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– Ce sera splendide, fit le chevalier. Je comprends votre joie.

Marillac saisit sa main et la pressa. Une joie immense gonflait son cœur.

– Cher ami, murmura-t-il, ma joie ne vient pas de là… Écoutez… j’avais juré de ne le dire à personne au monde… mais vous, mon ami, vous êtes mon autre moi-même… Demain, il y aura un mariage à Notre-Dame… et demain soir, il y en aura un autre à Saint-Germain-l’Auxerrois… et je veux que vous soyez là!…

– Quel mariage? demanda le chevalier.

– Le mien!…

– Le vôtre! fit Pardaillan qui ne put s’empêcher de frémir. Et pourquoi le soir?

– La nuit, plutôt à minuit!… Vous allez comprendre… la reine veut être là pour me bénir… elle se charge de tous les détails de la cérémonie… des amis à elle, des amis sûrs, y assisteront seuls… et vous, mon cher, mon frère! vous que je ferai entrer avant l’heure dans le temple… mais n’en dites rien. La reine veut être là, comprenez-vous? Et si on savait!… Ah! Pardaillan, on voudrait savoir pourquoi la mère de Charles IX s’intéresse tant à un pauvre gentilhomme huguenot… Et qui pourrait faire taire les mauvaises langues? Qui pourrait expliquer qu’au moment où je me marie, c’est un immense bonheur pour moi que d’avoir à mes côtés… celle qui est… ma mère!

Le chevalier eut un frisson que le comte ne remarqua pas: cette cérémonie mystérieuse, ce mariage de minuit qui devait être tenu secret et auquel Catherine devait assister… Il eut la pensée d’un guet-apens, la vision de quelque sanglante tragédie au fond de la morne église…

«Heureusement que je serai là! songea-t-il.»

Et comme si le pressentiment d’un malheur l’eût poursuivi du doigt, il désigna le costume étalé sur un fauteuil.

– Est-ce dans ce costume, demanda-t-il, que vous allez vous marier?

– Oui, frère, dit Marillac soudain redevenu grave. C’est dans ce costume que je veux assister au mariage de notre roi, et c’est dans ce même costume que, le soir, à minuit, je me rendrai à Saint-Germain-l’Auxerrois…

– Eh quoi! Tout de noir vêtu?

– Écoutez-moi, chevalier, dit Marillac dont le visage se voila de mélancolie. Je suis dans un bonheur tel que je me demande parfois si je rêve. Vous savez combien j’ai souffert d’être obligé de maudire ma mère… eh bien! cette mère se révèle à moi comme la femme la plus aimante, le cœur le plus tendre. Vous savez combien j’aime ma fiancée… eh bien! demain, Alice devient ma femme… comprenez-vous que ces deux bonheurs inouïs accablent mon âme!…

– Ainsi, dit le chevalier, pas une ombre à votre bonheur? Pas d’inquiétude? Pas de crainte?…

– Quelle inquiétude, quelle crainte pourrais-je avoir? Non, mon ami… tout en moi est apaisement et confiance… Et pourtant, oui, tout ce bonheur est comme voilé d’un crêpe.

– Il faut quelquefois écouter les pressentiments, dit vivement le chevalier.

Marillac secoua la tête.

– Il ne s’agit pas d’un pressentiment. Encore une fois, je ne crains rien, je n’ai rien à redouter. Mais je m’habille de noir, mon ami, parce que je veux, aux yeux de tous, et même au prix d’une inconvenance, porter le deuil de l’admirable femme qui a été ma vraie mère…

– Jeanne d’Albret!…

– Oui, chevalier: la reine de Navarre. La cour semble l’avoir déjà oubliée. Son fils lui-même, cet Henri qu’elle aimait tant, a bien vite repris ce visage insoucieux et sardonique… il a bien vite recommencé à papillonner autour des femmes, tandis que celle qui sera la sienne s’occupe, dit-on, d’amours où le roi de Navarre ne joue aucun rôle, sinon celui de l’amant morfondu. Ah! mon ami, toute cette ingratitude pour une femme si vaillante et si bonne, si vraiment femme par le cœur tandis qu’elle égalait les hommes les plus intrépides par le courage et la présence d’esprit, cela me révolte, voyez-vous. Et moi qui l’ai aimée, vénérée, moi qui l’ai vue mourir, moi dans le cœur de qui elle sera toujours vivante, je veux porter son deuil devant son fils, devant ma mère aussi… et devant ma femme!

Marillac demeura quelques minutes tout songeur.

– Cher ami, reprit le chevalier, avez-vous jamais admiré la singulière destinée qui vous a fait retrouver une mère, juste au moment où vous avez perdu celle que vous considériez comme telle?

– Que voulez-vous dire? fit Marillac en tressaillant.

– Simplement ceci: tant que la reine de Navarre a vécu, Catherine de Médicis vous est apparue comme un monstre capable de toutes les atrocités. Or, c’est justement dans la nuit où est morte l’infortunée Jeanne d’Albret que madame votre mère a commencé de se révéler à vous dans toute sa maternelle mansuétude… Je n’en conclus rien, mon cher comte: je constate le fait. Il m’étonne, voilà tout. Et vous?

– Je vous avoue que je n’ai pas songé à cette coïncidence, dit Marillac en passant une main sur son front. Mais puisque vous m’y faites penser, ne dois-je pas voir là une preuve de plus que mon bonheur dépasse mes espérances?

Ce fut au tour de Pardaillan de tressaillir.

Il commençait à démêler, ou du moins il croyait démêler ce qui se passait dans l’âme de Marillac. Il lui sembla tout à coup que tout ce bonheur dont le comte s’enivrait avec une sorte de rage fiévreuse n’était que superficiel. Il eut la sensation que son ami cherchait à s’étourdir, et qu’il faisait un violent effort pour se persuader à soi-même qu’il était heureux.

Était-ce vrai?… Peut-être!…

Oui, peut-être Marillac avait-il entrevu la haine formidable qui couvait sous les sourires de Catherine! Peut-être, à force de creuser le problème, en était-il arrivé à pressentir vaguement vers quels abîmes il était entraîné!… Peut-être n’y avait-il en lui qu’un désespoir sans fond… le désespoir d’être épouvanté par sa mère, le désespoir d’avoir compris qu’elle voulait le tuer, le désespoir de deviner que sa fiancée était complice de sa mère!…

Peut-être, disons-nous!

Car ce que nous établissons en quelques lignes positives, Marillac ne pouvait que le soupçonner.

Et s’il soupçonnait, l’horreur qu’il éprouvait de ses soupçons était telle qu’il eût voulu mourir pour échapper à ce cauchemar fantastique de se sentir attiré dans une toile inextricable par deux femmes dont l’une était sa mère et l’autre sa fiancée!…

– Vous ne m’avez jamais raconté la mort de la reine de Navarre! reprit tout à coup le chevalier.

– Ce sont de funestes souvenirs que vous remuez là, chevalier, dit le comte avec une sombre expression où Pardaillan crut entrevoir autant d’horreur inavouée que de douleur sincère. Ce fut foudroyant. La reine était arrivée à neuf heures au Louvre où on célébrait les fiançailles de son fils et de la princesse Marguerite. Après avoir reçu l’hommage des seigneurs catholiques, elle s’assit dans un fauteuil de ce salon où le roi de France vint en personne lui témoigner son affectueuse admiration. Moi j’étais où vous savez. Lorsque je fus redescendu dans les salles de fête, je la cherchai longtemps, et ne la trouvai qu’à l’instant où elle s’évanouissait. Il y eut de grandes rumeurs, et je n’oublierai jamais la douleur qui éclata sur le visage de… la reine mère…