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– Joe ne me connaît pas, je ne le connais pas, vous parliez de cela parce qu’il fallait parler de quelque chose. Fausse piste, madame Martinet!

– C’est mon avis.

– Ne cherchons plus! Tiens! Qu’est ceci, dans l’angle supérieur de la lettre, à droite?

Marguerite regarda.

– Oui, il y a quelque chose: on dirait un chiffre, un tout petit chiffre.

– Ce sont des lettres, mais combien minuscules! dit Pold. Je lis maintenant. Ah! nous n’en savons pas davantage. Lisez-vous ce qu’il y a là?

– Non.

– Eh bien, il y a du latin. Je ne suis pas fort en latin, mais je comprends encore ça. Il y a trois lettres qui font nox!

– Qu’est-ce que ça veut dire, nox?

– Ça veut dire «la nuit»!

Sur ces mots, Pold jeta un grand salut à Mme Martinet et dégringola l’escalier.

Remonté à bicyclette, il s’en fut au bois de Vincennes.

– Il y a longtemps que les camarades m’ont lâché, dit-il, mais ça m’est bien égal!…

Il se livra à une course folle pendant toute la matinée. Une joie immense l’emplissait. Il criait aux échos du bois: «Diane! Diane!» Il songeait qu’il était aimé de Diane, de Mme Martinet et d’une princesse inconnue qui lui envoyait des cadeaux. C’était trop pour une fois. Il était plein d’orgueil et il faisait des acrobaties sur sa bicyclette.

Un instant, cependant, il interrompit ses exercices pour se dire:

– Trois billets de mille francs! Je ne vais pas avoir quelque chose d’extraordinaire pour ce prix-là. Pendant qu’elle y était, ma princesse eût dû m’en envoyer six.

VIII QUELQUES ÉTATS D’ÂME

Lily, sur les indications d’Adrienne, cherchait dans les tiroirs d’une commode Louis XVI une broche à laquelle sa mère tenait beaucoup. Elle avait vainement exploré les coffrets où cette broche était ordinairement placée parmi d’autres bijoux. Elle s’étonnait de ne la point trouver. Adrienne commençait elle-même à montrer quelque inquiétude.

– Tu sais si j’y tiens, à cette broche, ma Lily. Ce fut le premier bijou que m’offrit ton père…

– Où peut-elle se trouver, ma mère? Où l’avez-vous «rangée»? demandait Lily cherchant toujours.

Soudain, Adrienne se rappela. Elle tendit une clef à Lily.

– Je me souviens maintenant! Dans le coffret de cèdre, dans le dernier tiroir à droite.

Lily prit la clef et ouvrit le coffret. Elle trouva, en effet, la broche et se disposait à la remettre à sa mère quand elle poussa un cri d’étonnement.

Adrienne se retourna vers Lily. La jeune fille avait la broche dans une main et une photographie dans l’autre.

– Mère, fit-elle, vous ne m’avez jamais montré cette photographie! C’est vous! quand vous étiez très jeune! Ah! comme vous étiez jolie!

Adrienne était déjà auprès de sa fille et lui avait arraché la photographie des mains. Mais Lily demandait:

– Que signifie cette dédicace, mère? cette dédicace en anglais: «À Charley, sa petite amie»?

Adrienne semblait envahie d’un trouble inexprimable. Une pâleur mortelle se répandit sur ses traits décomposés. Elle se retourna pour que sa fille ne la vît point et remit la photographie dans le coffret, qu’elle referma soigneusement. Alors, elle put dire d’un ton qui s’efforçait d’être naturel:

– Ce fut un de mes amis d’enfance, Lily. Mais il a disparu depuis très longtemps. On n’a plus entendu parler de lui, jamais, jamais!…

– Charley! fit Lily. Mère, je me souviens maintenant…

– Tu te souviens! Tu te souviens de quoi? demanda Adrienne d’une voix étranglée.

– Je me souviens qu’une fois vous avez dit ce mot: «Charley!» il y a quelques années au Siam devant mon père, et que cela parut lui causer beaucoup de peine, car il montra une grande agitation.

– Oui, fit sourdement Adrienne, ton père a beaucoup connu Charley… Mais il ne faut plus prononcer jamais ce nom-là… il ne faut plus évoquer ce souvenir… jamais! jamais!

– Jamais, ma mère, répondit Lily, soudain grave.

Au fumoir, dans son fauteuil, Pold se répétait:

– «Zut!» «Zut!» Elle m’écrit: «Zut!» Et moi qui étais si heureux quand le père Jules m’a remis cette lettre, sa lettre. Je reconnaissais son parfum. C’était la première lettre d’elle! Elle s’apitoyait donc enfin! Elle se rappelait que j’existais!… Oui, mais pour m’écrire: «Zut!»

Et il revécut la semaine qu’il venait de passer.

Son bonheur d’avoir possédé Diane s’était changé bientôt en un désespoir sombre, car il voulait la posséder encore, et ce fut en vain.

Dès le lendemain, il avait écrit une lettre délirante à Diane pour lui dire qu’il l’aimerait toute sa vie, qu’il lui appartenait jusqu’à la mort, et même jusque dans l’éternité. Toutes les niaiseries, toutes les sentimentalités que lui inspirait son amour d’adolescent, il les mit dans cette lettre. Il lui demandait un rendez-vous, affirmant qu’il mourrait s’il restait vingt-quatre heures sans la voir.

En même temps, il s’était entendu avec Martinet pour l’ameublement d’un petit rez-de-chaussée de garçon, dans le quartier de l’Europe. Il avait raconté au tapissier ce qui s’était passé pendant qu’il cuvait son ivresse, moins, bien entendu, les déclarations de tendresse de Mme Martinet.

Le tapissier avait déclaré qu’on ne lui ferait jamais avaler de pareilles sornettes, mais que ce n’était pas son affaire et que, du moment que les billets de mille étaient là et que sa femme n’y voyait pas d’inconvénient, il n’avait plus qu’à accomplir sa besogne. Et il s’était mis au travail pour Pold, qu’il commençait à chérir de tout son cœur, lâchant des commandes importantes.

Mme Martinet avait revu Pold, une fois, au magasin, mais elle ne lui avait pas adressé la parole, ce qui lui valut une scène de son mari. Celui-ci lui déclara qu’il ne tolérerait pas qu’elle montrât une animosité plus prolongée envers un jeune homme de famille qui voulait bien l’honorer de son amitié.

Pold attendait toujours la réponse de Diane. Cette réponse ne vint pas. Il en fut stupéfait. Il attendit deux jours, trois jours. Rien. Il erra autour de l’hôtel de l’avenue Raphaël. Il n’aperçut point Diane. Il osa se risquer à aller sonner à sa porte. Il fut grossièrement éconduit par un larbin.

– Madame n’est pas là, lui déclara-t-on.

– Je sais qu’elle y est.

– Elle n’y est pas pour vous!