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– Pan! Pif! Paf! Pan! Huit! Douze! Quinze! À toi, chevalier!

Pendant trois minutes, l’effrayante manœuvre se poursuivit; à coups de moellons, les deux titans déblayaient la rue comme ils avaient déblayé la cour; la muraille baissait; ils descendaient à mesure d’un cran; et finalement les arquebuses se turent!… Dans la rue, il n’y avait plus personne! Les assaillants avaient reflué à droite et à gauche de l’hôtel se culbutant, jurant, hurlant… Damville, livide, saisit sa tête à deux mains, et tandis que là-haut retentissait le rire des titans, ceux qui environnaient le maréchal virent qu’il pleurait à chaudes larmes, de rage, de honte et de fureur!…

La muraille avait baissé de sept à huit rangées de moellons…

Les deux titans, voyant la rue libre et l’hôtel entièrement dégagé, dirent ensemble:

– Partons!…

Ils sautèrent sur le toit de la loge du suisse; du toit, ils sautèrent dans la cour; là, ils se regardèrent un instant et ne se reconnurent pas, tant leurs faces noires et sanglantes flamboyaient d’audace et d’orgueil!…

Les Pardaillan, enjambant cadavres et décombres, traversèrent la cour en quelques bonds, escaladèrent le perron et se jetèrent dans la grande salle d’honneur de l’hôtel de Montmorency.

Le chevalier, qui marchait le premier, se sentit saisi par deux bras puissants, enlevé, pressé sur une large poitrine: et le maréchal de Montmorency, l’embrassant sur les deux joues, murmura en frémissant:

– Mon fils! Mon fils!…

Pardaillan, alors, jeta autour de lui un regard égaré: il vit Jeanne de Piennes qui, indifférente, souriait à son rêve; il vit François de Montmorency qui pleurait; il vit Loïse toute droite, toute pâle, qui l’examinait d’un air de suprême gravité, comme elle eût examinée quelque chose de colossal, d’émouvant et de grandiose.

À travers les sanglots qui maintenant soulevaient sa mâle poitrine, François de Montmorency répétait:

– Mon fils! Mon fils!…

Et ce mot disait sa gratitude infinie, son admiration, sa volonté d’exprimer le sentiment le plus haut et le plus humain qui soit dans l’homme…

– Mon fils! Mon fils!…

Le chevalier laissa errer du maréchal à Loïse son regard ébloui. Et le titan se sentit faible comme un enfant…

Il balbutia:

– Votre fils!… oh! prenez garde que je ne me trompe sur le sens de ce mot!… Maréchal! Maréchal de Montmorency! Vous m’appelez votre fils… moi!…

Le maréchal comprit l’angoisse qui montait dans ce cœur de lion.

Il se tourna vers sa fille et dit:

– Réponds, Loïse!…

Loïse devint très pâle. Ses yeux se remplirent de larmes. Puis une étrange expression de souveraine gravité s’étendit sur ce fin visage de vierge. Elle ouvrit les bras et, d’une voix qui tremblait légèrement, elle dit:

– Mon époux… soyez le bienvenu dans la maison de mes pères… ta maison, ô mon époux!…

Le chevalier chancela, s’abattit sur ses genoux, son front s’inclina sur les deux mains de Loïse, et il se prit à pleurer…

– Pardieu! s’écria le vieux routier. Je te disais bien qu’elle ne pouvait être qu’à toi! Tu l’as conquise le fer à la main!

Mais Loïse secoua la tête. Son pur regard évoqua une seconde des choses dont elle gardait le souvenir au fond de son cœur et elle murmura:

– Non, non… je l’aimais avant!… Là-bas… la petite fenêtre du grenier… c’est là qu’il m’a conquise… par son regard… par l’amour!…

Comme les paroles sont lentes! Et que valent les descriptions en de tels moments!… Dans l’intense émotion qui les faisait palpiter, cette scène n’avait duré que quelques secondes. Ce fut un cri, un geste d’éclair, une explosion d’amour. Ce fut, dans le cadre tragique de l’hôtel fumant, parmi les ruines, dans la vaste et funèbre rumeur de mort qui emplissait Paris, au son du tocsin de toutes les églises, au bruit sourd des détonations et des arquebusades, tandis que le ciel noir de fumée se nuançait des tons écarlates des incendies et des bûchers, ce fut, dans cette minute épique, dans ce décor prodigieux, l’enlacement suprême de deux âmes qui, depuis des temps, allaient l’une vers l’autre!…

Cela dura deux ou trois secondes.

Loïse, dégageant ses mains, alla au vieux routier, lui mit ses bras autour du cou, et comme le maréchal, avait dit «mon fils» au chevalier, elle dit:

– Mon père!…

La rude moustache du routier trembla. D’un geste brusque, il écrasa quelque chose au coin de sa paupière.

Puis il saisit Loïse à pleins bras, l’enleva et cria:

– Vive Dieu! La jolie fille que j’ai là!… Savez-vous, ma mignonne, que je vous ai portée dans mes bras, jadis, et que, pendant deux heures, vous avez dormi dans le même berceau que…

Une rumeur qui venait de la rue l’arrêta court.

Hérissés, les deux Pardaillan bondirent vers le perron.

– Alerte! alerte! Par l’enfer! tonna le vieux.

– Ah! tonna le chevalier, je défie maintenant l’enfer et le ciel!

Près de la grande porte démantelée, les visages des tigres de Damville se montraient: visages inquiets, démarches louches de gens qui s’avancent pas à pas, physionomies chargées de rage et d’épouvante.

– Va! dit le vieux routier. Je me charge de les amuser quelques minutes. Va donc, par le tonnerre du ciel!…

Le chevalier courut au maréchal.

Le routier s’avança sur le perron.

Haletante, à mots hachés, eut lieu le suprême conciliabule:

– Maréchal, qu’y a-t-il par là?

– Les jardins, les communs, mon fils…

– Au-delà des jardins?

– Des ruelles aboutissant à la Seine…

– Y a-t-il une voiture? N’importe quoi, dans les communs?…

– Une chaise de voyage…

– En route! hurla le chevalier.

– Je vous rejoins! cria le vieux routier.

Le maréchal saisit Jeanne de Piennes dans ses bras. Le chevalier enleva Loïse comme une plume; elle laissa tomber sa tête sur son épaule; il fut secoué d’un frisson convulsif et s’élança.

L’instant d’après, ils étaient dans les jardins. Pénétrer dans la grande remise, traîner dehors une voiture fermée qui s’y trouvait, atteler deux chevaux à la voiture fut pour les deux hommes l’affaire de deux minutes. Jeanne de Piennes et Loïse furent déposées, jetées, pourrait-on dire, sur les banquettes.