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La reine reprit avec un soupir.

– Je vous ai donné ces deux hommes, je ne m’en dédirai pas. Il faudrait donc, pour bien faire, les mettre ensemble?… Et puisque le vieux se trouve au Temple, c’est donc au Temple que nous enverrons le jeune?

En même temps, elle signait un ordre d’arrestation.

– Ah! madame, au Temple ou à la Bastille, peu importe, pourvu que je les tienne… surtout le chevalier!

– Et vous dites que vous vous chargeriez de les questionner?

– Oui, madame. Et cela suffira à ma vengeance, dit Maurevert avec une sinistre expression qui ne laissa aucun doute à Catherine.

– Prenez-les donc, dit la reine en tendant l’ordre d’arrestation.

Maurevert s’en empara avidement, et s’inclinant:

– Votre Majesté me donne-t-elle congé? fit-il d’une voix tremblante.

– Un moment, Maurevert. Quand comptez-vous appliquer la question à vos deux ennemis?

– Dès tout à l’heure, madame. Le temps de faire transférer le chevalier au Temple, et de faire prévenir le tourmenteur juré.

– Qui ne voudra instrumenter qu’en présence des juges!

– C’est vrai! fit Maurevert atterré.

– À moins qu’il n’ait un ordre positif! reprit la reine.

Et elle écrivit rapidement quelques mots sur un papier qu’elle tendit à Maurevert.

C’était un ordre d’avoir à appliquer la question ordinaire et extraordinaire aux deux Pardaillan, dans la prison du Temple, le samedi 23 août, à dix heures du matin.

– Il faudra donc que j’attende jusque-là! grinça Maurevert.

– Eh! mon cher monsieur, j’ai patienté plus que vous, moi. Qu’est-ce que cinq jours? Car nous sommes à dimanche soir…

– C’est vrai. Que Votre Majesté me pardonne.

– Un dernier mot. Je ne veux personne dans la chambre des questions; personne que vous et le maître bourreau. Est-ce entendu?

– Votre Majesté peut se rassurer.

– Et vous me rapporterez fidèlement les aveux de ces deux hommes?

– Je vous le jure madame!

– C’est bien. Maintenant, sachez une chose, monsieur. C’est que je vous donne la vie de ces deux hommes, contre la vie de M. de Coligny que m’a promise… votre ami. Donc il faut que d’ici samedi au plus tard…

– Dès demain matin, madame, mon ami prendra position dans le cloître Saint-Germain-l’Auxerrois…

Catherine sourit. Et qui l’eût vue sourire à ce moment eût vraiment cru qu’elle convenait d’une partie de plaisir avec un des mignons de son fils d’Anjou.

Maurevert se retira la tête en feu, la gorge sèche, avec une joie effroyable dans le cœur.

– Voilà qui se dessine, murmura Catherine de Médicis… Monsieur l’amiral, dites un pater et un ave, si toutefois vous savez vos prières… Quant à ces deux spadassins, je saurai quel secret Damville voulait leur arracher… il y a justement dans la chambre des tortures du Temple un cabinet noir où je serai à merveille pour tout voir et tout entendre.

À ce moment, Paola, la suivante florentine, entra et dit:

– Madame, M. le comte de Marillac est dans vos antichambres qui s’entretient vivement avec M. de Nancey.

Le sourire de la reine demeura figé sur ses lèvres.

– Et que veut-il, ce cher comte?

– Je crois qu’il prie le capitaine de demander pour lui une audience immédiate à Votre Majesté.

– Eh bien, va dire qu’on peut l’introduire.

Et son sourire se fit plus doux encore, plus paisible, d’une expression plus sereine, tandis qu’elle grondait:

– Que ne puis-je te faire arrêter, toi aussi. Ce serait si simple!… Oui… mais s’il parlait!… Non, non… Patience, patience… encore un jour!… Si je le tuais maintenant, d’ailleurs, cette pécore d’Alice serait capable… Allons donc! je les tiens tous les deux! ne gâtons rien!… Bonjour, mon cher comte… on me dit que vous désirez m’entretenir, et vous le voyez, je remets à plus tard les affaires de l’État pour vous recevoir sur le champ.

En effet, Marillac venait d’entrer.

La reine écarta de la main les lettres qui étaient devant elle.

Le comte, pâle, agité, violemment ému, s’approcha sur un signe qu’elle lui adressa.

– Voyons, reprit celle-ci, qu’êtes-vous venu me demander?…Si tout est prêt pour la cérémonie de demain soir? Ne craignez rien, ami, j’ai trop de souci de votre bonheur…

Marillac fléchit le genou.

– Votre Majesté, dit-il d’une voix tremblante, me comble d’une telle bienveillance que je serais ingrat de douter… Non, madame, ce n’est pas de moi qu’il s’agit. Je suis venu demander grâce.

– Grâce? fit la reine avec étonnement.

– Ou plutôt justice. Un de mes amis vient d’être saisi. Un ami madame! Un frère! Le plus dévoué, le plus charmant gentilhomme: esprit étincelant, cœur tendre, courage indomptable, voilà l’homme…

– Il suffit, comte, dit la reine avec émotion. Il suffit que vous aimiez cet homme pour que je lui veuille tout le bien que je vous veux à vous-même. Son nom?

– Hélas, madame! Il a eu le malheur de vous déplaire à deux reprises différentes; une première fois, dans une entrevue qu’il eut avec vous au Pont-de-Bois, dans cette même salle où j’eus, moi, le bonheur de vous connaître! Une deuxième fois, au Louvre, dans le cabinet de Sa Majesté le roi…

– Comte, dit Catherine de sa voix mélancolique, tant de gens m’ont déplu… je tâche à les oublier… quand on me connaîtra mieux, on ne cherchera plus à me déplaire.

Marillac jeta un regard ardent sur la reine.

– C’est le chevalier de Pardaillan, dit-il.

La reine parut chercher un instant dans sa mémoire, puis frappant ses deux mains l’une contre l’autre:

– Ah! oui!… Eh bien, j’avais complètement oublié ce jeune homme à qui je me souviens maintenant d’avoir offert d’entrer à mon service. Et vous dites qu’il est arrêté?

– Oui, madame. Et je viens vous prier de lui rendre la liberté. Je me porte garant que le chevalier n’a rien pu entreprendre ni contre le roi ni contre Votre Majesté. Si une prière était insuffisante, je crois que le roi de Navarre en personne n’hésiterait pas à intervenir en faveur de mon noble ami… mais j’ose espérer, madame, que ma supplique…

– Vous avez raison, mon cher comte. Un mot de vous peut faire autant, sinon plus, qu’une parole du roi de Navarre.