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Adrienne n’osait aller plus loin dans cet interrogatoire. Elle n’osait demander à l’Homme de la nuit des choses qui lui brûlaient les lèvres.

Arnoldson lisait tous ces sentiments, tous ces désirs et toutes ces terreurs sur le visage d’Adrienne.

– Madame, dit-il, voyez combien je vous suis dévoué puisque je me réjouis du bonheur que je vous apporte…

– Expliquez-vous…

– Car, enfin, madame, y a-t-il un plus grand bonheur pour une mère qui a redouté le déshonneur de sa fille que d’apprendre que cette fille est toujours pure?

Adrienne s’avança vers Arnoldson:

– Je redoutais tout… tout…

Fielleux, il laissa tomber ces mots:

– Ne serait-il pas d’une bonne politique d’en remercier sir Arnoldson?

– Vous? Je serais plutôt tentée de croire que, si une lâcheté n’a pas été commise, que, si un crime n’a pas été accompli, c’est que tous vos efforts ont échoué.

– Madame, je vous donne ma parole – et je vous ai prouvé que je la tiens toujours, n’est-ce pas, madame? – le jour où j’aurai décidé la perte de votre fille, votre fille sera perdue!

Et Arnoldson ajouta, avec un cynique sourire:

– Il ne me faudra pour cela que prononcer une parole, et le prince Agra l’attend!

Arnoldson continuait:

– Le prince Agra, madame, n’attend également qu’une parole de moi pour vous ramener la jeune Lily. Cette parole…

– Cette parole? demanda anxieusement Adrienne.

– Cette parole… il dépend de vous que je la prononce, fit lentement Arnoldson.

Adrienne regardait l’Homme de la nuit. Elle avait peur de comprendre.

– Que voulez-vous, chère madame Lawrence, je suis désolé d’en être arrivé à de pareilles extrémités…

Cette fois, il n’y avait plus de doute dans l’esprit d’Adrienne… Elle comprenait l’ignoble marché que l’Homme de la nuit était venu lui proposer…

– Jamais!… s’écria-t-elle. Jamais!…

– Ceci n’est que le premier cri de votre âme révoltée, dit Arnoldson. Vous verrez que c’est la mère qui… m’amènera l’honnête femme… à l’heure que je voudrai, madame… à l’endroit que je vous désignerai… J’ai l’honneur, madame, de vous saluer…

Adrienne se jeta de côté, ne voulant pas être frôlée de cet homme, ni souillée de son approche…

Les trois jours qui suivirent la visite d’Arnoldson furent pour Adrienne des jours d’angoisse. Elle restait auprès de Pold assis dans un fauteuil, commençant enfin sa convalescence.

Ce soir-là, Adrienne reçut la lettre suivante:

«Madame,

«Ne réprouvez pas tous mes actes. Je n’ai songé qu’à vous faire transporter à votre domicile, vous, ce bon petit Pold que son père avait tant maltraité, et ce pauvre M. Lawrence. Je compte bien, madame, que vous m’en montrerez de la reconnaissance et que vous viendrez vous-même me remercier d’une aussi belle action. Je vous attendrai dans la nuit de dimanche prochain, c’est-à-dire dans sept jours, à l’auberge Rouge, au fond du bois de Misère.

«Je vous prierai, madame, de ne point retarder ce doux entretien, ne fût-ce que de vingt-quatre heures, car je dois partir dès le lendemain matin pour une contrée assez éloignée où le prince Agra a élu domicile, et attend mes instructions.»

Cette missive était signée de l’Homme de la nuit.

Adrienne la lut sans qu’un muscle de son visage tressaillît.

Et cependant l’ultimatum que lui envoyait Arnoldson était bien fait pour la plonger dans la plus terrible des alternatives.

Quand elle eut replié soigneusement cette lettre, elle dit tout haut:

– J’irai!…

III LE TRIOMPHE DE L’AMOUR

Vers quel coin reculé de France, dans quelle contrée mystérieuse, derrière quels murs le prince Agra avait-il emporté Lily?

Elle sembla sortir d’un songe… Depuis le départ des Volubilis, elle n’avait pas ouvert les yeux… Pressée contre la poitrine d’Agra, il lui semblait qu’elle était emportée, dans un galop de vertige.

Elle finit par s’endormir…

Quand elle s’éveilla, une large baie était ouverte en face d’elle, sur un jardin.

Lily se leva à demi sur son lit de repos, et jeta un anxieux regard autour d’elle.

Elle entendit presque aussitôt une voix qui lui parlait. Lily se retourna.

Un homme était là, et qu’elle n’avait jamais vu.

– Qui êtes-vous, monsieur? lui demanda-t-elle.

– On m’appelle Harrison, mademoiselle, et je suis là pour vous obéir…

– La seule chose que je désire, monsieur, supplia Lily, c’est de voir celui qui m’amena ici…

– Ce que vous avez à lui dire est donc bien pressé?

– Oh! très pressé, monsieur… Je voudrais lui demander qu’il me reconduise immédiatement chez moi.

Lily se cacha le visage dans les mains.

– Ma mère, dit-elle, doit être dans une anxiété folle.

– Votre mère, mademoiselle, ignore à cette heure que vous avez quitté les Volubilis.

– Quoi?… vous savez?…

– Je sais!

– Et comment savez-vous que ma mère ignore ma fuite des Volubilis?

– Parce qu’avant votre départ elle était partie elle-même et qu’elle n’y reviendra point avant quelques jours… Tranquillisez-vous donc, mademoiselle.

Harrison parlait à Lily avec une grande douceur. Il ressentait beaucoup de sympathie pour l’enfant, et certains gestes qu’elle avait, des coins de sourire un peu tristes, des inflexions de la voix remuaient dans son vieux cœur la cendre refroidie du souvenir.

L’enfant lui rappelait la mère… la mère qu’il avait aimée en silence et qui n’en avait jamais rien su, qui n’avait jamais deviné le secret de son âme.

Et, maintenant qu’il se savait si cruellement vengé par la mort de Lawrence – car la nouvelle lui en était arrivée dans la nuit – des maux que cet amour lui avait fait souffrir, il prenait en pitié celle que la cruauté d’Arnoldson avait encore marquée comme une prochaine victime.

Puis il avait étudié, lui aussi, le plan d’Arnoldson et il en avait compris l’économie. Il en avait saisi toutes les embûches et tous les traquenards. Il avait deviné quel otage Lily était entre ses mains et ce qu’il pouvait exiger de la mère en tenant la fille…