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– De Catherine de Médicis? insista le chevalier.

– Oui, mon ami… Après que le médecin du roi eut examiné la reine de Navarre, celle-ci fut aussitôt transportée jusqu’à sa litière, malgré Ambroise Paré qui lui voulait sur l’heure administrer je ne sais quel médicament… Le roi Henri, l’amiral, le prince de Condé et moi, nous montâmes à cheval pour escorter la litière; quelques gentilshommes nous accompagnèrent, le baron de Pont, le capitaine Briquemaut, messieurs de Rohan, de Téligny, d’Aubigné, de Cavagnes, de Piles, tous de la suite du roi Henri. La litière ainsi entourée de notre groupe et précédée de laquais à cheval portant des flambeaux traversa la foule qui entourait le Louvre. À la vue du roi Henri, cette foule se mit à pousser des clameurs comme si nous eussions été des ennemis; cependant, lorsqu’on sut que la litière contenait Jeanne d’Albret mourante, un grand silence se fit, et ces gens, honteux peut-être, s’écartèrent, mais dans leur silence même ce n’était pas le respect de la mort qui apparaissait… Ah! chevalier, quelle nuit!… Quand je songe à cette fête monstrueuse, à cette orgie plutôt où les nôtres ont toléré que leurs femmes fussent insultées, puis ces cris funèbres, cette litière qui passe à travers un peuple retenant à peine ses grondements, je me prends à songer à quelque énorme et fantastique traquenard… mais c’est de la folie…

– Hum! fit le chevalier.

– Le roi nous comble de ses caresses; la reine mère… je connais ses sentiments…

– Hum! hum! répéta le chevalier.

– Le peuple nous est seul hostile; mais M. de Guise nous assure que les parisiens n’ont qu’un reste de mauvaise humeur qui se dissipera lorsqu’on aura vu notre roi entrer à Notre-Dame…

Et, comme pour éviter d’approfondir les soupçons qu’évoquait l’attitude du chevalier, le comte se hâta de reprendre son récit:

– Lorsque la reine eut été couchée dans son lit, elle reprit connaissance. Le médecin du roi, maître Ambroise Paré, arriva à ce moment. Mais la reine, le regardant fixement, lui dit: «Je vous remercie, maître. Vous pouvez vous retirer. Tous soins seraient inutiles contre le mal. Je vais mourir… Allez!»

Sans insister davantage, maître Paré s’inclina en poussant un soupir et, comme il se retirait, nous vîmes que son visage portait les traces d’une étrange épouvante.

– Ah! ah! interrompit le chevalier en jetant un regard interrogateur sur le comte de Marillac. Ce médecin n’est-il pas de la religion réformée?

– Oui, chevalier.

– Et vous dites qu’il n’insista pas pour donner des soins à la malheureuse reine?

– C’est la vérité…

– Et vous dites qu’il avait l’air épouvanté?

– En effet. Mais n’était-ce pas naturel?… Ce mal foudroyant, incompréhensible…

– Non, comte! Ambroise Paré est un homme énergique. De plus il est, dit-on, curieux de connaître les maladies, à tel point qu’il a été un jour accusé de sorcellerie en plein Collège royal de France. S’il n’a pas insisté, s’il a été épouvanté, s’il a reculé, enfin…

– Que voulez-vous dire, chevalier? s’écria Marillac avec agitation.

– Rien, fit sourdement le chevalier. Je m’étonne de cette attitude, voilà tout. Mais continuez, cher ami…

– Oui… laissons de côté les soupçons.

– Ah! vous avez dit enfin le mot! Vous aussi vous soupçonnez…

– Quoi? balbutia le comte.

– Un crime!…

Marillac pâlit. Son regard se détourna de Pardaillan. Une minute, il parut en proie à un trouble funeste et des pensées tragiques s’agitèrent en lui.

– Eh bien, oui, dit-il enfin; je crois à un crime! La reine de Navarre avait des ennemis acharnés; plus d’une fois, elle a failli succomber; nous qui l’aimions, nous qui connaissions son mépris du danger, nous nous étions donné la tâche de veiller sur elle nuit et jour… Peut-être un de ces ennemis… un de ces hommes qui ne reculent pas devant le forfait… Ah! je donnerais ma vie pour le connaître, celui-là…

Marillac passa la main sur son front. Et comme le chevalier gardait le silence, il continua:

– Mais peut-être, après tout, n’est-ce qu’un soupçon sans valeur.

– Peut-être! fit le chevalier. Vous disiez donc que le médecin du roi se retira.

– Et aussi nous tous, reprit Marillac avec un empressement fébrile. Le roi Henri demeura seul près de sa mère. Pendant trois longues heures, nous attendîmes dans la pièce voisine. Nous n’osions nous regarder les uns les autres. Je me souviens seulement que le prince de Condé ne cessa de pleurer, et je l’enviais, car pas une larme ne pouvait sortir de mes yeux brûlants; je voyais comme dans un songe pénible, où l’on a la sensation d’étouffer peu à peu… Enfin, l’aube entra dans cette salle où nos douleurs silencieuses étaient rassemblées, et fit pâlir les flambeaux qui jetèrent alors un éclat plus sinistre… Ce fut à ce moment que le roi Henri sortit de la chambre de sa mère… Que lui avait-elle dit? Quelles furent ses suprêmes confidences? Fut-ce son testament de reine, de chef de parti, qu’elle dicta au roi?… Qui sait?… Oui, qui sait si l’étrange hallucination qui s’empara de moi ne fut pas une vérité?… Car comme je me trouvais près de la porte, il me sembla un moment saisir quelques lambeaux de la parole royale et funèbre… «Je meurs assassinée, disait la voix rauque de la mourante, mais je vous ordonne de l’ignorer… feignez de croire à une mort naturelle… ou, sans cela… vous seriez frappé à votre tour. Mais prenez bien garde, mon fils… Ah! oui, gardez-vous!…» Ces paroles, quand j’y pense, furent sans aucun doute une imagination de mon esprit ébranlé… Et pourtant, lorsque le roi Henri reparut à nos yeux, il me sembla lire sur son visage la même épouvante que j’avais lue sur celui du médecin… Le roi ne put nous parler… mais il nous fit signe d’entrer.

Marillac étouffa un sanglot, et deux larmes qu’il ne songea pas à essuyer coulèrent de ses yeux.

– Nous entrâmes donc, poursuivit-il. Moi je pouvais à peine me soutenir. Quand je vis cette généreuse reine, cette guerrière qui avait étonné nos vieux généraux, cette femme éloquente dont les paroles avaient relevé tous les courages alors que des défaites successives avaient anéanti tout espoir, quand je vis cette mère admirable qui avait abandonné la vie paisible de son palais pour se jeter dans la vie des camps, qui avait vendu jusqu’à son dernier diamant pour payer les soldats de son fils, quand je vis celle qui m’avait tiré du néant, arraché à la mort, bercé mon enfance et consolé les douleurs de ma jeunesse, oui, quand je la vis livide, son noble visage conservant encore sa sérénité sous le masque de la mort, il me sembla que j’allais mourir moi-même et je demeurai comme stupide dans un anéantissement de mes forces et de ma pensée… Elle dit au prince de Condé: «Ne pleurez pas, mon cher enfant. Peut-être suis-je la plus heureuse…» Nous l’entourions, tâchant de refouler nos sanglots… Son regard trouble fit le tour de cette assemblée d’hommes d’armes penchés sur le lit d’une reine mourante. Et j’ai retenu ses dernières paroles… Les voici, chevalier: