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En effet, non seulement le maréchal était fils aîné, héritier direct de la gloire du nom, successeur de ce connétable Anne qui avait rendu de si éclatants services à la monarchie des Valois et de si terribles à l’Église, non seulement il était le chef de la puissante et de la plus noble seigneurie qui fût alors, mais il était catholique lui-même, et sous son père, avait fait les guerres de religion.

Il est vrai que sa conscience, bientôt, s’était élevée et comme purifiée, rejetant les scories d’une religion de meurtre; mais il avait gardé pour lui ses impressions.

Il est vrai encore que plus d’une fois il avait élevé la voix en faveur des huguenots; mais sa fidélité aux Valois était demeurée inébranlable, et nous avons vu l’attitude qu’il avait prise devant Henri de Navarre.

Il est vrai enfin que tous les modérés du royaume, tous ceux qui voulaient laisser aux huguenots la liberté de conscience le considéraient comme leur chef naturel, mais il n’avait rien entrepris qui ne pût être juste et légitime aux yeux mêmes du roi de France.

François de Montmorency, donc, se savait suspect, mais non désigné aux coups des massacreurs.

Cependant, la fermeture des portes de Paris, mesure exceptionnelle qui avait paru le menacer directement, l’avait averti, pour ainsi dire, qu’il se tramait quelque chose…

Mais quoi? Il n’eut su le dire.

À tout hasard, il mit son hôtel en état de défense.

Une douzaine de gentilshommes, les uns catholiques, les autres huguenots, et bons serviteurs de la monarchie, mais comme lui ayant horreur de tant de guerres sauvages, vivaient dans l’hôtel et composaient sa maison, ou, si l’on veut, sa cour.

Le maréchal porta à quarante le nombre des gens d’armes qu’il entretenait.

De plus, il arma les laquais: il y en avait une vingtaine dans l’hôtel.

Tout cela formait un total d’environ quatre-vingts combattants. L’hôtel fut abondamment pourvu de poudre, de balles, de mousquets de pistolets et d’armes de toute nature, des provisions de bouche pour un mois y furent entassées.

Lorsque tout cela fut fait, le maréchal se prit à sourire et haussa les épaules, croyant vraiment avoir exagéré les précautions.

La successive disparition du vieux Pardaillan et du chevalier raviva ses inquiétudes.

Qu’étaient-ils devenus? Comment le savoir?…

Dès lors, tous les soirs, l’hôtel fut barricadé; des rondes furent organisées…

Pendant ces quelques journées, Loïse vécut auprès de sa mère. La douce folie de Jeanne de Piennes demeurait invariable dans ses manifestations: toujours elle se croyait à Margency et on la voyait prêter l’oreille en murmurant:

– Le voici qui vient… Je vais lui dire… Oh! je tremble…

Et si François apparaissait alors, le cœur serré, les bras vaguement tendus vers celle qui l’avait tant aimé, la folle le regardait d’un air étonné, sans le reconnaître.

Quant à Loïse, si elle souffrit de l’inexplicable disparition du chevalier, il fut impossible de le deviner; son pur et fier profil de vierge ne s’altéra pas; elle parut uniquement occupée de sa mère.

Seulement, l’inquiétude faisait peut-être de terribles ravages dans cette âme.

Le samedi soir, comme elle s’était assise près de Jeanne de Piennes, s’occupant à un travail de broderie, ses doigts fins et blancs comme de l’albâtre s’arrêtèrent tout à coup, ses yeux rêveurs parurent fixer un point dans l’espace; la folle, qui semblait sommeiller, se redressa soudain, se pencha, et, la figure extasiée, murmura:

– Enfin!… le voici!… Oh! quand viendra-t-il?…

Peut-être ce mot de la pauvre démente correspondait-il avec les pensées de la jeune fille, car elle tressaillit, puis, portant la main à ses yeux, se prit à pleurer doucement.

– Il vient! répéta Jeanne.

– Hélas! hélas! murmura Loïse. Où est-il?…

Le maréchal entra à ce moment. Il vit cette scène si douce et si triste d’un seul coup d’œil. Il saisit la mère et la fille dans ses bras et les serra convulsivement contre lui, en proie à une angoisse inexprimable.

Et Jeanne de Piennes souriait… Loïse laissait couler ses larmes, et la même pensée, confuse chez la pauvre folle, poignante chez la jeune fille, se traduisait par le même mot qui s’adressait à deux êtres différents…

– Où est-il? Quand reviendra-t-il?

* * * * *

Vers deux heures du matin, tout dormait dans l’hôtel, en cette nuit du samedi, hormis les gens d’armes du corps de garde. Le silence était profond. Jeanne de Piennes et Loïse reposaient dans la même chambre, l’une dormant de ce sommeil profond qu’elle avait depuis que son esprit avait sombré, l’autre sommeillant et rêvant à demi.

Le maréchal, vers dix heures, s’était retiré dans son appartement, comme d’habitude.

Il faut ici esquisser un plan de l’hôtel, bâti d’ailleurs sur le modèle des demeures seigneuriales de l’époque.

Une cour pavée, séparée de la rue par une forte muraille que perçaient une grande porte à double battant et une autre plus petite. À gauche de la cour, un bâtiment élevé; c’était le logis des gens d’armes, corps de garde, écuries au rez-de-chaussée, deux étages et un grenier. En avant, la loge du suisse; à droite, un autre corps de logis où se trouvaient les appartements des gentilshommes et, tout en haut, les chambres des laquais, cuisiniers, sommeliers, etc. Au fond de la cour, séparé de ces deux bâtiments mais les touchant presque, l’hôtel proprement dit, avec son rez-de-chaussée où se trouvaient les salles d’honneur et de réception, son unique étage richement orné de sculptures, son perron, par où on descendait dans la cour par six marches de marbre.

C’était, on le voit, la même disposition que l’hôtel Coligny, disposition adoptée par la plupart des grands seigneurs du temps.

Les premiers mugissements des cloches réveillèrent François de Montmorency.

Il s’habilla, revêtit une cuirasse de buffle, ceignit son épée de bataille, s’arma d’une dague et ouvrit une fenêtre.

Au ciel, brillaient encore quelques étoiles, de leur dernier éclat pâli.

Une étrange rumeur venait du fond de Paris et semblait gagner les rues de proche en proche. Au loin, de sourdes détonations éclataient. Les cloches sonnaient le tocsin. Des cris s’élevaient, cris de fureur, plaintes déchirantes…

Pendant quelques minutes, le maréchal écouta cette énorme rumeur. Son visage s’assombrit, ses tempes battirent le rappel de l’angoisse.

Alors, il courut à la chambre où dormaient Jeanne de Piennes et Loïse.