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– Bah! par qui donc?

– En voilà deux! hurla à ce moment une voix qui fit tressaillir le chevalier.

Marillac et Pardaillan, tout en devisant, s’étaient heurtés à une foule qui entourait quelque chose devant la porte d’un couvent. Et cette foule criait:

– Miracle! Noël!…

Les deux jeunes gens qui avaient continué à avancer jusqu’au moment où ils se trouvèrent devant la porte du couvent, au milieu de gens dont les uns entonnaient des cantiques, dont les autres, comme en délire, s’embrassaient sans se connaître, faisaient des signes de croix et se frappaient la poitrine. Puis tout ce peuple était tombé à genoux, tandis que Marillac et Pardaillan demeuraient debout.

Et comme les miracles de la chaudière étaient toujours un ordre du ciel d’avoir à occire quelques hérétiques, la foule, tout en s’agenouillant, clama d’une voix le cri qu’elle croyait être le plus agréable à tous les saints du paradis:

– Mort aux huguenots!…

C’est à ce moment que la voix en question cria:

– En voilà deux!…

Pardaillan reconnut aussitôt Maurevert qui le désignait spécialement. Maurevert était entouré d’une quinzaine de gentilshommes qui semblaient le considérer comme leur chef. Au signe qu’il fit, ils se précipitèrent sur le chevalier, l’épée à la main.

Déjà, la foule, furieuse, délirante, enveloppait les deux amis qui, serrés de près, étouffés, ne pouvaient même pas tirer leurs épées.

– Place! place! vociféraient les gentilshommes en essayant d’arriver jusqu’à leurs deux victimes.

Mais chacun, dans ce peuple, tenait à se distinguer. C’est pourquoi la foule ne s’ouvrit pas; elle voulait massacrer elle-même les deux huguenots qui, la dague à la main, immobiles, contenaient encore par leur attitude les enragés qui les entouraient.

C’était cette seconde insaisissable où une multitude déchaînée s’excite elle-même par des cris avant de verser le sang…

Les deux jeunes gens échangèrent un regard; ils semblaient se dire.

«Nous allons mourir là, mais avant de tomber, nous en découdrons bien quelques-uns!»

– Tue! tue! vociférait Maurevert. Les huguenots à la hart [15]!…

Il y eut comme un vaste tourbillonnement de la foule; des milliers de poings se levèrent…

Mais à ce moment, comme si un grand souffle eût abattu toute cette fureur, la foule retomba à genoux en criant:

__ Miracle!… Voici le saint!…

Le saint, c’était frère Lubin qui, ouvrant la porte du couvent après avoir échappé aux moines, apparaissait, les bras ouverts, la face rubiconde et, apercevant le chevalier de Pardaillan, s’en venait à lui, la larme à l’œil, en souvenir des innombrables fonds de bouteille dont Pardaillan l’avait gratifié à la Devinière.

– Ce digne chevalier! Ce cher ami! bégayait le moine qui passait à travers la foule prosternée.

Maurevert et ses acolytes le suivirent en troupe. Pardaillan et Marillac avaient profité de ce répit inespéré pour rengainer leurs dagues et mettre l’épée à la main.

Pardaillan ne se demanda pas pourquoi Maurevert se trouvait parmi cette masse de peuple et pour quelle besogne il était escorté de gentilshommes dont il en reconnut quelques-uns pour des fervents de la reine Catherine.

– Attention! dit-il à Marillac, voici la meute… Voyez-vous à votre gauche cette encoignure sous l’auvent?

– Je la vois, dit Marillac qui, de la pointe de son épée, menaçait déjà un de ses assaillants.

– Allons-y d’un bond. Là, nous pourrons tenir tête… Attention, vous y êtes?

– J’y suis!

Les deux amis se fendirent ensemble: un double hurlement éclata; deux des plus avancés tombèrent.

Marillac, alors, obéissant à la manœuvre indiquée, se rua vers l’encoignure, en fourrageant de l’épée; la foule s’écarta avec des clameurs et se referma sur lui. Lorsque Marillac eut atteint son poste, il s’aperçut qu’il était seul; il voulut s’élancer, mais il y avait autour de lui une muraille vivante, profonde, infranchissable…

– Pardaillan! rugit-il.

Et il se jeta tête baissée sur la muraille vivante.

À ce moment, il fut saisi par derrière, paralysé, dans l’impossibilité de faire un mouvement, soulevé, entraîné, emporté dans l’intérieur du couvent.

Quant au chevalier, voici ce qui était arrivé.

Au moment où Lubin arrivait près de lui, l’un des gentilshommes qui escortaient Maurevert lui porta un coup de pointe. Ce fut alors qu’il se fendit à fond, et par un coup droit, traversa l’épaule de son adversaire. À l’instant où il se relevait et où il allait se jeter vers l’encoignure qu’il avait montrée à Marillac, le moine fut sur lui et l’enserra dans ses bras en bégayant:

– C’est donc vous… ah!… que je suis heureux… Venez boire…

D’une violente secousse, Pardaillan se débarrassa du moine qui alla rouler à terre en murmurant:

– L’ingrat!…

À ce moment, cent bras s’abattirent sur le chevalier; son épée fut brisée; en un instant, ses vêtements en lambeaux; le chevalier voulut saisir sa dague: Maurevert l’enleva.

Alors on vit un spectacle inouï.

Désarmé, sanglant, le chevalier avait sur lui une masse humaine qui s’efforçait de l’écraser.

Et cette masse, il la soulevait, la secouait, la dispersait d’un formidable roulis des épaules; elle se reformait, l’accablait; il l’entraînait, roulait avec elle, se relevait, mordant, frappant de ses deux poings comme de deux béliers; des gens ensanglantés tombaient autour de lui; des hurlements effroyables, tout autour, éclataient dans la foule, tandis que le groupe frénétique attaché à lui luttait dans un silence farouche.

Presque assommé, du sang plein le visage et la bouche, Pardaillan, formidable, secouait la grappe humaine, comme le sanglier enfin coiffé peut secouer la meute.

Il soufflait d’un souffle rauque et bref.

Un brouillard flottait devant ses yeux. Il ne songeait plus à rien… à rien qu’à atteindre Maurevert qui, à dix pas, commandait la manœuvre, à le saisir, à l’étrangler avant de mourir.

Une clameur plus terrible retentit soudain:

Le chevalier venait de tomber une dernière fois et ne se relevait plus: à chacune de ses jambes, à chacun de ses bras, à sa poitrine, deux hommes, trois, quatre, toute une foule pesait.

Il ne remuait plus.

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[15] La hart: corde avec laquelle on pendait les criminels.