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– Alphonse Allais est votre oncle?

– Non, mon neveu.

– Tu es aussi saoul que tu le dis, Martinet, conclut Pold.

Martinet cracha, recracha et fit:

– Zut!

Et il se mit à rire.

– Martinet, vous ne rirez pas tout à l’heure. Martinet, il va arriver une catastrophe!

– À cause?

– Monsieur Martinet, vous oubliez Marguerite.

– Marguerite? Eh bien! Marguerite, c’est ma femme! Et puis après?

– Qu’est-ce que dira Marguerite quand elle va voir son petit homme dans un pareil état?

– Eh ben! mon vieux cornichon, elle dira peau de balle et balai de crin! Voilà ce qu’elle dira, Marguerite! Bonsoir.

Et il se mit en mesure de continuer son somme interrompu.

– Vous seriez tout de même mieux dans votre lit, monsieur Martinet. À cette heure, Marguerite doit avoir quitté la couche conjugale. Vous aurez moins à redouter de sa colère.

– Je ne crains point ma femme, monsieur Pold, grogna Martinet.

– Euh! euh!

– Je ne la crains point parce qu’elle n’est point là.

– Ah! je m’explique l’audace que vous eûtes de vous saouler. Puisqu’elle n’est point là, un peu de courage, mon ami, et rentrons. Laissez-moi vous soulever.

Il le souleva. Martinet se cala sur Pold et ils firent quelques pas.

– Et où donc est Mme Martinet?

– Au diable!…

– Quand en revient-elle?

– Dans deux ou trois jours.

Et Martinet, levant la jambe autant que son état le lui permettait, se mit à «gueuler»:

Quand ell’n’est pas là,

Tra la la la la! tra la la la la!

Ils avançaient vers la cour; ils allaient sortir du corridor. Et Martinet, de plus en plus joyeux à l’idée que sa femme était absente, reprenait haut:

Quand ell’n’est pas là,

Tra la la la la! tra la la la la!

Comme ils débouchaient dans la cour, Martinet resta la jambe en l’air, la bouche ouverte, et Pold dut le prendre à bras-le-corps pour qu’il ne s’écroulât point sur le pavé, assommé.

Mme Martinet était là. Elle était très bien là, quoi qu’en pût dire son mari. Elle se montrait dans l’encadrement de la fenêtre du premier étage, au dessus du magasin. Elle avait le sourcil froncé et l’air mauvais. Elle regarda venir le groupe, et son œil rencontra les yeux de Martinet, qui en fut foudroyé. Mais elle ne dit mot. Elle se réservait sans doute.

Martinet n’avançait plus. Pold l’entendait murmurer d’une voix expirante:

– Ah! mon Dieu! Ah! mon Dieu! Qu’est-ce qui va arriver maintenant.

Et il ajouta, plus bas encore:

– Eh ben, mon vieux cornichon, te v’là propre!

Enfin, Mme Martinet voulut bien descendre de sa grandeur et de sa chambre. On la vit bientôt sur la porte du magasin, qu’elle avait ouverte.

– Faites-le entrer, dit-elle le plus simplement et le plus dignement du monde à Pold.

– Je ne peux pas, dit Pold.

– Vous ne pouvez pas?

– Non: il ne remue plus.

Martinet dit à Pold, d’une voix de plus en plus éteinte:

– Dis-lui, mon p’tit, dis-lui que, si elle crie… je m’en vas mourir!…

Pold fit la commission.

– Il me prie de vous dire, madame, que si vous le grondez trop fort, vous serez sûrement la cause de son trépas!

– Très bi… en!… Très bi… en! approuva Martinet.

Mme Martinet s’avança.

– Assez de cette ignoble comédie! dit-elle. Les ouvriers vont arriver, monsieur Martinet; j’espère que vous n’allez point leur donner le spectacle de votre honte et de votre déshonneur dans ce costume de carnaval!

– Oh! non! pour sûr!

– Voulez-vous me suivre?

– Oh! oui… J’vas essayer.

Ils finirent par le faire entrer dans le magasin, qu’encombraient les meubles les plus disparates.

– Et, maintenant, dans ma chambre.

Ils entreprirent la montée d’un étroit escalier qui conduisait au premier étage. Mme Martinet tirait, Pold poussait. Dix minutes après, ils avaient jeté Martinet, tout habillé, sur un lit.

Alors, la femme commença:

– Si ce n’est pas honteux de rentrer à des heures pareilles! Il profite de mon absence pour s’adonner aux pires débauches, pour découcher, pour s’enivrer avec des filles!

Elle voulut continuer sur ce crescendo, car elle était fort en colère. Elle était rentrée dans la nuit et avait attendu son mari jusqu’au jour. Aussi se promettait-elle de lui dire, d’un coup, «tout ce qu’elle avait sur le cœur». Malheureusement, les ronflements sonores de Martinet au fond de l’alcôve l’interrompirent si brutalement qu’elle en resta bouche bée.

Pold, voyant comment tournaient les choses, se dit que ce ne devenait pas drôle et qu’il n’avait qu’à se sauver. Il gagna hypocritement l’escalier. Mais il fut arrêté par madame Martinet, qui se tournait soudain vers lui pour lui crier:

– Et vous aussi, monsieur Pold! Vous aussi, vous l’encouragez, vous l’entraînez, vous un jeune homme si bien élevé!… Si votre papa savait ça!

– Moi? fit Pold avec innocence. Moi, madame? Vous me calomniez étrangement. J’ai rencontré votre mari dans le ruisseau et je vous l’amène. Voilà l’unique faute dont je suis coupable.

– C’est bien vrai, ce que vous dites là?

– C’est bien vrai!

– Comment vous trouviez-vous dans le quartier? Venez ici, un peu, monsieur Pold, ne vous sauvez pas ainsi. Vous semblez toujours avoir peur de moi… Vous voyez bien que j’ai du chagrin. Le misérable me le paiera. Quand il sera à jeun, je vous jure qu’il passera un mauvais quart d’heure… Mais approchez-vous… tenez, prenez ce siège.

Elle lui montra un fauteuil à côté d’elle.

Il s’assit. Il la regarda et il dut constater qu’elle était jolie au milieu de ses larmes. Ce ne fut, du reste, qu’une simple constatation. Il ne se sentit point poussé vers elle, il débordait d’un bonheur tel qu’il eût voulu le crier à tous les passants. Malheureusement, il sentait bien qu’il devait à sa folle maîtresse un peu de discrétion.