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– Monseigneur veut-il me suivre?

Le prince se leva.

– Je te suis, Harrison, dit-il.

Ils laissèrent Joe dans sa pièce, montèrent les marches vermoulues d’un étroit escalier. Arrivés au premier étage, Harrison poussa une porte et s’effaça. Agra entra. Il était dans une chambre dont la fenêtre était grande ouverte sur l’orage du dehors. Le prince, sans s’occuper des personnages qui se trouvaient dans cette pièce, alla contempler l’orage.

Il assista à un spectacle admirable, en même temps que se faisait entendre un vacarme d’enfer.

Le prince se retourna. Il vit de dos, écrivant à une petite table placée contre le mur, un homme. Appuyé contre le mur, un colosse au teint de cuivre, les bras croisés, regardait l’homme qui écrivait, semblant veiller sur lui.

Derrière celui-ci, Harrison attendait.

Quand l’homme eut fini d’écrire, il tendit un pli à Harrison, qui salua et disparut. Puis l’homme fit, avec ses doigts, quelques signes au colosse, qui répondit par le même langage. Le colosse était sourd-muet. Il quitta la chambre. L’homme se retourna.

C’était l’Homme de la nuit.

Sir Arnoldson avait toujours sur les épaules son inséparable macfarlane. Il avait encore au coin des lèvres ce sourire sarcastique, diabolique et mystérieux qu’on avait remarqué à la soirée chez Diane et qui, pas plus que son manteau ni que ses lunettes, ne devait jamais le quitter.

Il montra une chaise au prince et dit:

– Asseyez-vous, mon cher William; nous avons à causer.

Puis il alla lui-même à la fenêtre et la ferma.

– Cet orage fait beaucoup de bruit, dit-il.

Le prince s’était assis. L’Homme de la nuit resta debout. Il commença:

– Vous m’avez posé des questions, l’autre soir, chez Diane, auxquelles je vous ai promis de répondre ici…

Agra l’interrompit:

– J’ai assez versé de sang. Ne me répondez pas que l’œuvre que vous poursuivez, cette œuvre des ténèbres à laquelle vous m’avez associé, n’est point accomplie. Cette œuvre, monsieur, achevez-la tout seul. Je me sépare de vous!…

Pendant que le prince prononçait ces paroles, la physionomie de sir Arnoldson prenait une expression terrifiante. Ah! certes, il ne souriait plus! Ses traits bouleversés accusaient une rage inexprimable. Il brandit ses deux poings au-dessus de sa tête, et, dans un geste de colère et de menace, il cria:

– C’est vous, prince Agra, c’est vous qui osez parler ainsi?

Le prince, de plus en plus calme et d’une voix de plus en plus ferme, dit:

– C’est moi!

– Oublies-tu, malheureux, que tu es dans ma main?

– Je ne suis plus dans vos mains, monsieur!

– Et depuis quand?

– Depuis que j’ai résolu de me remettre entre les mains de Dieu!

Arnoldson hurla:

– Dieu! Tu n’y crois pas! Tu ne crois pas en Dieu!

Agra fit:

– C’est vrai, monsieur! Il a dépendu de vous que je ne crusse pas en Dieu! Je ne crois à rien! à rien! Mais il est de pauvre gens qui vivent retirés du monde et qui croient en ce Dieu que je ne connais pas. Je leur demanderai de me le faire connaître. La porte de leur retraite s’ouvrira prochainement devant moi et se refermera sur moi à jamais! Le prince Agra a vécu! Il vous abandonnera tous les millions que vous lui avez si généreusement donnés; il vous laissera toutes les richesses dont vous l’avez comblé lors de son court voyage ici-bas. Écoutez-moi bien et retenez ceci, qui est définitif, qui est la suprême parole et qui me délie de vous: Dans quelques jours, il y aura un moine de plus sur la terre!

Arnoldson savait que le prince Agra ne revenait jamais sur une parole dite, sur une résolution prise. Il parcourut, affolé, la petite chambre, battant l’air de ses longs bras et poussant des cris inarticulés.

Au-dehors, la tempête atteignait son paroxysme.

Arnoldson vint au prince Agra, lui saisit les deux épaules et cria:

– Ah! William! William! Tu ris de moi! Dis-moi que tu ris de moi et que tu ne vas pas me quitter.

– Je vais vous quitter!

– Immédiatement?

– Immédiatement!

– Je n’ai plus à compter sur toi?

– Non, monsieur!

– Pas même pendant un mois encore?

– Pas même.

– Pendant quinze jours! Tu entends? quinze jours! Je t’en supplie! Je t’en conjure! William! Veux-tu que je me mette à tes genoux? Dis-moi, mon William! mon cher William! dis-moi que je puis encore compter sur toi! Pendant quinze jours! Ah! fais que le prince Agra vive quinze jours encore!

– Le prince Agra est mort!

Arnoldson courut à la fenêtre, l’ouvrit d’un geste furibond et cria à la nuit, cria à l’orage, cria aux éléments déchaînés:

– Malédiction! Malédiction!

La colère de cet homme était prodigieuse.

Il passa fébrilement ses mains osseuses sur son front où perlait la sueur. Il parvint momentanément à se calmer. La tempête du dehors diminua, perdit de sa furie en même temps que diminuait la tempête de son cœur.

Il revint à Agra. Il semblait avoir pris un grand parti.

– Mais quelle est donc la cause de tels événements? demanda-t-il?

– J’en ai assez!… J’en ai assez d’être votre instrument! Cela m’est venu à Barcelone… oui, cela a commencé en Espagne… Le dégoût m’est venu… a gagné mon cœur, qu’avait déjà gagné la pitié à laquelle je le croyais inaccessible… Vous savez, à propos de cette pauvre gitane qui était tombée amoureuse de moi et qui en mourut. Je commençais à douter de cette prétendue œuvre de justice que nous accomplissions sur la terre et qui semait notre route de tant de cadavres. Vous savez bien que, dernièrement encore, il m’a fallu votre parole que Lawrence avait assassiné l’un de vos amis le plus chers pour que je prisse la part active que vous m’aviez désignée dans cette affaire, que vous terminerez tout seul…

– Tout seul? demanda encore Arnoldson.

– Tout seul.

Arnoldson se croisa les bras et laissa Agra continuer.

– Oui, vous avez dû voir que je devenais curieux, que je ne marchais plus en aveugle, que je n’étais plus votre docile instrument. Jusqu’alors, j’avais foi en vous. Ce qui arrivait devait arriver. Je passais où vous me disiez de passer, et il en résultait des drames que vous aviez su prévoir…