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Tout cela dura une heure.

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Damville acheva son dispositif pour une nouvelle attaque.

Dans Paris, la rumeur immense de l’égorgement se confondait avec les mugissements des cloches. De tous côtés, Damville entendait les cris des victimes poursuivies et massacrées, les clameurs des bandes de carnassiers qui passaient, rapides visions infernales; des incendies éclataient; des bûchers s’allumaient; des flammes écarlates, au loin, à droite, à gauche, montaient parmi des tourbillons de fumée; partout, on tuait, on brûlait, une soûlerie énorme se dégageait de ce décor d’enfer… et lui seul ne tuait pas! Lui seul ne brûlait pas!…

Les lèvres blanches, la moustache tremblante, la voix brève et rauque, il donnait ses ordres.

Et il persista dans le même plan: défoncer la porte! mais cette fois, en surprenant son frère par l’impétuosité de l’attaque. Il fut reconnu que le madrier dont on s’était servi d’abord était insuffisant.

Alors, au moyen de palans, on dressa une sorte de catapulte devant la porte de l’hôtel. À cette machine fut accrochée une masse de fer composée de trois énormes enclumes attachées ensemble au bout d’une chaîne. On les avait prises chez un forgeron voisin.

En même temps, on pénétrait dans la maison qui faisait mur mitoyen avec le bâtiment de droite: ce mur, on le perça à coups de pioche, et dans l’excavation, un tonneau de poudre fut placé.

Alors, Damville, à droite et à gauche de la porte, massa ses reîtres, avec ordre de se précipiter dans la cour dès que le passage serait ouvert.

À ce moment, il était plus de midi. L’installation de la machine avait demandé plusieurs heures. Un silence relatif s’établit dans la rue. D’un coup d’œil, Damville vit que chacun était à son poste.

Il donna le signal en levant le bras.

Dix hommes s’attelèrent à la masse de fer suspendue à la chaîne qui pendait du haut de quatre immenses madriers placés debout l’un contre l’autre, les quatre sommets liés ensemble, les quatre pieds s’écartant de dix coudées l’un de l’autre.

Les dix hommes ramenèrent la masse de fer jusque dans la ruelle, et soudain, la lâchèrent.

La masse partit, s’élança, décrivit sa courbe de plus en plus foudroyante et alla heurter la porte… les reîtres firent un mouvement pour s’élancer… un craquement sinistre se fit entendre…

Mais reîtres et gentilshommes poussèrent une clameur de malédiction: la porte avait résisté!…

Elle s’était fendue, disloquée, mais elle demeurait debout!… La surprise combinée avec tant de peine, avortait misérablement! Damville se mordait les poings, il comprit que, de l’intérieur, on avait élevé une barricade; tout le temps qu’il avait passé à préparer l’assaut, Montmorency l’avait passé à organiser une défense acharnée.

– Oh! gronda Henri, quand je devrais passer un mois devant cette masure!…

Cette masure, c’était l’hôtel de Montmorency! la demeure qu’avait habitée son père le connétable!

– Quand je devrais mettre le feu à la rue! faire sauter le quartier!…

Il se frappa le front, comme illuminé d’une soudaine pensée, étouffa un rugissement de joie.

– Orthès! appela-t-il.

– Le vicomte promène ses chiens! lui fut-il répondu.

– Les chiens avaient faim! ajouta un autre.

Un sourire de Damville – quel sourire! – prouva qu’il avait compris toute la saveur de cette plaisanterie.

– Sauval! appela-t-il alors.

L’homme ainsi nommé se précipita: c’était celui qui était préposé à la garde de la manipulation des poudres.

– Ici, dit le maréchal, un tonneau. Et là, un tonneau. Est-ce compris?

Il désignait l’encoignure gauche et droite de la porte.

– Compris! dit l’homme.

La manœuvre fut aussitôt exécutée, les tonneaux placés, la mèche amorcée.

Damville y mit lui-même le feu, puis se retira à distance.

Vingt secondes plus tard, l’explosion retentit, un double jet de flammes s’éleva jusqu’au ciel, la porte s’écroula, les barricades qui la maintenaient se disloquèrent, le passage était libre!… Les reîtres, avec une grande clameur, se ruèrent dans la cour de l’hôtel de Montmorency!…

Les reîtres entrèrent dans la cour comme une bande de loups. Des décharges d’arquebuses les accueillirent, mais cette fois, ils étaient lancés, rien ne pouvait les arrêter.

La mêlée commença dans la cour; les arquebuses et les pistolets déchargés se turent; on commença à se battre à coups de piques, de dagues et de rapières.

Serrés en un groupe compact, en un peloton hérissé, les gens de Montmorency tenaient tête à la meute; ils gardaient le silence farouche du désespoir; les assaillants hurlaient, vociféraient; dans la rue, la foule accourue de toutes parts voulait entrer, tuer; le besoin de tuer était dans ces esprits affolés; les flots de sang, les mugissements des cloches, les rumeurs des bandes qui dans les rues voisines continuaient la tuerie, cet épouvantable ensemble de bruits hideux, de visions plus hideuses, faisant monter dans les têtes une exaspération nerveuse; plus de pitié; tout sentiment humain étouffé.

Les soudards de Damville, ivres de fureur, avec de rauques imprécations, des insultes affreuses, tourbillonnaient autour du peloton qui se défendait comme on se défend contre la mort…

Montmorency cherchait des yeux Damville; il ne le voyait pas.

Damville attendait la minute propice.

L’estramaçon de François, de seconde en seconde, se levait et s’abattait.

Il le tenait à deux mains et, autour de lui, quand on voyait se lever la lourde et large lame toute rouge, il y avait des reculs, des frémissements de terreur.

Mais la lame sifflait dans les airs et s’abattait…

Un homme tombait…

Et cela continuait…

Autour de Montmorency, une quinzaine de corps entassés, morts ou blessés, lui faisaient un rempart de chair humaine d’où coulaient des ruisseaux de sang.

Et il se vit comme à Thérouanne…

Par un de ces phénomènes étranges de la mémoire qui s’affole, il se revit, non dans l’hôtel de Montmorency, mais sur la dernière barricade de Thérouanne.

Comme là-bas, il frappait sans arrêt.

Comme là-bas, il se voyait presque seul devant des ennemis qui se multipliaient…

Comme là-bas, deux ou trois combattants farouches remplaçaient ce qu’il tuait…