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– On a apporté le premier trousseau ce matin. Mais vous m’en aviez commandé deux, et voici le deuxième que l’on vient de terminer.

– Moi, je vous en avais commandé deux?

– J’ai cru le comprendre, madame, mais je me serai sans doute trompé.

– Après tout, c’est bien possible, déclara Mme Martinet. Passez-moi ces clefs, je les remettrai moi-même à M. Pold.

Et elle prit les clefs. Le commis salua et disparut.

Mme Martinet regarda les clefs et dit:

– Voici des clefs qui pourront m’être utiles.

Là-dessus, elle se plongea dans de profondes réflexions. Elle en sortit à huit heures du soir pour aller se mettre à table. Elle dîna seule. Il était entendu que Martinet ne rentrerait ni pour dîner ni pour se coucher. La fête chez Diane devait se terminer si tard que Mme Martinet avait été la première à conseiller à son mari de passer la nuit chez sa belle-sœur, comme celle-ci l’en priait. Pendant qu’elle dînait, le plus strictement du monde, elle entendit des coups de marteau. Elle se demanda qui pouvait bien travailler encore à cette heure. Les ouvriers et les employés quittaient le magasin à six heures et demie. Elle sonna la bonne.

– On travaille encore dans le magasin? interrogea-t-elle.

– Oui, madame. C’est Victor, le commis, qui prétend qu’il a quelque chose à terminer ce soir.

– Faites-le venir.

La bonne alla chercher le commis.

– À quoi travaillez-vous à cette heure, Victor?

– Je termine la planche de la cheminée pour la chambre de la rue de Moscou. M. Martinet m’a bien fait promettre que je l’aurais finie ce soir. Il m’a dit qu’elle devrait être déjà en place, là-bas.

– Vous en avez encore pour longtemps?

– Pour dix minutes. Je cloue l’étoffe dessus. C’est presque une chose faite. Madame, il me vient une idée… Si on portait la planche ce soir, tout serait prêt demain, quand M. Pold entrerait chez lui.

– Terminez vite votre travail et laissez la planche. Je verrai ce qu’il y aura à faire.

– Bien, madame. Bonsoir, madame.

Mme Martinet prit à peine le temps de finir son repas. Elle monta dans sa chambre et s’habilla. Elle y mit de la coquetterie. Elle sortit une robe de foulard qui la moulait admirablement et faisait valoir ses formes grassouillettes.

Quand elle fut habillée, elle descendit, envoya sa bonne se coucher, prit la planche qui était dans le magasin, sortit, ferma son magasin et héla un fiacre.

Elle donna au cocher l’adresse de la rue de Moscou et s’installa dans le fiacre avec sa planche.

– Si Martinet l’a vu cet après-midi, se disait-elle, il lui aura remis les clefs. Il trouvera sûrement un prétexte pour descendre dans Paris ce soir. Il voudra voir sa garçonnière, dont nous lui avons défendu l’entrée jusqu’à ce jour, pour lui causer une heureuse surprise. S’il est déjà là, je sonne. J’explique ma visite avec ma planche. Et alors je l’interroge. Je le confesse. Je veux qu’il me dise tout. Je veux savoir à quoi m’en tenir… Je souffre trop… S’il n’est pas là, j’entre tout de même, avec mes clefs, et je lui écris une longue lettre lui demandant des explications… un rendez-vous. Je lui laisserai cette lettre sur le guéridon… Ce sera la première chose qu’il verra, en entrant, demain, dans sa chambre… Je m’arrangerai pour que Martinet, qui sera très fatigué de sa nuit, ne voie point le petit demain.

Ainsi s’agitaient les pensées dans le cerveau en ébullition de Mme Martinet.

La voiture s’arrêta. On était rue de Moscou. Dix heures venaient de sonner. La porte de l’immeuble où se trouvait la garçonnière était légèrement entrebâillée. Mme Martinet se glissa dans le vestibule avec sa planche. Personne dans la loge. Elle traversa le vestibule, une cour, se trouva sous une voûte et sonna à une porte, sur sa droite.

Elle connaissait les aîtres pour être venue dans cet appartement trois ou quatre fois…

Aucun bruit ne se fit entendre, aucun pas.

– Il n’y a personne, se dit-elle.

Et elle ouvrit la porte avec les clefs que lui avait remises le commis. Elle referma la porte sur elle, se trouva dans l’obscurité et se mit en mesure de craquer une allumette. Mais à ce moment, elle perçut des bruits de pas dans la cour et une conversation assez animée. Les pas s’arrêtèrent à la porte du logement dans lequel elle se trouvait. Elle reconnut la voix de Pold.

– C’est lui! Il n’est pas seul! Il est peut-être avec elle!

Elle se rejeta dans la cuisine qui donnait sur le couloir. Une clef grinça dans la serrure. Elle écouta anxieusement. Elle distingua la voix de son mari.

– Martinet avec Pold? Qu’est-il donc arrivé?

Ils étaient entrés. Martinet guidait Pold vers la salle à manger. Quand ils se furent éloignés, elle sortit de la cuisine, ouvrit doucement la porte du vestibule, la referma et se retrouva sous la voûte avec sa planche. Alors, elle sonna.

Au bout d’un instant, Martinet vint ouvrir.

– Toi! dit-il. Qu’est-ce qui t’amène?

Mais sa femme le prit de haut.

– Tu me permettras de m’étonner d’abord, fit-elle. Je te croyais chez Diane.

– Entre, je t’expliquerai… Ah! tu as la planche…

– Oui, j’ai la planche. Comme je m’ennuyais ce soir, je me suis habillée pour sortir. La planche était prête, je l’apporte. N’était-ce point ton désir qu’elle fût là, dès ce soir?

– Tu es un ange. Viens.

Il la fit entrer dans la salle à manger. Sur un divan, elle vit, dans son costume d’ouvrier, Pold étendu, très pâle, «les traits bouleversés»…

– Qu’y a-t-il? Pold est malade? s’écria-t-elle.

– Ah! c’est vous! madame Martinet, fit Pold d’une voix triste.

– Vous paraissez souffrant? Pourquoi ce costume, monsieur Pold? Que vous est-il arrivé? Puis-je quelque chose pour vous?

– Bien sûr, fit naïvement Martinet, bien sûr que tu peux quelque chose pour lui. Il a de la peine, console-le. Conseille-lui de se remettre un peu. Ce sont des peines de cœur qu’il a, ce pauvre gosse. Dis-lui qu’il ne s’en tourmente pas. Bah! «une femme de perdue, dix de retrouvées!»

– Ah! c’est à cause d’une femme?

– Je te le dis.

– Et tu veux que je le console?

– Faut bien. Dis-lui de bonnes paroles. Que sais-je, moi? On ne peut pas le laisser dans cet état-là. Il fait pitié à voir. Mais tu es toujours comme un crin avec lui!… C’est comme avec moi, du reste.