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Martinet était sur la scène et disait à l’un de ses ouvriers, qu’habillaient une blouse et un pantalon blancs et que coiffait une casquette noire:

– Eh bien, vous amusez-vous un p’tit peu?

– Beaucoup, Martinet, beaucoup!

– Croyez-vous que votre père vous reconnaîtra?

– J’espère bien que non. Du reste, il est venu ici tout à l’heure, avec M. de Courveille, pendant que vous étiez occupé à disposer la tenture de la grande porte du fond. Il a fait le tour du hall, et je n’étais pas plus fier que cela. Je me disais: «Tiens-toi bien, mon vieux Pold, et qu’on ne te reconnaisse pas, ou il y aura du grabuge!» Et, à l’idée qu’il pouvait me reconnaître dans ce travestissement, je ne me trouvais pas précisément à mon aise. Qu’est-ce qui va arriver! m’écriai-je intérieurement. Heureusement, il n’est rien arrivé du tout, parce qu’il ne m’a pas reconnu.

– Il n’a eu aucun doute? demanda Martinet.

– Aucun. Et, cependant, il examinait de près ce que faisaient les ouvriers, et il se tint trois minutes derrière moi. J’étais dans un état! Je cachais mon émotion en essayant le rideau, en le levant et en le baissant bien des fois. Je vous assure qu’il marche bien le rideau, et que vous pouvez en toute sécurité me préposer à son maniement.

– Allons, tant mieux! C’est tout de même «farce» ce que nous faisons là, et vous avez un fichu toupet! C’est ce qui me plaît en vous et ce qui fait que je m’intéresse à vos entreprises. Mais tout ceci ne m’explique pas pourquoi vous avez voulu venir.

– Je tenais à voir le prince Agra, dont on parle en ce moment. Voilà tout!

– Quel drôle de petit bonhomme! Et vous ne l’avez pas vu, le prince Agra?

– Non. Mais je pourrai le contempler à mon aise, ce soir, pendant que je tirerai le rideau, quand il sera dans la salle.

– Si ça peut faire votre bonheur! Moi, j’en ai tant vu, de princes, que celui-là, pas plus que les autres, ne me dit plus rien. Croyez-moi si vous le voulez, mais, à Versailles, j’ai serré la main du tsar… Alors, vous comprenez, rien ne m’épate plus!

– Laissons le tsar tranquille, fit Pold, et parlons de choses sérieuses. La rue de Moscou? Mon appartement de la rue de Moscou?

– Elle va bien, la rue de Moscou.

– Quand tout sera-t-il prêt? Hâtez-vous, Martinet, je voudrais être dans mes meubles, déjà!

– Écoutez. Je vais vous dire une chose qui vous fera plaisir.

– Il n’y en a qu’une qui puisse me faire plaisir, c’est celle-ci: Dites-moi: «Pold, demain vous serez chez vous!»

– Eh bien, je vous dis: «Pold, demain vous serez chez vous.»

– Vrai de vrai?

– Vrai de vrai.

– Ah! Martinet, t’es un brave type!

Et Pold sauta sur les mains de Martinet, qu’il serra avec effusion.

– Ça me console de bien des peines, dit-il.

– Desquelles, monsieur Pold? Je vois bien que vous en avez. Si je puis faire quelque chose pour vous…

– Ça, ça me regarde. Il n’y a rien à faire, Martinet. J’essaierai de me consoler moi-même. Je connais le moyen.

L’œil de Pold brilla.

– De l’audace! cria-t-il, de l’audace! encore de l’audace!

– Vous parlez comme Robespierre, fit Martinet, qui connaissait approximativement son histoire.

– Monsieur Martinet, vous êtes un âne! Mais voilà du monde. Hop! au rideau! Ayons l’air de travailler.

Le dîner terminé, on se leva. Diane donna le signal. Elle fit entendre à ses amies qu’il était temps de gagner les loges.

– Allons nous préparer, fit-elle.

Tout le monde était debout. Derrière le prince se glissa Jean, le cocher de Diane, qui, ce soir-là, doublait le maître d’hôtel.

Il prononça ces mots à voix basse:

– Sur la scène du grand hall. Au rideau.

Le prince semblait n’avoir pas entendu.

– M’accompagnez-vous, prince? demanda Diane.

– Si tel est votre désir… répondit-il.

Et il lui donna le bras. Ils s’éloignèrent.

Sur les estrades, les musiciens se firent entendre. On allait danser, dans la douceur du soir.

– Quelle soirée exquise et quel printemps! s’exclama Raoul de Courveille, à côté de Lawrence.

– Aussi, vais-je quitter Paris bientôt.

– Vous?

– Moi. Nous allons partir pour notre maison des champs. J’y vais installer ma famille. Mes affaires me feront revenir souvent à Paris; mais ma femme et ma fille et mon fils vont rester là-bas jusqu’à l’automne.

– Et où c’est-il, là-bas?

– Mais là où il était l’année dernière: au bois de Misère, à Montry, un pays charmant, une vraie campagne. Vous viendrez nous y voir. Dans quinze jours, nous aurons abandonné l’avenue Henri-Martin.

Ils s’enfoncèrent sous les arbres en devisant de la soirée, du prince et de Diane, pour laquelle Lawrence semblait montrer de l’enthousiasme.

Le prince, Diane et ces demoiselles des «tableaux vivants» étaient entrés dans le grand hall. Ils le traversèrent, ils montèrent sur la scène. Pold n’avait d’yeux que pour Diane.

«Comme elle est belle!» se disait-il.

Il eût voulu pouvoir crier à tous que cette femme lui avait appartenu, qu’elle lui appartiendrait encore. Il souffrait de la voir se pencher sur l’épaule de son cavalier.

«C’est lui!» continuait en aparté Pold. «C’est lui! c’est le prince Agra!»

Et il commençait à haïr le prince Agra.

Quand tout le monde fut sur la scène, Diane dit:

– Permettez-moi de passer devant vous, mesdames; je vais vous désigner vos loges.

Elle quitta le bras du prince.

– Celle qui a parlé, c’est ma belle-sœur, fit Martinet à Pold.

– Je le sais bien!

– Comment le savez-vous? Où l’avez-vous vue?

– Dans des photographies… Silence!

Diane disparut par une porte du fond. Les jeunes femmes la suivirent. Le prince était le dernier. Il resta seul, un instant, sur la scène.

– Épatant! disait Martinet. Épatant!

– Qu’est-ce qu’il y a d’épatant? demanda Pold.