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– Il dit qu’il a quelque chose à remettre à monsieur ou, en son absence, à madame.

– Qu’il vous remette sa commission à vous.

– Non, il faut qu’elle soit remise en mains propres.

– C’est bien, je descends.

Mais elle réfléchit que Pold pourrait filer si elle descendait, et elle ne voulait pas le laisser partir si mécontent. Elle cria au commis, qui était déjà dans l’escalier:

– Faites monter!

Un commissionnaire se présenta.

– C’est vous, madame Martinet? dit-il.

– C’est moi.

– Votre mari n’est pas là?

Elle montra Martinet, dans l’alcôve:

– Il dort. Je ne veux pas le réveiller.

– Pour sûr qu’il dort! fit le commissionnaire. Il dort et puis il ronfle! On l’entend! Dites donc! ça doit vous gêner quelquefois, ma petite dame?

Impatientée, Marguerite réclamait la commission.

– Voilà! Voilà! fit l’homme.

Et il sortit une grande enveloppe cachetée de rouge.

– Seulement, continua-t-il, il faut me donner un reçu…

– Un reçu?

– Oui. Il faut me signer ça:

«Reçu du commissionnaire 156 une lettre cachetée, dans la matinée du 2 avril 189…»

– C’est bizarre… Et qui est-ce qui vous a remis cette lettre?

– J’sais pas.

– Comment? vous ne savez pas?

– Non. On m’a payé pour ne pas le savoir.

Marguerite avait signé.

– Enfin, vous avez votre lettre, j’ai mon reçu… Bonsoir la compagnie!

Et il disparut.

Pold quitta sa cachette et examina l’enveloppe avec Marguerite.

– Voilà bien des mystères, dit-elle. Je ne connais point cette écriture.

Elle prit une paire de ciseaux et coupa le bord de l’enveloppe. Elle en tira une épaisse feuille de papier qu’elle déplia.

Trois billets de banque s’en échappèrent.

– Trois mille francs! s’écria Pold.

Marguerite lisait déjà la lettre. Elle poussa une exclamation:

– Ah! voilà qui est extraordinaire! Lisez, monsieur Pold! lisez!

Pold lut tout haut:

«Je prie M. Martinet de consacrer ces trois mille francs que je lui envoie à meubler et tapisser convenablement un rez-de-chaussée de garçon ou tel appartement que M. Pold Lawrence lui désignera. Je suis l’ami de M. Pold Lawrence sans qu’il s’en doute. Je désire conserver l’anonymat jusqu’au moment où il sera en mesure de me rembourser cette simple avance. Alors, je me ferai connaître. M. Pold Lawrence peut donc accepter sans scrupules ces trois mille francs qui, je le répète, ne sont qu’un prêt. Prière de lui communiquer cette lettre.»

– Elle n’est signée d’aucune initiale, d’aucun signe, dit-il.

Marguerite et Pold se regardèrent.

– Qu’est-ce que cela veut dire? fit Marguerite.

– Cela veut dire, madame, que, quoi que vous fassiez, j’aurai mon appartement maintenant. Voilà ce que je vois de plus clair dans cette histoire.

– Alors, vous allez accepter ces trois mille francs qui vous viennent d’un inconnu?

– Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse si je ne les accepte pas? Et puis c’est une avance. Je les lui rendrai, ses trois mille francs, à cet ami délicat qui ne veut pas se faire connaître. Vous me demandez si j’accepte?… Ah! je vous jure que j’accepte!

Et Pold se mit à esquisser un pas de danse, tant il était enchanté de la tournure que prenaient les choses. Marguerite s’était laissée tomber sur une chaise:

– Voyons, monsieur Pold, cherchons!

– Rien du tout!

– Vous n’avez aucun doute sur la personne qui a pu écrire cette lettre? Parmi vos amis, cherchez!

– La lettre dit que c’est un ami que je ne connais pas. Pourquoi chercher? Et puis cet homme désire rester inconnu: c’est son affaire. C’est même très délicat, ce qu’il fait là. Je lui en ferai mon compliment… quand il me le permettra.

– Attendez, reprit Marguerite. Cet homme est peut-être une femme.

Pold réfléchit et dit:

– Après tout, c’est bien possible!

Et il frisa une moustache imaginaire. Rien ne l’étonnait plus. Ça pouvait être une femme «qui l’aimait dans l’ombre».

– Et vous acceptez ce présent d’une femme?

– Pourquoi pas? puisque ce n’est qu’un prêt. Je suis un garçon d’honneur. Je lui revaudrai cela!

– Ah! monsieur Pold! murmura Marguerite. Voilà une aventure qui me semble bien invraisemblable!

– Les billets sont fort vraisemblables!

– Avez-vous jamais parlé de ce rez-de-chaussée à d’autres personnes qu’à mon mari et à moi?

– À aucune! Et vous?…

– Non! Non!… Maintenant, mon mari a peut-être bavardé… Quant à moi… écoutez donc… Oui, j’en ai touché quelques mots à Joe…

– Qui, Joe?

– Vous connaissez bien l’auberge Rouge? Votre papa a une villa de ce côté… la villa des Volubilis.

– Voilà trois ans que nous passons l’été dans cette villa. L’auberge Rouge!… J’en ai entendu parler, je l’ai même vue une fois, à travers les arbres, au fond du bois de Misère, n’est-ce pas?

– Oui, à côté de Montry. Eh bien, j’ai couché deux nuits de suite à l’auberge Rouge. Une commande très importante et des travaux m’avaient appelée dans le pays, et, l’auberge Rouge se trouvant la plus proche de toutes les auberges, j’y ai élu domicile pendant quarante-huit heures, avec deux ouvriers de mon mari. J’en arrive.

– Tout cela ne me dit pas qui est Joe.

– Joe? Eh bien, c’est le patron de l’auberge Rouge. Il m’a demandé si je connaissais le propriétaire de la villa des Volubilis, et je fus ainsi amenée à parler – oh! tout à fait en l’air – de votre papa et de vous-même. Je lui dis que mon mari vous connaissait de façon presque intime, que vous étiez un bon petit garnement et que vous pensiez déjà à faire vos farces, à meubler un appartement, etc, etc. Enfin, des choses sans importance et qu’il ne semblait pas même écouter…