arrivera pas avant une heure d’ici.

Il paraissait de fort méchante humeur et alluma sa bouffarde, une pipe en terre effroyablement culottée, avec des hochements de tête qui ne signifiaient rien de bon.

Puis il se balada à grandes enjambées dans la salle, poussa vers les solives du plafond des nuages de fumée et défonça quelque peu la paroi d’un buffet qu’il avait frappé de son poing.

– Ah! bien! il va être content le maître! Il va être content!…

Il n’y avait point de doute que le maître allait apprendre de mauvaises nouvelles et qu’il n’en serait point content du tout.

Trois quarts d’heure se passèrent ainsi, et Joe paraissait de plus en plus impatient de confier à son maître ces nouvelles qui le bouleversaient tant.