Изменить стиль страницы

– Oui, mon ami, fit l’homme. J’étais là et je considérais votre mélancolie. Prince Agra, voilà que votre impassibilité se change en tristesse. Que veut dire ceci?

Le prince Agra ne répondit point.

– Vous ne m’entendez pas, prince Agra?

– Si, monsieur, je vous entends.

– Alors répondez-moi.

Le prince s’approcha d’Arnoldson et lui dit:

– Je répondrai, monsieur, à votre question par une autre question.

– Parlez.

Le prince reprit:

– Quand donc direz-vous: «Assez!… Assez de sang!… Assez de drames!… Assez de catastrophes!…» Quand donc mettrez-vous un terme à tout ceci, monsieur?

Le balancement du rocking-chair s’arrêta. Sir Arnoldson dit:

– Votre question est bien indiscrète, prince Agra! Et, cependant, j’y répondrai, mais pas aujourd’hui…

– Et quand cela, monsieur?

L’homme se leva:

– Dans la nuit du 1er mai, mon prince!

– Et où?

– À l’auberge Rouge!… Je puis compter que vous y serez?

– J’y serai, acquiesça Agra.

– En attendant, vous savez ce qui vous reste à faire ici?

– Je le sais.

– Eh bien, faites.

Sir Arnoldson tendit la main au prince.

– Au revoir… William!… dit-il.

– Au revoir…

– À l’auberge Rouge!… réitéra avec force sir Arnoldson.

– À l’auberge Rouge!…

Et l’Homme de la nuit se perdit dans les ténèbres.

Le prince Agra revint sur ses pas. Il se retrouva dans le hall. On dansait.

Le prince Agra croisa Lawrence.

– Monsieur Lawrence! fit-il.

Lawrence salua le prince. Il dit:

– Mais je croyais, monsieur, qu’on avait oublié de nous présenter…

– La maîtresse de céans n’en a pas eu l’occasion, mais elle m’a parlé de vous dans des termes tels que je crois bien qu’elle vous considère comme le meilleur de ses amis.

– C’est impossible, monsieur. Je ne la connais que depuis fort peu de temps, et nous n’eûmes ensemble que de courts propos, fort décousus.

– Que vous dirai-je de plus? Il est probable que ces propos – si décousus fussent-ils – lui ont été agréables, puisqu’elle en a conservé un si charmant souvenir… Vous ne pourriez me renseigner sur l’endroit où j’aurais le plus de chances de la rencontrer? fit, en terminant, le prince Agra, qui semblait déjà penser à autre chose et n’attacher aucune importance aux précédentes paroles échangées.

– Diane! répondit de Courveille, qui survint. Vous désirez savoir où elle est? Elle vient de monter dans son boudoir.

Le prince remercia et s’en alla.

– Mais qu’as-tu donc? demanda de Courveille à Lawrence. Te voilà tout pensif.

– Moi, Raoul? Mais, rien mon ami, rien du tout. Je t’affirme…

– Des idées noires? Encore? demanda Raoul.

– Non, mon ami, fit Lawrence avec un triste sourire. Des idées roses! Elles sont roses!…

– Mes compliments. Ça ne t’arrive pas si souvent. Ohé! ohé!

Et de Courveille entraîna Lawrence vers le buffet.

Le prince pénétrait quelques minutes plus tard dans le boudoir où se tenait Diane. Elle alla vers lui et, impatiente:

– Dites-moi que vous m’aimez un peu, fit-elle.

Il ne dit point cela, mais:

– Savez-vous, madame, le nom du jeune homme qui reçut une si douce hospitalité chez vous?

Diane ne comprenait point qu’il revînt sur ce sujet. Elle lui dit, négligente:

– Je crois qu’il m’a raconté qu’il s’appelait Pold… Il m’avait dit de lui écrire sous ce nom à un bureau de poste restante. Pierre… Pold ou Jacques… que voulez-vous que cela me fasse?

– Pold… Et puis après?

– Sais pas.

– Je le sais. Il s’appelle Pold Lawrence.

Diane ouvrit de grands yeux étonnés:

– Pold Lawrence? Mais alors, c’est le fils de Lawrence?

– Parfaitement. Et vous savez que le père est sur le point d’éprouver pour vous les mêmes sentiments que le fils.

Diane partit d’un franc rire:

– Ah! bien, le père ou le fils! J’ai chassé le fils, vous plaît-il que je chasse le père?…

Agra répondit:

– Non!

Puis il se leva, alluma à une bougie une cigarette d’Orient et répéta, en regardant vaguement monter vers le plafond la fumée odorante:

– Non!

Et il ajouta, pendant que Diane le considérait, essayant de le comprendre:

– Il me plaît, au contraire, qu’il reste.

– Que voulez-vous dire?

– Je veux dire que si je réprouve l’amour du fils pour Diane, je ne défends pas à Diane d’être aimée du père!

Diane se leva:

– Mais, prince, vous parlez par énigmes! Je vous demande si vous m’aimez un peu… et vous répondez en me conseillant d’en aimer un autre!…

Elle se laissa retomber sur le divan. Elle tendit les mains vers lui:

– Ne me faites pas souffrir ainsi!… Ne jouez pas avec moi de façon si cruelle…

– Je ne joue jamais…

Diane se prit la tête dans les mains, et, rageusement, fit:

– Alors, dites! dites! Que voulez-vous de moi?

– Peu de chose… Que vous soyez aimable pour un de vos invités… pour Lawrence.

– Et c’est tout ce que vous désirez de moi?…

Le prince Agra eut un sourire plein de mystère:

– Vous trouvez que ce n’est pas suffisant?

Diane le regardait. Le prince lui faisait peur, maintenant. Elle cria:

– Est-ce que je sais, moi? Est-ce que je sais? Je ne suis qu’une pauvre femme qui essaie de vous comprendre et qui ne vous comprend pas!