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La mort inexplicable de Jeanne d’Albret, son agonie, ses mystérieux avertissements, ce regard de terreur qu’elle avait eu en lui montrant le coffret d’or, présent de Catherine, cette mort, disons-nous, fit rentrer le soupçon dans l’esprit du comte.

Quel soupçon? Que Catherine avait assassiné Jeanne d’Albret.

Non! Oh non! Il ne voulait pas y croire! C’était contre nature, cela dépassait les bornes de l’odieux que Catherine eût fait de lui l’assassin inconscient de la reine de Navarre! Non, non! Jamais il ne permettrait à son cœur d’accepter la monstrueuse hypothèse! Il se rejetait avec rage dans la joie, dans l’amour, dans le bonheur.

Pourquoi? Ah! pourquoi… Voici le drame!…

S’il accusait Catherine, s’il acceptait l’infâme soupçon, s’il admettait sa mère meurtrière, c’est donc que sa mère se jouait de lui!

Et alors?…

C’est donc que Catherine jouait un rôle dans ses effusions de maternité contenue! C’est donc qu’elle mentait, encore, toujours, toujours! C’est donc qu’elle mentait aussi en lui garantissant la dignité d’Alice! C’est donc qu’Alice était une créature de Catherine! C’est donc que cet amour aboutissait à la plus effroyable erreur!

Et alors?…

Plus rien!…

Si Alice l’avait joué, si Alice était indigne, si son amour s’effondrait… Oh! mille morts plutôt! Il fallait en hâte, de toutes ses forces, de toute son énergie, de toute sa puissance, repousser le soupçon, se raccrocher furieusement à la certitude de l’amour d’Alice, de sa pureté, de son innocence! Il fallait donc repousser le soupçon qu’Alice était complice de Catherine! Il fallait donc repousser le soupçon qu’il y avait une complicité possible, qu’il y avait un crime, que Catherine était criminelle!…

Voilà dans quels abîmes tournoyait l’âme du comte de Marillac, semblable à l’aigle frappé à mort qui tombe, qui bat de l’aile, qui veut se raccrocher à quelque rocher, à quelque pousse de ronces, qui tombe, sans fin, dans un suprême vertige, qui s’enfonce dans les profondeurs noires, et qui, dressant la tête par un dernier effort, entrevoit une dernière fois tout là-haut le ciel pur et radieux…

Voilà pourquoi il s’arracha violemment à sa méditation. Voilà pourquoi, éclatant de rire, il alla ramasser la clef que le chevalier avait jetée, la remit tranquillement à la serrure de l’armoire et s’écria joyeusement:

– Pardieu, mon cher ami, je crois que nous sommes fous… C’est votre faute aussi! Pourquoi m’avoir parlé de la mort de Jeanne d’Albret? Pourquoi m’avoir forcé à évoquer cette agonie? Quand j’y songe, mon esprit bat la campagne…

Il secoua rudement la tête.

– Ah! oui, j’y suis. C’est ce costume noir qui est cause de tout… Eh bien, oui, mon cher, je me marierai en noir, je veux porter le deuil de la grande amie que je pleurerai toujours… Parlons d’autre chose, voulez-vous?

– Volontiers, comte, dit le chevalier en essuyant la sueur froide qui mouillait ses tempes. Un dernier mot toutefois.

– Parlez, cher ami.

– C’est bien décidément demain que doit avoir lieu votre mariage?

– Demain soir, à minuit, à Saint-Germain-l’Auxerrois… Mais vous êtes seul à le savoir.

– Et vous désirez que j’y assiste?

– Mon bonheur ne serait pas complet si vous n’étiez là.

– Bon. Comment et à quelle heure entrerai-je dans l’église?

– Trouvez-vous à onze heures à la petite porte qui donne sur le cloître… mais soyez seul.

– Très bien, mon cher comte!…

Et le chevalier songea:

«J’y serai avec quelques bonnes épées que je connais. Car je veux donner mon âme au diable si la douce Catherine ne cherche pas à faire assassiner son fils!…»

– Sortons, voulez-vous? reprit Marillac. Je veux passer avec vous cette fin de journée. Nous entrerons en quelque guinguette du bord de l’eau, et nous viderons bouteille…

– Je ne demande pas mieux, car moi-même, je ne serais pas fâché de voir un peu ce qui se passe dans Paris. Avez-vous remarqué, mon cher comte, comme Paris a l’air fiévreux… on dirait que quelque orage se prépare, sinon dans le ciel, du moins sur terre…

– Non, je n’ai pas remarqué, mon ami. Que voulez-vous? le bonheur est égoïste… mais une chose que je remarque parfaitement, c’est que vous, si gai tous ces jours-ci, vous êtes triste…

– Triste? Non pas… mais inquiet.

Les deux amis étaient dehors. Il faisait un beau soleil, et, comme le gros de la chaleur était passé, la rue était pleine de gens endimanchés…

– Et le sujet de cette inquiétude? demanda Marillac en prenant le bras du chevalier.

– Voici. Mon père a disparu depuis trois jours et je crains qu’il ne se soit jeté en quelque périlleuse aventure.

– Quoi? Vous n’en avez aucune nouvelle?

– Aucune. Mercredi soir, il est sorti de l’hôtel de Montmorency en disant au suisse que s’il n’était pas rentré au matin, c’est qu’il aurait entrepris un voyage. Quel peut-être ce voyage? Et comment a-t-il pu sortir de Paris? Je connais mon père, je sais son esprit entreprenant, et je le crois capable d’avoir franchi quelque porte, du moment qu’il était seul. Mais où peut-il être allé?…

– C’est un homme d’une rare prudence et, sans aucun doute, vous avez tort de vous inquiéter.

– Je le sais. Aussi ne suis-je pas trop inquiet pour lui. Et d’ailleurs, s’il y eût eu un danger immédiat, il m’eût prévenu. Seulement, pendant qu’il travaillait de son côté, je travaillais du mien et son absence peut compromettre la réussite de mon plan.

– Voyons votre plan, fit Marillac.

– Je suis arrivé à séduire un sergent qui doit être de garde à la porte Saint-Denis mardi prochain. Il m’a promis de ne défendre que mollement le passage, pourvu que j’attaque avec vigueur. En outre, il s’arrangera pour que le pont-levis soit baissé au moment où je l’attaquerai… Je compte sur vous, mon cher ami.

– Très bien. Mardi, quelle heure?

– Mais vers les sept heures du soir. Il y aura une voiture dans laquelle seront Loïse et sa mère, ainsi que le maréchal de qui j’ai pu obtenir qu’il ne se montrât pas. Nous serons une vingtaine…

– Bon. Je vous promets de vous en amener autant.

– Ah! si mon père était là!…

– Il sera rentré d’ici mardi, sans doute… Mais que veut tout ce monde?…

– Ma foi, dit le chevalier, les voilà qui se mettent à genoux!…Avançons.

– Vous ne craignez pas d’être reconnu?