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– Mais vous! On dirait que vous avez porté ce costume toute votre vie! Ah! je comprends que votre père ne vous ait pas reconnu. Votre mère elle-même…

Martinet fut interrompu par le prince Agra, qui s’approchait lentement. Il s’arrêta devant Pold et lui dit:

– Eh! quoi! monsieur Léopold Lawrence, vous voilà tapissier maintenant! Si votre père vous voyait dans cet accoutrement, croyez-vous qu’il rirait?

Et le prince, faisant demi-tour, disparut.

Pold et Martinet restaient ahuris et suffoqués. Ils ne trouvaient rien à dire, ils ne pouvaient rien dire.

Une soubrette qui vint vers eux les sortit, au bout de dix minutes, de leur extase.

– Madame vous prie de monter, dit la domestique à Pold.

– Moi? eut à peine la force de demander Pold.

– Vous-même.

Autant que Pold, Martinet était atterré. Il se demandait anxieusement ce qu’il allait advenir de cette aventure et redoutait, connaissant le caractère de Diane, les conséquences de la supercherie à laquelle il s’était prêté.

Pold suivit la soubrette.

X LUI!

Diane était montée dans sa chambre, suivie du prince. Celui-ci fit comprendre à la jeune femme qu’il lui fallait éloigner la soubrette.

– Mais il faut que je m’habille, prince!

Agra fronça les sourcils. La soubrette fut mise à la porte sur-le-champ.

Ils restèrent seuls. Diane alla vers le prince et lui prit les mains.

– Tout ce que vous voulez, dit-elle… Je suis votre esclave. Ordonnez, mon maître, et vous serez obéi…

Elle se glissa, infiniment câline, sur la poitrine du jeune homme. Ses bras firent un collier au prince. Elle voulut courber sa belle tête vers ses lèvres.

Agra dénoua, sans effort, les bras qui l’enlaçaient, écarta Diane, lui montra un siège, et dit:

– Madame, dans cette chambre, une heure à peine après m’avoir quitté, l’autre soir, il y avait là quelqu’un…

Elle se leva, effrayée du ton que prenait Agra, de sa parole glacée. Elle joignit les mains.

– Oh! prince, fit-elle, vous qui savez tout, vous pour qui il n’est point de mystère, ignorez-vous que ce jeune homme m’a surprise, qu’il s’est introduit chez moi par escalade, et qu’il m’a imposé son amour par l’épouvante?

– Madame, j’ai cru cela. Mais je fus un sot. Car si votre défaite a été telle que vous le dites, vous avez dû le chasser ensuite, votre… amoureux malgré vous!

– Oh! certes!

– Et si vous l’avez chassé, vous l’avez fait de telle sorte qu’il ne lui prît plus l’envie de revenir?

– Pouvez-vous en douter?

– Et cependant, madame, il est revenu!

– Jamais! jamais! Je vous le jure! Jamais! protesta Diane avec une force croissante.

Le prince s’assit et joua négligemment avec le gland d’un fauteuil.

– Moi qui sais tout, dit-il, je sais que cet adolescent est revenu. Il est si bien revenu, qu’il est là, à cette heure, dans votre hôtel. Oui, madame.

– Mais cela est impossible! Prince! prince! on vous a trompé!

Le prince répliqua, plus froid que jamais:

– Vous oubliez qu’on ne peut pas me tromper.

Diane se mit à ses genoux:

– Écoutez, prince, vous me dites qu’il est là, mais je vous jure que je n’en sais rien. Je vous jure que je n’ai rien fait pour qu’il fût là! Je vous jure que ce gamin n’a jamais existé pour moi, que je l’ignore, qu’à peine je sais son prénom: Pold, que je ne l’ai jamais aimé et que je le hais! Je le hais de ce qu’il écarte vos lèvres de mes lèvres!

Elle roula sa jolie tête sur les genoux de son idole et pleura, car elle se donnait, et le prince ne la prenait pas. Il était toujours aussi calme, aussi maître de lui.

– Je vous dis, madame, que ce jeune homme, votre amant, est dans votre hôtel.

Elle se releva, se tordit les poignets et cria:

– Eh bien! s’il est là, prince, dites-moi où il est, car vous seul le savez! Dites-le-moi, que je le chasse! que je le fasse déchirer par mes chiens!

– Sonnez votre femme de chambre, fit Agra.

Fébrile, elle sonna. La soubrette accourut.

– Jenny, écoutez bien ce que vous dira le prince, et exécutez de point en point ses ordres.

– Mademoiselle, vous allez descendre sur la scène: vous y trouverez un jeune ouvrier en blouse blanche et casquette noire. Vous le prierez de vous suivre et vous le conduirez ici.

– Et faites vite! s’écria Diane.

La soubrette avait disparu.

– Ah! il se déguise, maintenant qu’il ne peut plus entrer chez moi en escaladant les murs! Je vous promets que je vais lui faire passer le goût des travestissements!

Le prince ne répondit pas. Elle se tut, elle aussi, regardant la porte d’un air sombre. Cette porte s’ouvrit.

Pold fut enfin sur le seuil, la casquette à la main, se demandant s’il devait entrer. Une émotion indescriptible s’emparait de tout son être en regardant cette chambre où il s’était introduit une première fois d’une manière si romanesque et dans laquelle il revenait en des circonstances plus étranges encore.

– Entrez! cria Diane.

Elle alla claquer la porte derrière lui. Il la regarda. Il eut peur de ses yeux, qui lui jetaient de la haine. Il recula. Il eut la terreur de ce qui allait lui arriver. Il se trouva à côté du prince et le contempla d’un air hagard. Il ne pouvait prononcer une parole. Le calme suprême du prince le remit un peu. Il se tourna vers Diane de nouveau.

– Que faites-vous ici? cria-t-elle. Qui vous a introduit ici? Pourquoi êtes-vous ici? Je vous avais chassé! Chassé et jeté à ma porte! Chassé comme un voleur! Car vous êtes un voleur! Vous avez volé ici quelques minutes de plaisir! Vous aviez escaladé mon mur, la nuit! Je pouvais vous tuer! Je devais vous tuer!

Sa parole était saccadée, sa voix rauque.

– Oui, vous tuer comme un chien! Pourquoi êtes-vous revenu?

Il répondit très bas:

– Parce que je vous aime…

Ces paroles d’humilité et de détresse ne la calmèrent point, au contraire…

– Vous m’aimez! Eh bien! qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse? Est-ce que cela me regarde, moi, si vous m’aimez? Est-ce que je vous aime, moi?…