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Ces mots prononcés avec un accent de rude franchise produisirent dans l’esprit de Marillac la plus bienfaisante impression.

– Nancey! appela la reine en frappant de son marteau.

Le capitaine des gardes apparut bientôt.

– Nancey, demanda la reine, êtes-vous au courant de l’arrestation d’un jeune gentilhomme, le chevalier de Pardaillan?

– Oui, madame. C’est ce cavalier qui, arrêté une première fois, s’est évadé de la Bastille.

– Qui a donné l’ordre? dit Catherine en fronçant le sourcil.

– Sa Majesté le roi. Je crois que ce jeune homme est accusé rébellion. En tout cas, on sait qu’il a résisté par deux fois aux soldats du roi.

– Ah! madame, s’écria Marillac, je vais vous dire en quelles circonstances…

– Chut! fit la reine. C’est bien, Nancey.

Le capitaine se retira.

– Mon cher enfant, reprit alors Catherine, je vais vous donner une preuve de… ma bienveillance… telle que mes fils Henri et François pourraient seuls en attendre de moi… Demeurez ici jusqu’à mon retour.

Marillac s’inclina profondément. Il tremblait. Un bouleversement se faisait dans son esprit. La conviction, entrait en lui profonde, indéracinable, que la reine avait pour lui une affection profonde, affection de mère. Il se reprochait ses soupçons comme un crime.

Coupable? criminelle? hypocrite? cette femme qui le regardait avec une pareille douceur, qui lui parlait avec cette agitation que lui seul pouvait comprendre! Cette reine puissante, altière, jalouse de son autorité, qui, sur la simple demande d’un pauvre gentilhomme comme lui, entreprenait sans hésiter, sans réfléchir, de sauver un rebelle!

Et il n’était pas jusqu’à cette confiance illimitée de la reine qui ne lui inspirât une gratitude dont se gonflait son cœur, confiance que la soupçonneuse, Catherine n’eût peut-être pas témoignée au roi lui-même.

En effet, la reine le laissait seul! Et là, devant lui, se trouvaient les lettres qu’elle écrivait, secrets d’État, sans aucun doute!

Ah! plutôt que d’essayer de lire, plutôt que de jeter un regard sur ces secrets augustes, il se fût aveuglé sur l’heure!

Catherine demeura absente une demi-heure pendant laquelle elle ne perdit pas de vue un instant le comte de Marillac.

Un seul point demeurait obscur dans l’esprit du comte.

Maurevert lui avait déclaré que Pardaillan était arrêté par ordre de la reine-mère.

Or la reine paraissait avoir oublié jusqu’au nom du chevalier!

Nancey affirmait que l’ordre venait du roi.

Simples contradictions, après tout! Et puis, qu’était-ce que cette obscurité imperceptible dans la grande clarté radieuse qui jaillissait des paroles, du regard, de toute l’attitude de Catherine!

Soudain, celle-ci rentra: elle rayonnait.

– Nous avons cause gagnée! fit-elle gaiement.

– Ah! madame, murmura Marillac d’une voix que l’émotion rendait sourde, quand donc Votre Majesté me demandera-t-elle ma vie!… Ainsi, mon ami… le chevalier… de Pardaillan… il est libre?

– J’ai la parole du roi. J’avoue que je ne lui ai pas arrachée sans peine. Il paraît que votre ami conspire avec M. le maréchal de Montmorency…

– Lui!… Ah! madame, tenez, puisque l’occasion s’en présente, laissez-moi vous dire ce que le maréchal…

– Silence, comte… Ce ne sont pas là mes affaires, et puis si M. de Pardaillan a quelque chose à me dire au sujet du maréchal, il me le dira lui-même.

– Comme vous êtes une grande reine! fit Marillac avec une expression de tendresse qui eût désarmé Catherine si un sentiment humain eût encore eu prise sur elle.

– Hélas! dit-elle en haussant les épaules, je suis simplement une femme qui a souffert, et la douleur, mon cher comte, est la bonne école de l’indulgence… Je ne veux pas savoir si votre ami conspire ou non. Je veux savoir seulement qu’il est votre ami. Dites-lui que vos amis sont les miens. Dites-lui que s’il a quoi que ce soit à me demander pour lui-même ou pour le maréchal, je le recevrai après-demain matin, à dix heures, lorsque le roi aura achevé de l’interroger…

– Sa Majesté désire donc interroger le chevalier?

– Oui! j’ai pu obtenir cette énorme dérogation à toutes les procédures. Au lieu d’être interrogé par un juge, votre ami le sera par le roi… et si ses réponses sont satisfaisantes, s’il explique pourquoi il demeure renfermé dans l’hôtel de Montmorency… on le tiendra quitte de tout le reste, c’est-à-dire de la triple affaire du Louvre, du cabaret incendié et de la bataille rue Montmartre.

– Ah! madame, s’écria Marillac radieux, l’explication est des plus simples! Pardaillan et le maréchal ne demandent qu’à quitter Paris… si vous saviez!… il n’y a sous tout cela qu’une affaire d’amour…

– Eh bien, mon cher comte, trouvez-vous après-demain matin au lever du roi, et vous emmènerez vous-même votre ami. Mais répétez-lui bien que je voudrais le voir.

– Madame, il ne quittera pas le Louvre sans avoir déposé à vos pieds l’hommage de son dévouement, de sa reconnaissance, et…

Marillac allait ajouter, songeant aux soupçons de Pardaillan:

– De ses remords…

Il se retint, de crainte que le mot ne parût avoir trait à cette conspiration dont on parlait, et il acheva:

– Quant à moi, ma vie vous appartient.

Un éclair flamboya dans les yeux de Catherine. Mais Marillac ne vit pas cet éclair, qui l’eût épouvanté, penché qu’il était devant la reine.

– Adieu, comte, dit celle-ci. À demain soir, d’abord… dans Saint-Germain-l’Auxerrois… puis, au Louvre, après-demain matin…

Le comte sortit enivré.

Il se rendit à pied jusqu’au couvent. Comme il y arrivait, un cavalier en sortait, montait à cheval et disparaissait dans la direction du Louvre. Le comte demanda à être introduit auprès de l’abbé, ou tout au moins auprès du prieur. Ce fut le prieur qui le reçut au parloir.

– Monsieur, demanda-t-il – et ce terme fit faire la grimace au révérend prieur – y a-t-il inconvénient à ce que vous me disiez si M. le chevalier de Pardaillan est encore dans votre couvent?

– Aucun inconvénient: ce jeune homme est encore ici. Il devait être transféré à la Bastille. Mais je viens de recevoir un ordre du Louvre, qui m’enjoint de le garder jusqu’à mardi matin dans la meilleure chambre du couvent: je lui ai cédé la mienne, c’est tout ce que je pouvais faire.

– Et, mardi matin, qu’arrivera-t-il? demanda Marillac palpitant.