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– Non. M. Harris m’a dit que son maître ne pouvait souffrir cette couleur.

– Eh bien! comment le veut-il?

– Il le veut rouge.

– C’est bizarre! fit Mme Martinet. M. Harris m’avait cependant bien dit qu’il le désirait bleu.

– Eh bien! il se sera trompé. Car, maintenant, il le veut rouge. Et, comme au courant de la conversation, je disais à M. Harris que j’allais être dans la nécessité de faire, cette semaine, un petit voyage à Paris, il m’a prié de venir vous avertir de ces changements nécessaires, puisque, maintenant, je suis de la maison de son maître.

– Qu’il soit fait selon sa volonté! dit Mme Martinet. Je n’aurais garde de m’y opposer. Et pour quand le veut-il, son cabinet rouge?

– Ah! vous avez du temps devant vous! Il m’a seulement chargé de vous dire de vous procurer dès maintenant tout ce qu’il vous faut pour transformer en rouge ce qui est en bleu. Il vous avertira quand le moment sera venu de vous transporter là-bas.

– Mais s’il attend trop, sir Arnoldson sera là, et je le gênerai.

– Il m’a dit que ça ne le gênerait en rien, et que vous pourriez travailler à votre aise au cabinet de son maître, même quand la villa sera habitée, attendu que si ce monsieur a un cabinet de travail il n’y met cependant jamais les pieds.

– Quelles drôles de gens! s’exclama Mme Martinet.

– C’est mon avis, fit Joe en se levant. Car, puisqu’il ne va jamais dans son cabinet de travail, qu’est-ce que cela peut lui faire que la couleur en soit rouge ou bleue?

Et Joe sourit, découvrant le clavier de sa denture.

– Enfin, j’ai fait ma commission, et je vais avoir l’honneur de vous saluer, termina-t-il en se levant lentement.

– Mais permettez-moi de vous offrir quelque chose, monsieur Joe.

– Oh! rien du tout, madame. Je viens de boire tout à l’heure quatre grands verres d’eau claire qui m’ont désaltéré à ma suffisance.

– Un petit cognac? insista, par politesse, Mme Martinet.

À son grand étonnement, Joe se rassit.

– C’est la seule chose que je ne refuse jamais, dit-il.

Joe but à petites lampées le verre de cognac qu’on lui servit. Négligemment, il dit:

– Vous en savez maintenant aussi long que moi sur mon premier client…

– C’est vrai, reprit Mme Martinet, mais vous m’avez dit que vous en eûtes un second…

Joe fit:

– Oh! celui-là est beaucoup moins intéressant. Mais je vous quitte, madame Martinet, je ne veux pas abuser de vos instants.

– Vous n’abusez pas… Et cet autre client, est-ce que je le connais?

– Je crois que oui.

– Comment, vous croyez?

– Est-ce que vous ne m’avez pas dit que c’était votre maison qui avait été chargée de l’aménagement à Paris de l’hôtel de M. Lawrence? Je crois même me rappeler que vous m’avez raconté que votre mari était resté en relations suivies avec M. Lawrence fils. C’est bien cela?

– Mon Dieu, oui, mais je ne vois pas…

– Attendez. Êtes-vous allée quelquefois à l’hôtel Lawrence?

– Certainement, au moment de l’installation.

– Vous y avez vu le père Jules?

– Le concierge?

– Oui, le concierge. Eh bien! c’est le père Jules qui fut mon second client. Il venait, lui aussi, constater que la villa des Volubilis était prête à recevoir ses hôtes.

– Ah! ils s’en vont à la campagne?

– À la fin du mois, comme les maîtres de la villa des Pavots.

Il y eut un silence. Puis Joe reprit:

– Le père Jules m’a même dit que le séjour de la campagne ferait grand bien à son jeune maître, M. Pold, vous savez? ce petit garnement dont vous me parliez l’autre jour.

– Et pourquoi? demanda Mme Martinet, soudain très intéressée.

– Pourquoi? Parce que ce jeune homme, paraît-il, se dérange beaucoup depuis quelque temps. Il rentre très tard et quelquefois ne rentre pas du tout. C’est du moins ce que m’a dit ce bavard de concierge. Et vous savez qu’il ne faut jamais ajouter foi à des histoires de concierge, même quand ce concierge est un homme…

– Ah! Il se dérange? Il court?

– Avec des filles! Oui, madame. Avec des cocottes, avec de grandes cocottes!

– Je m’en doutais! fit douloureusement Mme Martinet.

– Le père Jules en sait long sur son compte. Il est même peiné de voir ce qui se passe, car il l’aime beaucoup, M. Pold. Il me disait: «Quel malheur que personne n’ait d’influence sur ce jeune cerveau pour l’empêcher de faire des bêtises! Tout cela finira mal. Des nuits dehors! Où peut-il les passer?» Moi, je me disais: «Peut-être bien qu’il les passe dans ce petit appartement de garçon qu’il demandait à M. Martinet et que M. Martinet aura fini par lui accorder…» Mais je me grondais d’avoir eu une si mauvaise pensée. M. Martinet était trop raisonnable pour céder à ce jeune homme sur une chose aussi grave.

– Hélas! cria Mme Martinet, c’est fait! Ah! vous ne savez pas?

– Je ne sais rien.

Elle lui raconta avec volubilité l’histoire mystérieuse des trois mille francs.

– C’est incroyable! inouï! faisait Joe le plus naïvement du monde… Alors, maintenant, il a une… garçonnière, comme on dit ici?

– Oui, une garçonnière. Mon mari devait lui en livrer les clefs cet après-midi s’il le voyait. Mais je ne pense pas qu’il l’ait vu, car il est trop occupé, aujourd’hui, chez ma sœur…

– Eh bien, moi, fit Joe en clignant malicieusement des yeux, je sais bien avec qui il l’inaugurera, sa garçonnière, du moins si les histoires du père Jules sont exactes.

– Avec qui? demanda anxieusement Mme Martinet.

– Avec sa maîtresse.

– Qui, sa maîtresse?

– Une grande cocotte! Une femme connue de tout Paris! Je lis quelquefois les journaux et j’y vois souvent son nom.

– Mais qui?

– Ah! vous en avez entendu certainement parler, vous aussi! Elle s’appelle… attendez… un nom de chienne…

– Un nom de chienne?

– Oui. Elle s’appelle Diane! C’est cela…

Mme Martinet s’était levée brusquement: elle était cramoisie. Elle frappa la table de son petit poing.