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– Tu iras seul aux Volubilis, déclara Mme Martinet. Moi, je reste ici…

– À cause? s’écria Martinet, en donnant un grand coup de poing sur le bord du lit.

– Mais, mon ami…

– Il n’y a pas de «mais, mon ami»… M. Martinet veut que Mme Martinet l’accompagne aux Volubilis, et Mme Martinet l’accompagnera…

Il y eut un silence, puis Martinet entendit que sa femme pleurait tout doucement dans l’ombre…

– Je serai peut-être le maître chez moi…

Ce fut sa dernière déclaration. Et Martinet commença à ronfler.

À dix heures du matin, ils prirent tous deux, à la gare de l’Est, le train pour Esbly.

Ils arrivèrent aux Volubilis vers midi.

Martinet n’avait pas adressé la parole à sa femme pendant tout le voyage.

Celle-ci n’avait cessé de le regarder avec une mine suppliante de chien battu ou qu’on va battre.

Mais Martinet n’y prenait garde et s’intéressait au spectacle du paysage.

Sur le seuil des Volubilis, ils virent Mme Lawrence qui les attendait et qui, de loin, leur adressait un geste d’amitié et de bienvenue.

– Pold réclame votre mari et prétend, madame, qu’il ne se pourra guérir complètement s’il n’est point là, fit Adrienne à Mme Martinet. Vous m’excuserez d’agir avec ce sans-gêne et de vous déranger ainsi. Quant à moi, je ne saurais trop vous être reconnaissante de négliger vos affaires pour contenter le désir de mon fils. Je suis heureuse de vous avoir près de moi.

Mme Martinet était tout émue de ce charmant accueil. Quant à Martinet, il se moucha bruyamment et dit:

– Ou’s qu’il est, not’gosse?.

– Il se promène dans le jardin…

– Il est donc tout à fait bien, maintenant?

– Oh! tout à fait, monsieur Martinet. Encore quelques jours, et il aura retrouvé toute sa santé d’autrefois.

– Il est sans doute avec sa sœur?

Adrienne s’arrêta et devint fort pâle.

– Non. Il n’est point avec sa sœur… Sa sœur est absente en ce moment, fit Adrienne. Elle est dans une famille amie…

Une voix joyeuse retentit au fond du jardin:

– Ah! Martinet! Mon bon Martinet!

C’était Pold qui arrivait à grands pas vers le groupe.

– Ne te presse pas tant, mon vieux! s’écria Martinet. Tu vas te faire mal, pour sûr!

Pold embrassa Martinet, et, se tournant vers l’épouse du tapissier, il lui tendit la main, la mine grave. Martinet les dévorait des yeux. Mme Martinet ne fit qu’effleurer la main de Pold. Mais, s’ils se donnèrent la main, ils ne se regardèrent pas. Adrienne prit momentanément congé du couple Martinet.

– Nous déjeunons dans un quart d’heure. Faites ce que vous voulez. La maison vous appartient.

Elle était enchantée de l’arrivée de ces braves gens. Dans les circonstances terribles où elle se trouvait, à la veille du jour fixé par l’Homme de la nuit pour son rendez-vous à l’auberge Rouge, sur le point de prendre des résolutions tragiques, elle ne voulait pas rester seule aux Volubilis avec un enfant blessé.

Et, comme Pold lui parlait tout le temps de Martinet, elle songea à le prier de venir, avec sa femme, passer quelques jours aux Volubilis.

Pold regardait sa mère s’éloigner par les allées du jardin. Il la montra, dans sa toilette de deuil.

– Pauvre mère! dit-il. Elle a été bien éprouvée! Ah! mon vieux Martinet, tu ne vas plus reconnaître ton Pold. Je ne suis plus le jeune fou que tu as connu. Je suis sage, maintenant… J’ai payé d’un tel prix cette sagesse!… Oui, j’ai beaucoup réfléchi, Martinet, et j’ai arrêté ceci avec moi-même que j’ai fini d’être un enfant et que je vais commencer à être un homme!

– C’est bien, ça, mon fils! s’écria Martinet, enthousiasmé.

Et il prit les deux mains de Pold et les étreignit avec une joie manifeste.

La cloche sonna pour le déjeuner. Ces braves gens allèrent s’asseoir autour de la table hospitalière, dans le kiosque où l’Homme de la nuit avait fait sa première déclaration à Adrienne.

Martinet demanda tout de suite «du siphon». Et, se penchant à l’oreille de Pold, assis à côté de lui, il dit:

– J’ai un peu mal aux cheveux… Il n’y a rien de bon, mon petit Pold, comme l’eau de Seltz au lendemain d’une «cuite»!

V HEURE TRAGIQUE

Quand on eut terminé le repas, M. et Mme Martinet, accompagnés de Pold, s’en furent errer dans les bois.

Adrienne resta aux Volubilis. Elle monta à la chambre qu’habitait Lily. Elle resta en face d’un portrait de sa fille un temps infini.

Elle descendit enfin au salon et fit demander Pold.

Pold venait justement de rentrer de sa promenade avec le ménage Martinet. Il vint au salon rejoindre sa mère.

Il fut frappé, en entrant, de la façon dont elle lui dit de s’asseoir et du ton qu’elle prit pour lui annoncer qu’elle avait des choses fort importantes à lui dire.

Il s’assit. La période terrible qu’il venait de traverser l’avait rendu quelque peu fataliste. Il s’attendait à un nouveau coup du sort et ne cherchait point à s’y dérober. À voir sa mère, il était évident qu’il ignorait encore toute l’étendue de la catastrophe qui les avait frappés et qu’elle allait la lui apprendre.

– Sais-tu bien, mon enfant, dit Adrienne, quelle fut la cause de nos malheurs?

– Oui, ma mère, je le sais.

– Parle.

– C’est moi, ma mère, qui fus la cause de tous nos malheurs.

– Non, mon enfant. Que ton cœur se rassure, et ne te crée point d’injustes remords. Tu ne fus qu’une victime, comme les autres… Mais une victime de qui, le sais-tu?…

– Une victime de cette femme que j’eus la folie d’aimer… de cette Diane que mon père a châtiée avant de mourir…

– Tu te trompes encore, mon fils… Cette femme ne fut qu’une victime elle-même de celui dont je te parle… et que tu n’as point deviné… Écoute-moi bien, Pold, et souviens-toi… La cause de tous nos malheurs est cet homme que tu as vu quelquefois ici, de cet être à l’aspect féroce, qui s’est dit l’ami de ton père, de cet Arnoldson, qui habitait la villa des Pavots et que l’on appelle quelquefois l’Homme de la nuit!…

– Ah! s’écria Pold, Diane me l’avait dit… Mais je ne l’avais point cru… car il fut toujours d’une grande amabilité pour moi, ma mère, et je ne pouvais prévoir ses desseins… Faut-il vous dire qu’aujourd’hui encore je ne les comprends pas?… Cet homme nous hait, m’a dit Diane; il nous poursuit de sa haine, prétendez-vous, ma mère. Mais quel est donc cet homme? D’où vient-il? Que nous veut-il? Il y a trois mois, nous ne le connaissions pas… Vous ne l’aviez jamais vu… Il nous ignorait… et… nous ne lui avons rien fait… n’est-ce pas, ma mère?…