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Or Harrison, au bois de Misère, s’était maintes fois caché pour voir passer la mère… et, décidément, il ne lui plaisait point d’aider l’Homme de la nuit à posséder celle qui lui apparaissait si belle encore…

Que Lawrence succombât… c’était écrit. Il avait juré d’aider Arnoldson dans l’œuvre de sa vengeance, qui était en partie la sienne aussi… mais il n’avait nullement prêté le serment de faire tomber Adrienne dans les bras de celui qu’il ne considérait plus, à cette heure, que comme son rival…

Et cependant, jusqu’à ce jour, il ne s’était point mis au travers des desseins d’Arnoldson…

Car il savait que c’était une chose terrible de lutter contre cet homme et qu’il y allait de la vie…

Il avait laissé faire les choses…

Il lui dit:

– Le prince Agra va venir, mademoiselle.

La porte s’ouvrit. Agra parut et pria Harrison de les laisser.

Il vint à elle, s’assit près d’elle. Lily ouvrit ses grands yeux clairs, et le prince y lut des choses qu’il n’avait encore lues dans les yeux d’aucune femme.

Maintenant, Agra tendait vers elle des mains qui frémissaient… Puis, il l’attira contre lui, et semblant soudain pressé, il l’entraîna hors de la chambre.

Ils s’en allèrent par les allées du parc et se firent mille promesses.

IV M. MARTINET PORTE LES CULOTTES

Il était une heure du matin quand M. Martinet se retrouva rue du Sentier. Il n’y avait dans la rue âme qui vive. Il était le seul à errer d’un trottoir à l’autre, chantant à la lune des refrains polissons.

Il chantait d’une voix hésitante.

Il s’arrêtait de temps à autre au milieu de la rue et paraissait tout à coup plongé dans des réflexions profondes.

Puis il repartait, reprenant ses refrains.

Il vint à sa porte, introduisit avec quelque difficulté son passe-partout dans la serrure, et entra dans la cour de l’immeuble.

La porte du magasin était entr’ouverte. Il s’y glissa, la referma avec bruit, alluma une bougie et se livra à l’ascension ardue de l’escalier qui conduisait au premier étage. Il ne l’acheva point sans quelque fracas, ce dont il n’avait cure.

Il fit irruption dans la chambre conjugale. Sur le lit, Mme Martinet, en chemise de nuit, était assise.

– Ah! ah! tu m’attendais, Marguerite?

– Oui, mon ami, dit Mme Martinet d’une voix pleine de douceur, je t’attendais.

– Eh bien, sois contente. Me voilà!

– Comme tu rentres tard, Martinet!

– Saperlotte! s’écria Martinet, je ne rentre pas encore assez tard si c’est pour t’entendre! Tu ne peux donc pas dormir sans moi?… Glisse-toi dans le plumard et fiche-moi la paix! C’est entendu? Une! deux! Ça y est!…

Et Martinet commença, sans plus s’occuper de sa femme, la difficile opération qui consistait à déboutonner son faux col et à enlever sa cravate.

– Viens ici que je t’aide, fit timidement Mme Martinet.

Martinet consentit à ce que sa femme lui enlevât sa cravate et son faux col.

– Martinet, fit de plus en plus timidement Mme Martinet, tu sens un peu le vin… mon ami…

– Cela se peut, madame Martinet… et il serait vraiment étonnant qu’ayant bu du vin je ne sentisse point le vin.

– Martinet, je me permets de te dire cela parce que je crains que tu n’abuses de ta bonne santé actuelle. Il n’y a pas si longtemps que tu étais encore malade… Je crains une rechute…

– Assez, madame! s’écria Martinet, d’une voix de stentor.

Et il enleva son pantalon, d’un effort puissant.

Mme Martinet n’osait plus rien dire.

– Tu sais, Marguerite, que si je me grise… eh bien! c’est que j’ai besoin d’oublier… Allons, fiche-moi la paix! Zut!

Mme Martinet, effrayée, alla se blottir tout au fond du lit, du côté de la ruelle. Et M. Martinet se glissa près d’elle.

Il s’enfonça jusqu’aux deux oreilles un bonnet de coton et se mit en mesure de souffler la bougie qui était sur la table de nuit. À ce moment, il aperçut, à côté de cette bougie, une enveloppe sur laquelle il lut ces mots: «Madame Martinet.»

– Qu’est-ce que c’est que ça? demanda-t-il à sa femme.

– Mais je n’en sais rien, mon ami. C’est une lettre qui m’a été adressée et que je n’ai pas lue.

– Et pourquoi ne l’as-tu point lue?

– Tu sais bien que tu m’as ordonné de te passer toutes les lettres qui arriveraient ici. Tu t’es réservé le soin de les décacheter toi-même.

– Très juste! acquiesça Martinet, très juste! Voyons ce qu’il y a là-dedans.

Il décacheta la lettre et la parcourut.

– Tiens! tiens! tiens! faisait-il en lisant.

Puis, quand il eut achevé sa lecture, il replia la lettre, la mit dans le tiroir de la table de nuit et souffla sur la bougie.

La chambre fut plongée dans les ténèbres les plus opaques.

– Eh bien? demanda de son coin Mme Martinet.

– Et bien! fit Martinet en se recroquevillant dans la position dite du chien de fusil… eh bien, c’est madame Lawrence qui t’écrit.

– Que me dit-elle?

– Vous êtes curieuse, madame Martinet…

– Elle est toujours à Paris avec…

– Avec?… interrogea Martinet.

– Avec… son fils?

– Tu peux bien l’appeler par son nom… avec Pold! Eh bien, non! Ils sont tous les deux à la campagne.

– Ils sont donc retournés aux Volubilis?

– Elle nous prie d’aller les rejoindre… Ils sont depuis avant-hier au bois de Misère, et il est probable qu’elle manque de compagnie là-bas, puisqu’elle nous prie tous les deux de venir les retrouver là-bas…

– Mais je connais fort peu Mme Lawrence… Que peut-elle bien me vouloir?

– Moi, je la connais! Cela suffit… Elle dit que Pold me réclame et, pour que je ne sois pas privé de ta présence là-bas, elle ne verrait aucun inconvénient à ce que tu m’accompagnasses…

Content de cet imparfait du subjonctif, Martinet ajouta:

– Maintenant, la suite à demain… Je sens que cela me fera du bien de ronfler.