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– N’essayez pas de me comprendre.

– Alors, quoi?

– Obéissez-moi, Diane, c’est tout ce que je vous demande.

– Quels sont vos ordres?

– Pour la troisième fois, je vous le dis, Diane: il faut que Lawrence vous aime!

Elle bondit, fut auprès de lui, ses mains allèrent chercher ses épaules, elle le pencha vers lui et lui dit avec un incroyable accent de passion:

– Écoute! écoute! Demande-moi tout ce que tu voudras! Tout! Mais ne me demande pas d’en aimer un autre que toi!… Pas cela!…

Elle voulut prendre ses lèvres, mais il l’éloigna encore, la fit asseoir sur le divan, se plaça près d’elle, retint sa main dans la sienne, et, très doucement, lui demanda:

– Vous m’aimez donc, Diane?

– Si je vous aime! puisque j’ai l’horrible malheur que vous en doutiez encore, mettez-moi à l’épreuve, ordonnez…

Il l’interrompit et, de la même voix douce:

– Le jour où nous serons l’un à l’autre, Diane…

– Ce jour-là, s’écria-t-elle douloureusement, ce jour-là je ne sais plus si je dois l’espérer, car je l’attends depuis longtemps déjà, et peut-être ne luira-t-il jamais!

– Il luira, Diane.

– Si ce que vous dites est vrai, prince, je n’oserai point demander au ciel de donner à ce jour-là un lendemain! Mais la mort seule pourra me délivrer de l’immense douleur de vous perdre après avoir eu la joie immense de vous posséder. Qu’importe? Je bénirai la morte, puisque j’aurai, dans vos bras, chéri la vie!…

Et les yeux de Diane se remplirent de larmes. Le prince reprit, après un court silence:

– Vous m’aimez donc assez pour mourir s’il fallait mourir pour moi, Diane?

– Oui, fit Diane, d’un accent farouche. Je vous aimerai jusque dans la mort.

Le prince dit:

– C’est bien!

Il se leva, parcourut à pas lents le boudoir, pendant que Diane, allongée sur le divan, tamponnait de son minuscule mouchoir, quelques larmes.

Agra, sans arrêter sa marche monotone, dit:

– Mais il faut m’obéir aveuglément. Avant que d’être votre amant, je vous l’avoue aujourd’hui, Diane, il faut que je sois votre maître.

Diane baissa la tête sous la rude parole d’Agra. Celui-ci continua, sur un ton de plus en plus dur:

– Je ne vous ordonne pas d’aimer Lawrence! Entendez-moi bien. Mais je veux… je veux que Lawrence vous aime! Comment vous y prendrez-vous? C’est votre affaire! Le bruit est venu jusqu’à moi que vous aviez affolé un amant, pendant des mois, sans lui avoir rien accordé… Ce n’est donc qu’une seconde expérience à tenter. Mais celle-ci, je la veux complète, je la veux absolue. Il me faut, Diane… comprenez bien ce qu’il me faut… il me faut un homme à vos pieds, un homme qui souffre comme vous souffririez vous-même si je vous disais à cette heure: «Je m’en vais, Diane, et vous ne me reverrez plus!»

Diane cria:

– Ah! le malheureux!

– Oui, n’est-ce pas? fit Agra. Le malheureux qui souffrirait ainsi! Eh bien, cet homme qui vous aimera assez pour ne plus vivre que par vous et pour vous, cet homme que votre amour aura suffisamment détaché des choses de ce monde pour qu’il ne songe plus à sa femme et pour qu’il oublie ses enfants…

Diane se cacha la tête dans les mains.

– … Cet homme, il faut que ce soit Lawrence!…

Agra se tut un instant. Il reprit bientôt, d’une voix éclatante:

– Et ne me demandez pas pourquoi!… N’essayez pas de chercher le mobile de mes actions… ne bâtissez pas d’inutiles hypothèses… Que vous importe la raison de ces choses?… Il faut qu’elles soient!… Ne dites point que j’ai à exercer une vengeance… Un homme comme moi ne se venge point! Mais dites-vous plutôt, si vous avez besoin de vous expliquer des choses inexplicables, que je suis peut-être le formidable instrument de la justice divine!…

Il alla vers Diane, lui prit brutalement les deux mains et, dardant sur elle deux yeux de flamme, il dit:

– Ma volonté sera faite, n’est-ce pas?

Diane répondit, très bas:

– Oui.

Et elle releva la tête; elle regardait Agra, dont le visage avait soudain repris la sérénité qu’elle lui connaissait. Elle se leva et lui dit:

– Oui, mais donnez-moi vos lèvres.

Agra ne les lui refusa point. Diane eut le baiser qu’elle demandait. Mais elle disait presque aussitôt, pleine d’effroi:

– Ah! vos lèvres! Comme vos lèvres sont glacées!

Agra répliqua:

– Songez à Lawrence.

Et il gagna la porte. Il s’arrêta sur le seuil.

– Je songerai à Lawrence, répondit-elle.

– Tout de suite, insista-t-il: les heures qui s’écoulent me sont précieuses!

– Tout de suite.

Il la salua d’un sourire et disparut. Il n’était pas plus tôt parti qu’elle répétait, en se tordant les bras:

– Oui, je songerai à Lawrence! Ah! le malheureux!

Le prince était descendu dans le jardin. Un maître d’hôtel vint à lui et lui jeta un manteau sur les épaules.

– Faut-il faire avancer votre voiture, monseigneur?

– Faites, Jean. Mais, dites-moi, M. Lawrence est-il encore ici?

– Il vient de quitter M. de Courveille à l’instant et se dispose à partir… Tenez, le voici qui se dirige justement de ce côté.

– Laissez-nous.

Jean s’éloigna. Le prince salua Lawrence.

– Bonne nuit, monsieur, fit-il. Vous partez aussi?

– N’est-il point l’heure de rentrer chez soi, prince?

– C’est mon avis. Je viens de saluer Diane et je me sauve…

– Diane! reprit Lawrence. Je ne puis vraisemblablement m’en aller sans la remercier de ses gracieusetés… Où la trouverai-je?

– Chez elle, monsieur, dans son boudoir.

Le prince salua et monta dans sa voiture, qui partit au grand trot. Lawrence monta chez Diane…

Il en redescendait une heure plus tard. Il paraissait si profondément préoccupé qu’il ne répondit point aux questions qui lui furent posées par son cocher.