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Cela ne finirait jamais!

Il y en aurait toujours!

Il eut l’intuition que, comme sur la barricade de Thérouanne, il allait tomber; l’illusion fut si puissante que comme là-bas, dans la dernière seconde où il avait vu venir le coup, il murmura:

– Adieu, Jeanne, adieu!…

À ce moment, il poussa un cri terrible; il avait jeté autour de lui un regard suprême, et ce regard, dissipant l’illusion, le ramenait violemment à la situation présente – de Thérouanne à l’hôtel de Montmorency.

Et voici ce qu’il voyait:

Son peloton, réduit de la moitié, s’était massé au pied du perron central de l’hôtel.

Or, pendant que ces reîtres tourbillonnaient autour de cette poignée d’hommes, Damville avait rassemblé cent de ses cavaliers démontés sur la gauche de la cour.

Et il les jetait comme un bélier vivant sur le groupe de défenseurs et d’assaillants.

Leur masse se rua d’un bloc.

Avec la violence d’épaves lancées à la côte, les gens de Montmorency furent précipités sur le bâtiment de droite.

Montmorency, dès lors, n’eut plus qu’une dizaine de combattants autour de lui.

Il monta sur le perron avec ces quelques derniers défenseurs: tous les autres, au nombre d’environ une trentaine encore, étaient refoulés, pressés, étouffés contre la droite de la cour.

Quelques secondes se passèrent; une clameur immense s’éleva tout à coup… et Montmorency vit qu’il n’y avait plus autour de lui que sept ou huit hommes; la cour tout entière appartenait aux gens de Damville: les malheureux qui avaient été acculés au bâtiment de droite s’étaient précipités par les deux portes qui s’ouvraient sur la cour et se barricadaient à l’intérieur.

À ce moment même, une détonation formidable retentissait: le bâtiment de droite s’écroulait presque tout entier, ensevelissant ses défenseurs sous ses décombres fumantes!

Un lieutenant de Damville venait de faire sauter le bâtiment!…

Il ne restait plus debout que la muraille bordant la cour.

Et elle était fendue, lézardée, éventrée par places!…

– Il faut mourir ici! dit Montmorency avec le calme du désespoir.

Et il eut un rire étrange…

Et, comme il jetait derrière lui un rapide regard, par la porte de la salle d’honneur, il vit sa fille Loïse qui accourait, bondissait, une dague a la main.

– Mon père! cria-t-elle, vous allez voir comment sait mourir une Montmorency!

– Ta mère! hurla François en assénant un terrible coup d’estramaçon qui fit reculer le flot des assaillants.

Loïse s’arrêta, pantelante. Sa mère!… Il fallait qu’elle vécût pour sa mère!

À cet instant, François de Montmorency, livide, sanglant, déchiré, effrayant, eut un rugissement de joie terrible:

– Enfin! Toi! toi! Enfin!…

Il avait Damville devant lui!…

XLVII LES TITANS

Dans un de ces suprêmes coups d’œil qui durent ce que dure un éclair, voici ce que vit François de Montmorency.

Il était sur le perron, son estramaçon levé à deux mains.

Derrière lui, sa fille. Au fond de la salle, sur un fauteuil, Jeanne de Piennes, souriante devant ces horreurs…

Près de lui, deux hommes encore vivants.

Au bas des marches, Damville, son frère Henri, levant vers lui une face convulsée de haine, montant, une lourde rapière au poing, et dardant sur lui des yeux flamboyants, Henri grondait:

– Place! place! À moi! Celui-là est pour moi!…

Derrière Damville, à sa droite, à sa gauche, une foule de gens d’armes pressés, tassés, un bloc hérissé d’épées, de dagues, qui emplissait la cour tout entière, quatre cents tigres entassés là, des flamboiements d’acier, une clameur sauvage:

– À mort! à mort!

Au milieu de cette foule, un tombereau chargé de poudre qu’on venait de faire entrer.

Au-delà, la porte de l’hôtel, démantelée, jetée bas, béante…

Par ce large trou béant, la rue apparaissait noire de foule, noire de fumée, une houle de visages effroyables, un océan de peuple, d’où montait la même clameur obstinée, rauque, sauvage:

– À mort! à mort!

Au-delà, Paris, dans un brouillard de buées rousses, de fumées noires.

Une rumeur, un grondement inapaisable, fait des centaines et des milliers de voix qui hurlaient à la mort.

Dans les airs, parmi des tourbillons qui déroulaient leurs sombres volutes sous l’éclatant soleil, les rafales monstrueuses des hurlements du tocsin, les cloches sonnant l’immense hallali, les sourdes détonations, les arquebusades lointaines…

Voici ce que Montmorency vit et entendit dans cet inappréciable temps de récit pendant lequel Damville, refoulant ses hommes d’armes pour atteindre son frère, gronda:

– Place! il est à moi!…

Au même instant, les deux frères se trouvèrent l’un devant l’autre.

Les deux hommes qui avaient survécu à l’effroyable carnage et qui se trouvaient près de Montmorency tombèrent.

Damville fit un geste qui arrêta les centaines de dagues levées sur François, et il hurla:

– Vivant! Il me le faut vivant!

François avait levé son estramaçon qui jeta dans l’air un flamboiement rouge. L’estramaçon décrivit sa courbe et s’abattit avec une violence capable de fendre un homme.

Damville fit un bond en arrière.

L’estramaçon de François heurta la marche de marbre et se brisa.

– Malédiction! rugit Montmorency en dressant vers le ciel son visage enflammé.

– À moi! hurla Damville. François, tu meurs de ma main! Adieu, mon frère! Rappelle-toi que tu m’as confié Jeanne de Piennes! Sois tranquille, j’en aurai soin!

En même temps, il se rua sur François désarmé.

François, d’un coup de son tronçon d’épée, para le coup formidable qui lui était destiné. Au même instant, d’un bond, il entra dans la salle d’honneur et, d’un geste frénétique, saisissant sa fille dans ses bras, il tonna:

– Ni Jeanne! ni Loïse! ni moi! Aucun de nous ne sera à toi!

Il arracha la dague des mains de la jeune fille et, entraînant Loïse près de sa mère assise au fond de la salle, il leva l’arme sur Jeanne de Piennes!…