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Adrienne s’était déjà installée au chevet de son fils, bien décidée à l’arracher à la mort, quand, le lendemain même du départ de la jeune fille, elle la vit revenir toute seule, lui apprenant que Lily n’était plus aux Volubilis.

C’était le dernier coup… et non le moins douloureux.

Et elle reconnut encore là la main de l’Homme de la nuit…

Elle s’entretenait encore avec Martinet de l’affreux drame, quand la femme de chambre les vint trouver, une carte à la main.

– Madame, dit-elle, voici la carte d’un homme qui désire vous voir. Je lui ai dit que vous étiez absente, puis que vous ne receviez personne, mais il a déclaré qu’il ne s’éloignerait point sans vous avoir vue.

Adrienne avait pris la carte…

– Arnoldson! s’écria-t-elle.

Martinet fut debout:

– Le misérable!… Il ose…

Car Martinet savait à quoi s’en tenir, maintenant, sur Arnoldson, et, si on ne lui avait pas encore tout dit, il avait deviné beaucoup de choses.

Il savait, sans en connaître du reste la raison, que cet homme poursuivait d’une haine terrible Pold et sa famille, et il avait l’explication de son apparition le soir où il pénétra dans la chambre des crimes…

– Ah! madame! continua-t-il, je suis là. Usez de moi. Et, si vous voulez que je vous débarrasse du misérable, ce sera bientôt fait!

Adrienne ne trouvait pas une parole… Tant de cynisme joint à une hardiesse si grande la confondait. Comment, il osait encore?…

Elle fut sur le point de crier à Martinet de descendre et de chasser l’Homme.

Mais une sinistre pensée lui vint… Elle songea à Lily. Ne lui avait-il point dit, à la villa des Volubilis, quand il lui avait remis les lettres, que sa vengeance irait frapper ses enfants?…

Agra n’était-il point l’ami de ce monstre?… Et Agra n’était-il point, à cette heure, le maître de sa fille?… Ah! il fallait qu’elle le vît… Il fallait qu’elle lui parlât… Elle comprenait maintenant qu’il se présentât devant elle avec une pareille tranquillité…

Elle fit signe à Martinet de rester dans la chambre, auprès de Pold, qui s’éveillait et fixait de grands yeux sur Martinet et sur sa mère.

Et elle descendit, disant:

– Il faut que je le voie. Il le faut.

Martinet la regardait partir avec un ahurissement grandissant, car il ne comprenait point pourquoi il fallait que cette femme reçût l’assassin de son mari… Martinet, en effet, croyait toujours Lily aux Volubilis.

Il fut tiré de ses pensées par cet appel de Pold:

– Martinet!

Martinet courut au chevet du malade. Et il prit la tête de Pold et il l’embrassa comme un père eût embrassé son fils.

– Eh bien! mon pauvre vieux… ça va?…

– Ça va… Martinet… ça va!…

Mais Pold regarda longuement Martinet.

– Si tu savais, Martinet…

– Je ne veux rien savoir, répondit Martinet. Ah! mon gars, remets-toi, guéris-toi… et ne pense plus à autre chose.

– Écoute, Martinet… Tu sais tout… J’ai reçu une lettre… Tu me pardonnes donc, Martinet?

– Pour sûr que je te pardonne!

Et Martinet se moucha bruyamment.

– C’est très beau, ce que tu as fait là! dit Pold.

Martinet s’étranglait: l’émotion l’étouffait. Il prononçait des mots incohérents. Finalement, il cria:

– Veux-tu me ficher la paix?… Qu’est-ce qui lui prend donc, à ce sacré gosse?

Et il se laissa tomber sur une chaise auprès du lit.

Pold avait compris…

Il avait pris la main de son ami, il la lui serra avec force.

– Pold! dit Martinet, je suis un pauvre diable de crétin, d’imbécile!

II OÙ L’HOMME DE LA NUIT PROPOSE UN MARCHÉ ET OÙ ADRIENNE LE REFUSE

Adrienne trouva Arnoldson debout au milieu du salon. Elle referma la porte et s’adossa à cette porte.

Adrienne et Arnoldson se dévisagèrent un moment. C’est Adrienne qui commença l’attaque:

– Vous devinez sans doute, monsieur, la raison qui m’a fait vous recevoir. Je ne veux point savoir ce qui vous amène ici: je ne veux que vous poser une question. Vous allez me dire où est ma fille, ce que vous avez fait de ma fille.

Arnoldson se taisait.

– Répondez-moi!… Dites-moi tout de suite où est ma fille…

Arnoldson conservait le même silence.

– Vous ne voulez pas me répondre?…

L’Homme de la nuit dit enfin:

– Oui, oui, madame, je vais vous répondre…

– Enfin! s’écria Adrienne… Vous avouez donc?

– Et quoi, madame?

– Vous avouez que vous m’avez pris ma fille…

Arnoldson eut un sourire extraordinairement gracieux:

– Puisqu’on ne peut rien vous cacher, madame, j’avoue… je me suis dit: «Cette pauvre madame Lawrence on lui a enlevé sa fille… Eh bien! moi, je vais la lui rendre.»

– Monsieur! s’écria Adrienne, si vos desseins étaient si purs, vous m’eussiez déjà rendu ma fille!… Et l’atroce ironie de vos paroles me fait encore redouter quelque horrible machination de votre part…

Arnoldson se décida:

– Voici, madame, où je veux en venir… Il est exact que votre fille soit en ma puissance.

– Et qu’en avez-vous fait?

– Moi, madame… Mais rien. Je ne l’ai, depuis son départ des Volubilis, ni vue ni approchée…

– Auprès de qui donc est-elle?

– Elle est, madame, la propriété du prince Agra…

– Ah! je voulais vous l’entendre dire. C’est, n’est-ce pas? ce prince qui est votre ami, votre âme damnée… votre monstrueux instrument, sans doute…

– Plus que cela, madame… Le prince Agra est mon fils… C’est vous dire combien il m’est dévoué…

– C’est lui qui a volé Lily cette nuit où vous aviez fait notre maison du bois de Misère si déserte…

– Il ne l’a pas volée: il l’a séduite.

– Eh! quoi? vous osez prétendre que Lily l’aimerait?…

– Elle l’adorait, madame…