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– Monsieur le comte, je suis chargé de vous faire sortir du couvent par une porte de derrière.

– Pourquoi pas par la grande porte?

– Écoutez, monsieur, fit le moine en souriant.

Marillac écouta. Au loin, vers la rue, il entendit une rumeur furieuse.

– Cela, reprit le moine, c’est la voix du peuple qui réclame sa victime. Et sa victime, c’est vous. Mais nous savons trop quelle serait la douleur de notre grande reine, s’il vous arrivait malheur… Venez donc, monsieur.

Marillac, sans plus d’observations, suivit le moine, qui le conduisit jusqu’à une petite porte donnant sur une ruelle solitaire.

Le comte prit aussitôt le chemin du Louvre.

XIV LE TEMPLE

Si vite que Marillac eût pris sa course vers le Louvre, Maurevert y arriva avant lui. En effet, Maurevert était poussé par la haine, tandis que Marillac l’était par l’amitié. Les ailes de la haine sont plus rapides que celles de l’amitié.

Il paraît que Maurevert était attendu avec impatience dans cette partie du Louvre où se trouvaient les appartements de la reine mère. Car à peine le capitaine des gardes Nancey, l’eut-il aperçu, qu’il lui fit signe de le suivre et, le conduisant par un couloir privé, l’introduisit dans une antichambre où se trouvait la suivante florentine Paola, laquelle, à son tour, l’introduisit aussitôt dans le fameux oratoire.

Catherine de Médicis était là, écrivant fiévreusement; elle avait devant elle un monceau de lettres déjà terminées et elle venait d’en commencer une nouvelle.

Car la reine écrivait toujours elle-même. Soit défiance naturelle et excessive jusque dans les sujets les plus insignifiants, soit besoin d’assouvir sa dévorante activité, elle n’eut jamais de secrétaire…

À l’entrée de Maurevert, elle leva la tête, fit un signe bref pour lui ordonner d’attendre et acheva la phrase commencée.

Maurevert avait bon œil.

Il essaya de démêler les suscriptions de toutes les lettres déjà cachetées que la reine avait rejetées sur la table, au hasard. Et il put constater que presque toutes ces lettres étaient adressées aux gouverneurs des provinces.

À ce moment, Catherine, levant brusquement la tête, surprit le regard de Maurevert.

– Vous essayez de savoir à qui j’écris? demanda-t-elle.

– Madame… balbutia Maurevert.

– J’aime les gens curieux, reprit la reine avec cette rude bonhomie qu’elle affectait parfois. La curiosité est un signe d’intelligence. Je veux satisfaire la vôtre. Allez à cette fenêtre…

– Je supplie Votre Majesté de croire…

– Obéissez donc…

Maurevert alla à la fenêtre, tremblant et flairant quelque terrible surprise. Mais il se rassura en songeant:

«Bah! elle a besoin de moi!»

– Que voyez-vous dans la cour? demanda Catherine.

– Je vois une trentaine de courriers de Sa Majesté, à cheval, prêts à partir.

– C’est bien, demeurez où vous êtes, reprit la reine qui, en même temps, frappa un timbre d’un coup de son petit marteau d’argent.

Un homme entra qui, stylé d’avance, saisit toutes les lettres cachetées, et sortit en toute hâte, sans avoir dit un mot. Deux minutes plus tard, Maurevert vit apparaître dans la cour le même homme. Il remit une lettre à l’un des courriers, et le courrier partit aussitôt à fond de train; puis il passa au deuxième qui partit à son tour, puis au troisième… au bout de cinq minutes, tous les courriers étaient partis.

– La prochaine fois que vous verrez votre ami le duc de Guise, dit tranquillement Catherine, vous lui direz que vous avez vu partir mes courriers porteurs de dépêches pour chacun de nos gouverneurs. Vous ajouterez que chacune de ces dépêches donne l’ordre à nos gouverneurs de rassembler leurs troupes et de marcher sur Paris pour y arrêter les insensés qui ne craignent pas de conspirer contre le roi. Dans quelques jours, monsieur de Maurevert, soixante mille hommes marcheront sur Paris pour protéger le roi, ou pour le délivrer au cas où certains projets auraient déjà abouti… Quant à vous… voyons… que vais-je faire de vous?

Maurevert sentit un long frisson lui courir le long des reins, comme si la hache du bourreau se fût levée sur son cou.

– Je suis perdu! murmura-t-il.

Ses jambes vacillèrent. Il tomba sur ses genoux. Sa tête se pencha jusqu’à toucher le plancher.

Catherine le regarda un instant avec une sombre expression de doute, de mépris et de triomphe.

Elle avait d’ailleurs menti.

Ses lettres contenaient l’ordre aux gouverneurs d’arrêter tout courrier qui ne serait pas muni d’un sauf-conduit, tout fuyard venant de Paris, et de faire saisir tout huguenot dans une sorte de vaste rafle [16].

– Relevez-vous, monsieur, reprit la reine.

Maurevert obéit. Il était livide. Il cherchait vainement à rassembler ses idées.

– Si vous êtes franc, poursuivit Catherine, je vous donne vie sauve.

Un rugissement de joie souleva la poitrine de Maurevert. La reine ne le faisait pas saisir. La reine discutait encore avec lui. Donc la reine avait besoin de ses services. Donc il était sauvé.

– Où en est la conspiration de M. de Guise? demanda froidement Catherine de Médicis.

– Madame, répondit enfin Maurevert en faisant un effort surhumain pour assurer sa voix, je jure sur le Christ que je n’ai pas conspiré.

– Et qui vous dit que vous conspirez! fit la reine avec un terrible accent de mépris. Allons donc, monsieur de Maurevert, pour conspirer, il faut être quelqu’un! Seulement, vous n’êtes pas sans avoir écouté autour de vous. Que savez-vous?

– Eh bien, madame, on espère que Sa Majesté le roi ne voudra pas prendre contre les hérétiques les mesures nécessaires.

– Et alors?

– Alors, madame, comme Paris est en pleine fermentation, on en profitera pour se faire désigner par la noblesse, par la bourgeoisie et par le peuple, comme le capitaine général des catholiques…

– Et alors?…

– C’est tout, madame! fit Maurevert avec une admirable expression d’étonnement et de sincérité.

– Vous mentez, monsieur de Maurevert.

– Madame, sur le chevalet de torture, je ne pourrais dire plus. Je ne sais rien au-delà de ce que je viens de vous révéler. Cependant… je pense… mais c’est une simple supposition.

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[16] Ces dépêches portaient le sceau royal. La signature de Charles IX s’y trouvait. La reine avait-elle obtenu un certain nombre de signatures en blanc, ou, audacieuse jusqu’au bout, avait-elle simplement signé pour son fils?… Qui sait?… Ce que l’on sait bien, c’est que ces fatales dépêches furent considérées par la plupart des gouverneurs comme un ordre d’extermination en masse. (Note de M. Zévaco.)