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– Mourons! Mourons ensemble! Adieu!…

À ce moment, une clameur énorme, une clameur d’imprécations, de malédictions, de plaintes déchirantes jaillit ainsi de la cour, mêlée au grondement sourd de quelque chose qui s’écroule!…

Le bras de Montmorency prêt à frapper Jeanne, à frapper Loïse, à se frapper lui-même, ce bras demeura suspendu. Hagard, il regarda vers la porte et vit que Damville n’était pas entré dans la salle d’honneur!

Damville avait bondi au bas du perron, avec un cri de malédiction!

Damville fuyait vers la rue!

Les reîtres fuyaient, tourbillonnaient, se heurtaient éperdus, se frappaient les uns les autres pour fuir plus vite!

Que se passait-il?…

En quelques bondissements, haletant, la tête perdue, délirant d’un espoir insensé, Montmorency regagna le perron…

Ce qui se passait?…

Voici:

Du haut de la muraille demeurée debout, seule de tout le bâtiment qui avait sauté, du haut de cette muraille, disons-nous, un bloc de pierre avait roulé, s’était abattu au milieu de la cour, écrasant trois ou quatre hommes…

Un accident?…

Non! non!…

Tous ayant levé la tête, aperçurent à travers les tourbillons de fumée deux hommes debout, deux êtres étranges qui marchaient sur l’arête de la muraille branlante, se baissaient, se relevaient, avançaient reculaient…

Et aussitôt après le premier bloc, un deuxième tomba, roula, écrasa, traça un large sillon sanglant, puis un autre, et un autre encore, sans arrêt!… Cela pleuvait! Une pluie de pierres de taille, une muraille qui se transformait en catapulte, qui s’écroulait, morceau par morceau, écrasant, tuant, poursuivant, frappant à mort!…

Quelle panique! Quels hurlements de rage et d’épouvanté! Où se cacher? Où se terrer? Où fuir? Place! Place, par les tripes du diable! Tiens, crève donc! Je passe! À moi! Je meurs! Miséricorde!… Place! Passe donc, par l’enfer!

Des cris d’agonie, des soupirs rauques, des gens qui se battent, des cervelles qui sautent, un remous féroce vers la porte trop étroite, un tourbillon d’êtres délirants, fous de terreur, une tuerie pour aller plus vite!…

Et vingt secondes après la chute du premier bloc, il n’y avait plus dans la cour de l’hôtel que des cadavres et des blessés aux membres fracassés!…

Et là-haut, sur l’infernale muraille, les deux êtres fabuleux, entourés de fumée et de poussière, noirs, étincelants, rouges, déchirés, flamboyants, les deux Pardaillan éclataient d’un rire terrible!…

La muraille sur laquelle se trouvaient le chevalier de Pardaillan et le vieux routier dominait l’hôtel central, c’est-à-dire que les deux épiques travailleurs étaient plus haut placés que le toit qui abritait en ce moment le maréchal de Montmorency, Jeanne de Piennes et Loïse.

Il leur eût été facile de sauter sur ce toit, de gagner la première lucarne et de descendre par le grenier.

C’est ce que le vieux routier avait fait remarquer à son fils sur le premier moment, c’est-à-dire lorsque, s’étant penchés, ils reconnurent qu’ils avaient abouti à l’hôtel Montmorency.

Le chevalier secoua frénétiquement la tête. Il montra le maréchal debout, entre ses deux derniers compagnons, et derrière lui, Loïse. Et il gronda:

– Si elle meurt, c’est la tête la première que je descendrai!…

– Enfer! rugit le vieux, avoir tenu tête à Paris tout entier! Avoir saisi la mort par les cornes et l’avoir terrassée! Avoir échappé au pressoir de fer! Avoir passé à travers des légions de démons! Avoir semé l’épouvante sur ton passage! Et venir te tuer ici!…

Il s’était croisé les bras et frappait furieusement du talon.

Sous ces coups, une pierre à moitié descellée se détacha, tomba dans le vide… d’en bas une clameur de stupéfaction, de rage et de terreur monta jusqu’à eux…

– Tiens! tiens! fit simplement le vieux routier. Mais ça écrase, ça!…

– À l’œuvre, rugit le chevalier.

Ils se baissèrent, tous deux; leurs deux dagues attaquèrent un bloc, firent levier, une poussée précipita le bloc dans le vide, et, en bas, une large trouée se fit dans la foule des reîtres.

Dès lors, ils ne regardèrent plus.

Chacun travailla de son côté; la grêle de pierres se mit à pleuvoir; pièce par pièce, ils démantelaient la muraille; ils commençaient l’un par un bout, l’autre par le bout opposé; et à mesure que chacun d’eux avait lancé un bloc dans l’espace, il avançait. Ils étaient aussi fermes sur l’étroite corniche que sur la terre; un geste de trop, un mouvement à faux, et ils étaient précipités; ils n’y prenaient pas garde… Quand ils se rejoignirent, ils regardèrent en bas et virent qu’il n’y avait plus personne dans la cour!…

– Voilà une manière de descendre, hein, chevalier! fit le vieux.

– C’est plus doux qu’un escalier, monsieur!

– Et commode, donc!

– Encore une douzaine de rangées…

– Et nous nous trouverons portés à terre!

Ils riaient; ils étaient noirs de fumée et de poussière; leurs yeux flamboyaient; leurs mains s’étaient ensanglantées; leurs habits étaient en lambeaux; ils riaient comme des fous; ils riaient, non de la fuite des assaillants, non du sauvetage fabuleux, ils riaient sans savoir, et ils avaient des faces terribles de titans escaladant l’Olympe et jetant le défi suprême au maître des dieux!…

Un coup d’arquebuse retentit; la balle fit tomber le chapeau du chevalier.

– Ce n’est pas moi qui vous salue! hurla-t-il.

Les arquebusades se succédaient; les balles sifflaient autour d’eux; de la rue, deux ou trois cents reîtres les visaient, tandis que la foule poussait ses hurlements de mort…

Alors le vieux longea la muraille et vint surplomber sur la rue…

– Rangez vos crânes! vociféra-t-il.

On vit le titan soulever dans ses bras un moellon qu’il lança à toute volée.

– Place, monsieur! dit le chevalier.

Et à son tour, il s’avança, tandis que le vieux se couchait sur la crête pour le laisser passer.

Le moellon du chevalier traça sa courbe dans l’espace, tomba, rebondit parmi les hurlements d’épouvante.

– Je crois que j’en ai écrasé une douzaine, dit froidement le chevalier.

– Quatre de plus que moi! Il me faut ma revanche! cria le vieux routier.

En effet, pendant que son fils lançait une pierre, lui, avait descellé un autre moellon; ce fut au tour du chevalier de se coucher sur la crête pendant que le vieux s’avançait à l’extrême bord de la muraille…