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Diane n’avait plus peur du tout. Diane, maintenant, s’amusait comme une petite folle et goûtait presque l’aventure. Elle ne souriait plus; elle riait. Elle riait haut et fort; elle ne se retenait plus; elle se tordait de rire. Elle avait eu une telle peur qu’elle pensait qu’elle ne rirait jamais assez. Et elle s’en donnait, s’en donnait. Elle était secouée d’un tel rire qu’elle ne put l’arrêter quand elle le voulut. La crise de nerfs que tous les événements de cette nuit rendaient probable se passa en une crise de rire. Elle se renversa sur son lit pour rire encore.

Pold, debout maintenant, regardait ce corps de femme, frêle et joli, que secouait le spasme du rire.

Mais, quelques minutes plus tard, Diane ne riait plus.

VII SUITE DES AVENTURES DE POLD

Pold reprenait bientôt le chemin par lequel il était venu; il descendit par la fenêtre et passa par-dessus le mur. Il faisait petit jour. Le quartier était encore désert. Il retrouva sa bicyclette et roula avec rapidité du côté de l’avenue Henri-Martin. Arrivé à l’hôtel, il vit, derrière la grille, le concierge qui venait de se lever.

– Vite, cria-t-il, ouvrez-moi!

Le concierge lui ouvrit. Pold jeta sa bicyclette entre les jambes du brave homme ahuri, et en quelques sauts fut dans l’hôtel. Il grimpa à sa chambre. Dix minutes plus tard, il en descendait, nettoyé, dans un costume propre. Il s’était remis entièrement à neuf. Il reprit sa machine avec une ardeur nouvelle et repartit.

Il descendit l’avenue Henri-Martin, traversa la place du Trocadéro, descendit jusqu’au cours la Reine et pédala le long des quais. Il faisait grand jour maintenant. Par la place de la Concorde et la rue Royale, il parvint aux grands boulevards, traversa la place de l’Opéra, continua sa route par le boulevard des Capucines, le boulevard des Italiens et le boulevard Poissonnière.

Au coin de ce dernier boulevard et de la rue du Sentier, il s’arrêta et descendit de bécane. Puis, après réflexion, il revint un peu sur ses pas et enfila la rue Saint-Fiacre.

– J’entrerai par derrière, se disait-il. J’ai plus de chance de voir Martinet tout seul, dans son magasin. Si je tombe encore sur sa femme, je suis flambé. C’est une course inutile… car, enfin, il faut que je le décide, ce brave Martinet. Lui, il ne demanderait pas mieux, mais sa femme ne veut entendre parler de rien. Je sens bien que c’est sa femme qui s’oppose à ce qu’il contente ma fantaisie.

«… Ma fantaisie! Ce n’est plus ma fantaisie maintenant! Il me faut cet appartement, ce petit rez-de-chaussée que je rêve et que mes moyens ne peuvent me procurer encore. Il faut que Martinet me fasse cette avance… Il faut qu’il me meuble quelque chose de très gentil, «à l’œil». Bah! il sait bien que je le lui paierai. Papa a de la galette. Et puis, sur mes trois cents francs de pension par mois, je lui en abandonnerai cent. Il me le faut, surtout maintenant. Je ne puis recevoir Diane à l’hôtel. J’espère la revoir souvent, je suis sûr qu’elle m’aime. Oui, il me faut un nid, un petit nid.»

Et il se mit à siffler joyeusement au souvenir de Diane.

– À la hussarde! dit-il, à la hussarde… les femmes, voilà comme il faut les prendre.

Il était arrivé au coin de la rue des Jeûneurs. Il tourna sur sa gauche et, avant d’arriver au coin de la rue du Sentier, il s’arrêta devant une porte cochère qui était entrebâillée.

– Eh! du courage! puisque tout me réussit! Puisque Diane ne me résiste pas, pourquoi Martinet me résisterait-il? Je saurai bien trouver des accents qui le convaincront.

Il poussa la porte, entra dans un vaste couloir qui donnait sur une cour. Dans ce couloir, il y avait un ruisseau, et dans ce ruisseau il y avait un gendarme.

Oui, un gendarme! Pold n’en pouvait croire ses yeux. Il s’approcha, regarda encore, se pencha. C’était bien un gendarme… un gendarme en grand uniforme. Son bicorne, gansé d’argent, avait roulé à quelques pas. Son sabre était à moitié sorti du fourreau. Le représentant de la force publique était étendu de tout son long dans le ruisseau, à plat ventre, les bras en corbeille. Sa tête reposait sur ses bras. Heureusement, il y avait fort peu d’eau dans ce ruisseau: un petit filet, un rien, une douce humidité.

– Eh! là! monsieur le gendarme! cria Pold, on vous a donc assassiné? Un malandrin vous a fait quelque mauvais coup? M’entendez-vous, monsieur le gendarme?

Pold écouta.

– Il me semble qu’il a dit quelque chose, fit-il.

Il se pencha encore. Une douce musique, régulière et rythmée, montait du gendarme.

– Ma parole, il ronfle! s’exclama le jeune homme.

Alors, il le poussa du genou et des mains et le retourna, lui disant:

– Ce n’est pas un lit pour un gendarme qu’un ruisseau; si vos supérieurs hiérarchiques vous voyaient, cela pourrait nuire à votre avancement.

Et d’un dernier effort il retourna le gendarme.

– Pourquoi me réveilles-tu, Marguerite? demanda le gendarme.

– Ah! bien! c’est Martinet! cria Pold. En voilà une bonne histoire. Je vous ferai condamner pour port illégal d’uniforme, monsieur Martinet, et pour ivresse sur la voie publique.

Martinet, en grognant, s’était relevé sur son coude.

– Port illégal d’uniforme? Port illégal d’uniforme?

Il regardait Pold, il regardait les murs, la cour, la porte cochère, il ne comprenait pas…

Enfin, il se regarda lui-même et se mit à rire, d’un gros rire d’homme bien saoul.

– Ah! oui! parfaitement, mon p’tit, je me souviens de tout maintenant. Voulez-vous que je vous dise une chose, monsieur Pold?

Et il s’assit dans le ruisseau.

– Mâtin! il a plu cette nuit, s’interrompit-il, les pavés sont mouillés.

– Dites, Martinet, dites…

– Eh bien, je suis saoul!…

– Je le vois bien.

– Mais saoul comme on n’est pas saoul, saoul comme la Pologne! Vive la Pologne, monsieur! Saoul comme M. Floquet! Nom de nom de nom de nom! que je suis saoul…

– Et où vous êtes-vous saoulé ainsi?

– Dans les caboulots et aux Variétés-Parisiennes, où j’inaugurais ce superbe costume d’artilleur…

– De gendarme…

– D’artilleur…

– Mettons d’«artilleur», si ça peut vous faire plaisir.

– Après tout, ce n’est peut-être qu’un habit de gendarme… Moi, mon p’tit, j’m’en f… comme dirait Mesureur… C’est «kif-kif bourrico…» comme dirait mon oncle.

– Votre oncle?

– Oui, Alphonse Allais.